La Bibliothèque conserve une dizaine de boites portant pour unique inscription « André Bloch » et renfermant un peu moins de 200 clichés du début du 20e siècle dont la très grande majorité sont sans lien avec l’astronomie. Parmi eux, des paysages, des photos de famille et d’une petite fille riante (fig.1 et 2), un hôpital et son personnel (fig. 3) et le plus intrigant, une cinquantaine de plans rapprochés de visages et de corps déformés ou mutilés (fig.4 et 5). Comme souvent, il y a peu d’informations sur les clichés ou leurs boites.
Mon premier réflexe est de chercher à identifier leur auteur, vraisemblablement André Bloch. Je ne trouve rien dans le catalogue de la bibliothèque et continue mes recherches biographiques autrement. Deux homonymes me sont suggérés : le premier est compositeur, le second mathématicien. De prime abord, je penche plutôt pour le scientifique, a priori plus proche de l’astronomie. Quelle surprise quand je découvre que l’auteur supposé de ces photos a assassiné trois membres de sa famille !
Quelques jours plus tard, dans une autre série, je trouve le portrait d’un homme à son bureau (fig.6) avec, posées derrière lui, plusieurs photographies (fig.7). Je reconnais aussitôt le cliché de la petite fille déguisée en ange découvert auparavant. Cet homme au bureau serait-il donc son père et le photographe que je recherche ?
Mais un autre portrait en arrière-plan, celui d’un homme qui repose sa tête sur sa main, attire également mon regard. Je suis sûre de ne pas l’avoir vu dans les boites précédentes et cependant je suis convaincue de connaitre cette image. Il me fait penser tout d’abord à un écrivain romantique du 19e siècle quand soudain, la solution surgit : mais oui, bien sûr, il s’agit d’Hector Berlioz ! Et mon photographe à son bureau ne peut donc être que musicien ! Si André Bloch n’a pas travaillé à l’Observatoire, les quelques clichés astronomiques trouvés parmi ses clichés tendent à prouver cependant son intérêt pour l’astronomie (fig.8 ). Peut-être a-t-il alors été membre de la Société Astronomique de France ? Avec son année de décès, je recherche dans le bulletin de la SAF, une éventuelle nécrologie. Celle-ci existe bel et bien et m’apprend que… André Bloch a épousé en 1902 la fille du directeur de l’Observatoire de Paris, Maurice Loewy (fig.9).
Il me reste encore à identifier l’hôpital et à comprendre la raison d’être de ces photographies. André Bloch a-t-il été lui-même blessé ? Non. Sur l’un des clichés, c’est bien en tenue d’infirmier qu’il apparait aux côtés de soldats en uniforme (fig.10). Grâce à Gallica, je trouve mention de l’attribution d’une médaille à Mme André Bloch, née Loewy, infirmière à l’Hôpital Complémentaire du Panthéon, annexe du Val-de-Grâce dans le Bulletin de la Société française de secours aux blessés militaires de la Croix Rouge Française (1917). Auraient-ils alors travaillé dans le même hôpital ? Cette hypothèse semble se confirmer quand je retrouve sur le site de la Croix-Rouge, une photographie de groupe d’infirmières posant devant un bâtiment identifié comme étant l’hôpital du Panthéon et en tout point identique à une plaque de verre conservée par la bibliothèque. Si nous pouvons présumer que les portraits ou les photographies de groupe des soignants et des blessés sont des souvenirs de cette période, qu’en est-il des détails de plaies et autres blessures ? Auraient-ils pu être réalisés pour servir à la formation des infirmières de plus en plus nombreuses ? Je décide cependant d’arrêter ici mon investigation pour me consacrer à d’autres fonds touchant plus directement l’Observatoire.
Cette aventure est l’occasion de souligner que si l’identification des documents, notamment photographiques, peut être une activité passionnante, elle s’avère aussi souvent longue et difficile du fait de l’absence d’informations disponibles. Aussi, les chercheurs qui souhaitent apporter leur aide à l’identification de sujets astronomiques sont-ils les bienvenus. Et pour les archivistes de demain, pensez à bien annoter vos documents !
Emilie Kaftan