La Bibliothèque de l’Observatoire de Paris détient en effet dans ses collections patrimoniales quatre exemplaires de cette œuvre, qui se répartissent ainsi :
- 2 exemplaires de l’édition princeps publiée à Nuremberg en 1543 (cote 1568 et 1569).
- 1 exemplaire de la deuxième édition publiée à Bâle en 1566 (cote 1570).
- 1 exemplaire de la troisième édition publiée par Nicolas Muliers à Amsterdam en 1617 sous le titre Astronomia instaurata libris sex comprehensa , qui de libris De revolutionum orbium coelestium inscribuntur (cote 20405).

L’exemplaire de l’édition de 1543 portant la cote 1568 mérite quelques commentaires. Il est remarquable à plus d’un titre, à la fois en raison des marques de possession et des indications qui figurent sur sa page de titre, et des nombreuses notes de lectures manuscrites qui le parsèment.
Il a appartenu successivement à Caspar Peucer (1525-1602), élève d’Erasme Reinhold à qui l’on doit les Tables Pruténiques fondées sur les paramètres du De revolutionibus (parues en 1551), puis à l’astronome Joseph-Nicolas Delisle (1688-1768), fondateur de l’Observatoire de Saint-Pétersbourg, et dont la riche collection de livres anciens est venue enrichir les fonds de la Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Parmi les notes abondantes (de diverses mains) qui couvrent la page de titre, on trouve celle-ci, bien lisible sous le titre de l’ouvrage : « Copernic est mort le 23 may 1543 quelques heures aprez avoir vû le premier exemplaire de cette edition qui a ete la première. V. sa vie par Gassendi ». Il s’agit là d’une légende née dès 1543, dans les milieux proches du grand astronome, et selon laquelle, alors qu’il était gravement malade et à l’extrême fin de ses jours, l’ouvrage imprimé à Nuremberg est arrivé à Frombork et qu’il a pu le voir avant de s’éteindre.
L’autre note qui couvre la partie droite de la page de titre est composite, et reprend pour l’essentiel des commentaires portés par Jofranco Offusius (fl. 1550) sur d’autres exemplaires du livre de Copernic et repris ici. Elle évoque la théorie astrologique de la domification mise au point par Johannes Schöner, l’estimation des distances géocentriques des planètes selon Offusius, et une série de renvois à des œuvres de Reinhold, Magini et Maestlin.
Un travail d’édition au long cours
L’origine du travail de certains membres de l’Equipe d’Histoire de l’astronomie ancienne rattachée successivement au DANOF, puis au SYRTE, remonte aux années 70 du siècle dernier. Dans le cadre des Célébrations du Cinquième Centenaire de la naissance de Nicolas Copernic en 1473, l’Académie Polonaise des Sciences a lancé une opération éditoriale d’envergure impliquant des chercheurs de plusieurs nationalités. Pour la France, une Recherche Coopérative sur Programme ayant pour objectif l’édition et la traduction d’écrits coperniciens était mise sur pied dès 1972, réunissant un petit noyau de chercheurs (H. Hugonnard-Roche, Michel Lerner et Alain Segonds) autour de Jean-Pierre Verdet, avec l’Observatoire de Paris pour point d’attache. En 1975, ce groupe publie un traduction française du Commentariolus de Copernic, puis, en 1982, une édition critique du texte latin avec traduction et commentaire de la Narratio prima de Georg Joachim Rheticus. Entre temps, le travail d’édition du De revolutionibus est mis en route.
Après les trois éditions historiques de l’œuvre de Copernic publiées entre 1543 et 1617, ont paru au XIXe et au XXe siècle des éditions critiques du De revolutionibus fondées sur le manuscrit autographe de l’auteur qui a survécu — fait exceptionnel pour un ouvrage du XVIe siècle. Ces éditions publiées entre 1873 (édition de Thorn) et 1975 (édition de l’Académie polonaise des sciences, Cracovie-Varsovie) sont de caractère philologique. C’est-à-dire qu’elles postulent que le texte "authentique" du De revolutionibus doit être établi sur la base de sa rédaction la plus ancienne, qui est de surcroît autographe. Mais ce principe, qui est justifié en général pour les éditions de textes littéraires classiques, rencontre des difficultés sérieuses dans le cas du De revolutionibus. En effet, ce n’est pas le texte de l’autographe qui a servi à l’impression, mais une belle copie préparée par Copernic et son disciple Rheticus et emportée par celui-ci chez l’imprimeur à Nuremberg. Or, cette belle copie (perdue) comportait des corrections, des additions, mais aussi des suppressions, par rapport à la version initiale conservée.
Il nous a donc semblé que l’on ne pouvait pas suivre la piste des éditions philologiques, mais qu’il fallait établir notre édition sur la base du texte publié en 1543 (en tenant compte aussi des deux autres éditions historiques). En effet, l’édition princeps a été réalisée partiellement sous le contrôle de Rheticus, le meilleur connaisseur de la pensée de son maître Copernic — ce qui ne nous interdisait pas de tenir compte de l’autographe, non seulement pour corriger des coquilles de l’édition imprimée, mais aussi pour faire connaître au lecteur les passages soit supprimés, soit notablement différents, entre la version manuscrite et le texte imprimé.
Établir le texte critique latin de l’œuvre de Copernic ne suffisait pas. Il fallait aussi en donner une traduction française accompagnée d’un commentaire suivi : sans ces deux éléments additionnels indispensables, le lecteur moderne ne pourrait pas entrer dans la pensée de l’auteur.
Le travail que nous avons réalisé au long cours ne pouvait être que le fruit d’une équipe interdisciplinaire associant les compétences de spécialistes de l’astronomie, des mathématiques, de la philologie, de la philosophie et de l’histoire. Au fil des ans, certains collègues nous ont quittés, d’autres nous ont rejoints : tel est le lot dans le cas d’entreprises de grande envergure, menées à temps partiel et avec des moyens limités. Nous sommes néanmoins parvenus au but longuement recherché, et ce, nous le disons avec gratitude, grâce à l’aide substantielle que nous ont apporté au fil des ans les conservateurs successifs et tout le personnel de la Bibliothèque de l’Observatoire de Paris.
Jusqu’à la publication notre travail, le lecteur français ne disposait que d’une bonne traduction française partielle d’une partie du livre I du De revolutionibus (qui comporte six livres) publiée en 1934 et de commentaires d’ensemble sur cette œuvre, tous dus à Alexandre Koyré. Nous espérons avoir été fidèles à l’esprit de ce grand maître, et aussi avoir comblé avec cette publication une lacune dans le champ bibliographique français.
Michel Lerner