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Y-a-t-il une atmosphère autour de Titania, satellite d’Uranus ?

1er mars 2002 Y-a-t-il une atmosphère autour de Titania, satellite d'Uranus ?

Le 8 septembre 2001 vers 2h TU, l’étoile du catalogue Hipparcos #106829 (alias SAO 164538), de magnitude visible 7.2, a été occultée par Titania. Cet événement, découvert indépendamment par Jean Meeus et par Claudio Martinez (Argentine) fin 1999 et début 2001, a été largement annoncé par l’IOTA (International Occultation Timing Association) au début de l’année 2001 et a suscité une intense préparation dans les différents pays concernés (Figure 1). Bruno Sicardy et Thomas Widemann, avec François Colas, Jean Lecacheux, Sylvain Pau et William Thuillot, de l’Observatoire de Paris, en ont profité pour rechercher une atmosphère autour de Titania, et reportent aujourd’hui les résultats de cette recherche.

L’éclat relativement élevé de l’étoile (7.2) a permis à de nombreux astronomes amateurs et professionnels d’observer conjointement ce phénomène très rare, compte-tenu du très petit diamètre angulaire de Titania sur le ciel (0.11 arcsec). On peut ainsi estimer qu’une telle occultation ne se produit qu’une fois tous les plusieurs millénaires. Les observations ont été faites soit visuellement avec de petits télescopes, soit en enregistrant des images sur support vidéo ou CCD, à raison de plusieurs images par seconde. Le phénomène a été suivi en Europe occidentale, bas sur l’horizon, en Atlantique Nord, aux Caraïbes, et au nord du continent sud-américain, où l’occultation était visible près du zénith.

Figure 1. Le passage de l’ombre portée de l’étoile Hipparcos #106829 occultée par Titania. L’ombre a balayé la surface nocturne de la Terre à une vitesse de 21,3 km s-1, pour une durée maximum de 74 s environ. Le phénomène a pu être observé bas sur l’horizon en France, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, en Algérie, au Maroc, au Portugal, et au voisinage du zénith en mer des Caraïbes (îles Barbades, Tobago, Aruba), ainsi qu’au nord de l’Amérique du Sud, en Equateur et au Vénezuela. Chaque point au centre de la trajectoire indique l’heure de passage du centre de l’ombre en TU par intervalle de 1 minute. La largeur de celle-ci correspond au diamètre physique du satellite, soit 1580 km.

Figure 2. Le disque de Titania superposé aux différentes cordes d’occultation de l’étoile Hipparcos #106829 la nuit du 8 septembre 2001. La portion d’ellipse en trait sombre est l’équateur de Titania, séparant l’hémisphère sud (à gauche) de l’hémisphère nord (à droite). Le petit carré près du limbe sur la gauche indique le pôle sud de Titania. L’immersion a eu lieu à droite, dans l’hémisphère nord (le système d’Uranus était en mouvement rétrograde à l’époque de l’occultation) et l’émersion s’est effectuée à gauche, au voisinage du pôle sud. Chaque tracé parallèle de la figure correspond à l’emplacement d’une station d’observation terrestre qui a pu observer ou enregistrer le phénomène avec succès.

Titania fut découverte en 1787 par William Herschel. Elle porte le nom de la reine des fées, épouse d’Obéron, dans la pièce de William Shakespeare, le Songe d’une nuit d’été, écrite en 1597 (voir ci-dessous le tableau de Frank Cadogan Cowper représentant Titania endormie) http://www.emory.edu/ENGLISH/classe... Tableau de Frank Cadogan Cowper

Ce satellite, constitué de 40 à 50 % de glace, a un diamètre de 1580 km et circule en 8,7 jours dans le plan équatorial d’Uranus, à une distance de 436 000 km de la planète, également découverte par William Herschel en 1781. Sur la portion de l’hémisphère sud observée par la sonde Voyager II en janvier 1986 (Figure 3), la surface est constituée de terrains cratérisés, auxquels se juxtapose un système de vallées mesurant chacune une centaine de kilomètres de long. Comme Uranus, le pôle sud de Titania est resté éclairé plusieurs décennies tandis que l’hémisphère nord restait dans l’ombre, du fait du passage du système d’Uranus au solstice d’hiver en 1985. A l’approche de l’équinoxe de printemps (2006), le réchauffement progressif des régions restées longtemps dans l’obscurité est susceptible de produire par sublimation une atmosphère ténue pour laquelle la méthode de mesure par occultation permet d’établir une limite supérieure en pression.

Figure 3. Le satellite Titania, observé par la sonde Voyager 2 en janvier 1986. Titania, avec un diamètre 1580 km, est le plus gros des satellites d’Uranus. Il représente 60% de la taille de Triton (et 16% de sa masse), ou encore 70% de la taille de Pluton (26% de sa masse), deux corps qui possèdent une atmosphère d’azote (N2). Cependant, étant plus proche du Soleil que Pluton et Triton, Titania est aussi plus chaud, T 60-65K, au lieu de 40K (Grundy et al. 1999, Icarus 142, 536). Ceci rend la présence d’une atmosphère permanente de N2 improbable, car trop volatile. Une atmosphère de vapeur d’eau serait au contraire précipitée sous forme de glace, car Titania est trop froid. Une atmosphère de méthane (CH4) est théoriquement possible. Cependant, il n’y a pas d’indication de présence de CH4 dans les spectres IR de la surface du satellite, ce qui rend la source de cette atmosphère problématique. Cependant, une atmosphère transitoire, constituée de N2, de CO ou NH3 est tout à fait envisageable, dans la mesure où le Soleil commence actuellement à éclairer l’hémisphère nord du satellite, qui a été plongé dans l’obscurité depuis plus de 40 ans.Les données obtenues le 8 septembre ont permis d’établir une limite supérieure de 0.03 microbar pour une atmosphère en équilibre thermodynamique local au voisinage de la surface.

Les données recueillies par les membres de l’Observatoire de Paris à Aruba (T. Widemann) et en Equateur (B. Sicardy, F. Colas, S. Pau) présentent les meilleurs rapports signal sur bruit, grâce à la proximité de l’objet du zénith, à la qualité de l’instrumentation (caméras CCD rapides de l’association IOTA, configurées en mode d’acquisition rapide par W. Beisker). Enfin, grâce à la mobilité de leurs équipes sur le terrain, ils ont pu choisir de manière optimale les sites d’observation quelques heures seulement avant l’événement. Les premières analyses de ces résultats ont permis notamment de : préciser le O-C (position observée - position calculée) de Titania par rapport à une étoile du catalogue Hipparcos, avec une précision de moins de 10 milli-secondes d’arc (mas) retrouver le rayon du satellite avec une précision de l’ordre du km, et détecter sans doute du relief sur le limbe du satellite (Figure 2) donner une limite supérieure très faible pour une atmosphère éventuelle (similaire à celle de Pluton) de Titania : 3.10-8 bar (Figure 4) ; mesurer directement le diamètre angulaire de l’étoile occultée (une géante rouge K0) : 0.55 mas, pour une distance de 170 pc établie par le satellite Hipparcos.

Figure 4. Limites de détection d’une atmosphère planétaire autour de Titania. La figure ci-dessus représente en grisé le flux normalisé de l’étoile Hipparcos #106829, exprimé en fonction de la distance au centre du satellite. Ce flux résulte de l’addition des observations effectuées à Salinas (Equateur) et à Aruba (ex. Antilles Néerlandaises). En trait plein, ce que l’on observerait en absence d’atmosphère (0 bar). En trait mixte, l’effet théorique sur le signal de l’étoile d’une atmosphère isotherme de 0.03 microbar, constituée d’azote N2 à l’équilibre hydrostatique, avec une hauteur d’échelle H = 47 km et une température T = 60 K. En trait pointillé, l’effet théorique d’une telle atmosphère pour un niveau de pression de 0.1 bar. Cette figure montre qu’il existe une limite supérieure de l’ordre de 0.03 microbar à l’existence d’une atmosphère en équilibre à la surface de Titania.

Un site internet a été établi à l’Observatoire de Paris dans le but de présenter les résultats obtenus lors de cette occultation, et de fournir des informations sur les résultats scientifiques déjà obtenus grâce à cet événement exceptionnel. Des informations plus générales sur Titania et sur le phénomène d’occultation sont également fournies, ainsi que le recensement détaillé des toutes les observations connues.

Référence

  • Ces résultats seront publiés prochainement dans des revues à comité de lecture.

Contact

  • Bruno Sicardy
    (Observatoire de Paris (LESIA)
  • Thomas Widemann
    (Observatoire de Paris (LESIA)