L’activité d’une magnétosphère planétaire (mesurée par exemple en termes des flux et énergies des particules chargées qu’elle accélère) est directement liée à son activité aurorale (émissions électromagnétiques -UV et radio basses fréquences, notamment- produites par ces particules accélérées quand elles précipitent vers les régions polaires). Les variations de l’activité aurorale, observables à distance, sont donc un diagnostic de l’activité magnétosphérique globale. Des variations temporelles importantes sont effectivement observées. Elles sont attribuées d’une part à la modulation des processus magnétosphériques induite par la rotation du champ magnétique planétaire (entraînant par exemple une précession de l’axe magnétique), et d’autre part aux fluctuations du vent solaire (densité, vitesse, pression, sens et intensité du champ magnétique interplanétaire) autour de la cavité magnétosphérique. C’est la contribution relative de ces contrôles interne et externe qui va conditionner l’activité magnétosphérique. En première approximation, on peut quantifier le rôle de ces deux "moteurs" via la différence de potentiel induite à travers la magnétosphère par le champ électrique E = V x B induit par chacun d’eux. Dans le cas de la rotation, la vitesse V est la vitesse de corotation (Omega R) du plasma magnétosphérique et B le champ magnétique planétaire. Dans le cas du vent solaire, V est la vitesse d’écoulement du vent et B le champ magnétique interplanétaire. Pour Jupiter, on calcule que le champ électrique de corotation induit une différence de potentiel intégrée sur le rayon de la magnétosphère (environ 4 000 000 km) de 400 MégaVolts, tandis que la convection du vent solaire induit une différence de potentiel de "seulement" 1 MégaVolt entre les flancs de la magnétosphère. La rotation apparaît donc comme le moteur dominant de la dynamique magnétosphérique Jovienne. Pourtant les variations de nombreux processus (émissions électromagnétiques, spectres de particules énergétiques) suggèrent une influence du vent solaire plus profonde que ne le laisse supposer les chiffres ci-dessus.
Figure 1. Rayonnement sur longueurs d’onde hectométriques en fonction du temps, détecté par l’instrument RPWS sur Cassini (Radio and Plasma Wave Science), et sur Galileo par PWS (Plasma Wave Science) durant l’approche de Jupiter par la sonde Cassini. Le signal est moyenné sur la période de rotation de Jupiter, soit 9h55. Trois évènements (A, B, C) sont détectés. A : jours 324 - 330, B : jours 343-351, C : jours 354-358. La comparaison avec le champ magnétique du vent solaire et les paramètres physiques du plasma obtenus avec le magnétomètre MAG de Cassini, et le spectromètre de plama CAPS montre que l’évènement A est précédé par une forte onde de choc interplanétaire à 17h02 UT le jour 323, l’évènement B est précédé par une onde de choc à 23h12 UT le jour 342 et C par un choc à 15h12 UT le jour 354. Les ondes de choc A et B ont été ultérieurement détectées par PWS sur Galileo à 09h15 UT le jour 324 et 12h10 UT le jour 343 respectivement.
Les mesures d’une unique sonde en orbite (comme Galileo) ne permettent en général pas de répondre à la question de l’influence respective de la rotation et du vent solaire sur la magnétosphère, du fait de l’ambiguïté spatio-temporelle intrinsèque de ses mesures : une variation observée est-elle due au déplacement du satellite ou affecte-t-elle globalement la magnétosphère ? Mais fin 2000, la sonde Cassini a survolé Jupiter tandis que Galileo effectuait ses observations en orbite. Cassini a ainsi détecté -par l’intermédiaire de mesures de densité ionique et de champ magnétique- le passage à intervalles de quelques jours de trois ondes de choc dans le vent solaire (appelées "chocs interplanétaires", et se propageant à 500-800 km/s). Les instruments des deux sondes ont alors pu mesurer une intensification de l’activité aurorale radio et UV de Jupiter corrélée à l’impact de ces chocs sur la magnétosphère de Jupiter.
Figure 2. Comparaison pour l’évènement A entre le champ magnétique du vent solaire (instrument MAG sur Cassini), la densité ionique du vent solaire (instrument CAPS sur Cassini), le rayonnement hectométrique (instrument PWS de Galileo), et le rayonnement auroral Extrême Ultra-Violet EUV de la bande H2 (110-113nm, instrument UVIS sur Cassini). Les flèches indiquent le moment où l’onde de choc est détectée par Cassini et Galileo.
Une étude plus quantitative de l’influence relative de la rotation et du vent solaire sur la magnétosphère jovienne passe par des observations globales continues sur une durée supérieure aux phénomènes étudiés (plusieurs mois), de manière à dissocier les échelles de temps en jeu. De telles observations pourraient faire l’objet d’un microsatellite dédié.
Figure 3. Diagramme temps-fréquence obtenu par PWS sur Galileo montrant le flux radio durant l’évènement B. Le moment de la détection par Cassini de l’onde de choc interplanétaire est indiqué par la flèche en haut. On pense que l’arrivée de cette onde de choc sur Jupiter correspond à l’émission continuum confinée à 12h10 UT le jour 343, qui traduit une soudaine compression de la magnétosphère. En bas la palette de couleur (rouge/bleu) indique les moments où la sonde est à l’intérieur ou à l’extérieur de la magnétosphère, sur la base de la présence ou absence de ce rayonnement continu. L’émission du rayonnement hectométrique coincide avec la compression.
Référence
- Gurnett D.A., Kurth W.S., Hospodarsky G.B., Persoon A.M., Zarka P., Lecacheux A., Bolton S.J., Desch M.D., Farrell W.M., Kaiser M.L., Ladreiter H-P., Rucker H.O., Galopeau P., Louarn P., Young D.T., Pryor W.R., Dougherty M.K. "The solar wind control of Jovian hectometric radiation and auroral EUV emissions" Nature, Thursday 28 Feb 2002 R. Prangé, P. Zarka, G. E. Ballester, T. A. Livengood, L. Denis, T. D. Carr, F. Reyes, S. J. Bame, and H. W. Moos "Correlated variations of UV and Radio emissions during an outstanding jovian auroral event" J. Geophys. Res. -Planets, 98, 18779-18791, 1993
Contact
- Philippe Zarka
Observatoire de Paris LESIA - Alain Lecacheux
Observatoire de Paris LESIA