Le sextant visible dans la grande galerie de l’Observatoire de Paris est le seul des trois instruments mobiles de Nicolas Louis de Lacaille (1713-1762) qui nous soit parvenu. Il en fit l’acquisition auprès de Claude Langlois, quelques temps avant son départ pour le Cap de Bonne espérance le 20 novembre 1750 où il séjourna jusqu’en 1753. L’une des ambitions de Lacaille est de poursuivre et compléter à l’aide du sextant son relevé des hauteurs méridiennes des étoiles brillantes jusqu’à la magnitude 3 (pratiquement toutes les étoiles que l’on peut voir actuellement dans un ciel aussi lumineux que celui de Paris) qu’il avait commencé en 1749 dans son observatoire personnel du collège Mazarin à Paris.

Le sextant est un instrument dédié à la mesure de l’angle de hauteur des astres au-dessus de l’horizon – ou de leur distance angulaire au zénith. (La mesure de la hauteur méridienne d’un astre permet d’accéder à sa déclinaison – l’une des deux coordonnées angulaires nécessaires à la constitution d’un catalogue de positions d’étoiles - à partir de la connaissance de la latitude du lieu où est effectuée l’observation). Cette mesure se fait à l’aide d’une portion d’arc de cercle ; l’amplitude de cet arc donne son nom à l’instrument : quart-de-cercle pour des arcs de 90° ou secteur zénithal pour des arcs très réduits ne servant qu’à l’observation d’astres très proches du zénith (verticale du lieu). Cet arc de cercle, gradué généralement de dix en dix minutes d’angle, est appelé limbe. Le sextant de Lacaille a quant à lui une amplitude de 64° (d’où son nom de sextant). Son rayon est de 6 pieds (un peu moins de 2 m). La carcasse est en fer tandis que le limbe est en cuivre assujetti à un arc en fer. Un fil à plomb pendant jusqu’au limbe et protégé de toute agitation par un garde-filet est accroché au centre du sextant ; il sert à indiquer la verticale et donc la direction du zénith. La visée d’un astre s’effectue à partir de l’une des deux lunettes fixées sur le bâti en fer, perpendiculaires entre-elles et alignées sur les graduations 0 et 60°. Chacune est équipée d’un micromètre à curseur permettant la lecture de la seconde de degré.

Utilisation du sextant à deux lunettes perpendiculaires
© Y. Gominet & P. Descamps/IMCCE

Le micromètre est disposé au foyer commun de l’objectif et de l’oculaire dont le champ sur le ciel est proche du degré. Il se constitue principalement d’un fil horizontal fixe et d’un fil mobile qui lui est parallèle. La mesure se fait en amenant l’astre visé à peu près sous le fil fixe, le limbe est ensuite déplacé à l’aide de la verge de rappel jusqu’à ce que le fil à plomb tombe sur le point de division le plus voisin lu avec un microscope ; il suffit ensuite de tourner la vis du micromètre pour amener le fil mobile sur l’astre. La distance en minutes et secondes de degré du fil mobile au fil fixe – calculée à partir du cadran du micromètre divisé en cent parties - est précisément ce qu’il faut ajouter ou retrancher à la hauteur marquée par le fil à plomb.

L’apposition de deux lunettes permet de transformer le sextant en un pseudo quart-de-cercle : l’une des lunettes – dite lunette horizontale – permet la mesure directe sur le limbe des hauteurs depuis l’horizon jusqu’à 64° de hauteur ; l’autre lunette – dite verticale – permet la mesure directe sur le limbe de la distance au zénith depuis la verticale jusqu’à une valeur de 64° (ce qui correspond à 26° de hauteur). Les deux lunettes disposent donc d’une zone commune de visée large de 38°, de part et d’autre de la hauteur 45°. Ce dispositif à deux lunettes perpendiculaires a été utilisé par Lacaille pour calculer sa table des réfractions atmosphériques. En tirant profit de l’observation d’une même étoile depuis deux lieux très éloignés en latitude – Paris et la ville du Cap présentent une différence de latitude de 82° environ -, il lui est alors possible d’inférer l’effet de la réfraction atmosphérique. La table des réfractions qu’il a ainsi établie, après son retour en France en 1754 - par d’autres observations menées au sextant jusqu’en 1756 - lui a permis de réduire l’ensemble de ses observations de distances zénithales effectuées depuis 1749 à Paris et au Cap par élimination de cet effet. Il peut alors publier en 1757 son premier catalogue de 397 étoiles brillantes – la totalité des étoiles du ciel visibles jusqu’à la magnitude 3 - sous le titre d’Astronomiae fundamenta. Quant à sa table des réfractions, elle sera introduite dans la Connaissance des Temps pour l’année 1760 aux côtés de celles de Cassini I établies en 1662 et ce pendant sept années consécutives.

Pascal Descamps

Modifié le 4 mars 2016