L’image fourmille de détails. Ce grand ovale rempli de points, plus ou moins colorés, plus ou moins chauds, représente avec précision l’intensité du fond de rayonnement cosmologique dans chaque direction du ciel. Il comporte les données soigneusement analysées collectées par le satellite Planck, de l’Agence spatiale européenne ESA, pendant les 15,5 premiers mois de son activité, après son lancement le 14 mai 2009, par Ariane 5, depuis Kourou.
L’instrument haute-fréquence HFI de Planck, construit principalement en France, est né de l’imagination de Jean-Michel Lamarre, l’un des pères de la mission, directeur de recherche émérite CNRS et responsable scientifique de l’instrument au Laboratoire d’Étude du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique LERMA [1], de l’Observatoire de Paris. Depuis quatre ans, le chercheur et son équipe se consacrent intensivement au décryptage des flux de données reçues.
Grâce à ses multiples bandes spectrales, et à sa sensibilité extrême, l’instrument mesure le rayonnement fossile. Mais il permet aussi de sonder et d’éliminer le rayonnement produit par notre galaxie et ses voisines. Il dévoile ainsi un portrait extrêmement précis de l’Univers jeune : un instantané remontant jusqu’à seulement 380 000 ans après le big bang et débarrassé des « avant-plans » qui brouillaient son image.
« Une étape capitale est franchie », estime Jean-Michel Lamarre. « Nos modèles d’Univers devront désormais être compatibles avec les résultats obtenus par Planck et ce sera un véritable défi. »
Dans cette image du ciel, on trouve d’abord une confirmation : le scénario standard du big bang permet toujours d’expliquer les observations de manière spectaculaire. Les chercheurs ont pu calculer les paramètres du modèle avec une précision jamais égalée. Le cosmos se compose aujourd’hui de 4,9 % de matière ordinaire, 26,8 % de matière noire et 68,3 % d’énergie noire. Son histoire aurait débuté il y a 13,82 milliards d’années. Ces chiffres revus et corrigés sont encore bien plus affinés que ceux fournis en 2010 par le prédécesseur Wilkinson Mapping Anisotropy Probe WMAP de la NASA, lancé en 2001.
Faille dans l’harmonie
Mais l’examen approfondi des données révèle des comportements étonnants qui se manifestent particulièrement aux grandes échelles : les variations du rayonnement fossile sur le ciel revêtent une amplitude de seulement 0,003 % environ ; cependant elles s’avèrent encore inférieures de 10 % aux prédictions. L’écart est faible mais définitivement significatif, alors que les fluctuations aux petites échelles sont tout à fait conformes aux prévisions. Une autre anomalie, peut-être reliée à la première, est que le rayonnement fossile observé dans deux hémisphères de directions opposés s’avère d’intensité légèrement différente. Finalement, de grandes régions froides d’origine inexpliquée, sont détectées sans plus aucun doute dans le rayonnement de fond cosmologique.
L’existence de l’asymétrie et des régions froides était suspectée dans les données précédentes de WMAP. La voilà confirmée de façon incontestée. Elle ne saurait provenir ni des avant-plans ni d’un quelconque artefact instrumental. « Les théories de formation et de développement de l’Univers vont devoir en tenir compte. Il faut les repenser, étendre, améliorer, compléter, voire les remettre en cause », commente Jean-Michel Lamarre. Jusqu’ici, le principe cosmologique, voulait que le cosmos se comporte de la même façon en tout lieu et dans toutes les directions. « Il semble bien que Planck ait constaté le contraire, au moins pour une petite fraction mesurable de l’énergie présente. »
Une texture d’Univers plus complexe
Le rayonnement cosmologique reflète les variations de température de l’Univers primordial et les régions de plus ou moins grande densité de la matière qui y régnait. Les zones les plus chaudes et les plus froides sont attribuées aux concentrations de masse portant, en elles, les germes des futures galaxies, étoiles planètes, et de la vie. Leur étude renseigne sur la nature du contenu en matière et en énergie de l’espace-temps.
La perfection d’un objet naturel aussi complexe que l’Univers, tel qu’il apparaissait dans les données jusque-là disponibles était déjà source d’émerveillement infini pour le physicien. Après les données de Planck, elle le reste. Mais les premières failles/lézardes de l’édifice – riches de sens et de découvertes potentielles – viennent peut-être d’apparaître.
L’Univers selon Planck
- 4,9 % de matière ordinaire
- 26,8 % de matière sombre
- 68,3 % d’énergie noire
- 67,15 km/s/Mpc d’expansion
- 13,82 milliards d’années
Référence
Les résultats évoqués ici font l’objet de 29 articles scientifiques qui seront bientôt publiés par la revue européenne Astronomy & Astrophysics. Les premières versions préliminaires paraissent sur internet jeudi 21 mars 2013.
En savoir plus sur le satellite Planck
Planck est un satellite de l’Agence spatiale européenne ESA, réalisé par Thales et lancé le 14 mai 2009 par Ariane 5, depuis Kourou, Guyane. Depuis, il observe la lumière émise par l’Univers à ses premiers instants. L’objectif est de mieux comprendre la géométrie et le contenu du cosmos, de remonter aux inhomogénéités à peine perceptibles, ancêtres supposés des galaxies.
Le satellite de 4 m x 4 m x 4,2 m embarque un télescope de 1,5 m de diamètre et deux instruments qui cartographient le rayonnement entre 0,3 mm et 1 cm de longueur d’onde. Le High Frequency Instrumet HFI français comporte 52 bolomètres refroidis à un dixième de degré au-dessus du zéro absolu et sensibles à des rayonnements inférieurs à 10 milliardièmes de milliardième de watt : une prouesse technologique.
L’instrument Planck-HFI a été conçu et fabriqué par un consortium international de laboratoires, universités et instituts, avec d’importantes contributions de l’industrie. Il a été financé en particulier par le CNES, le CNRS, la NASA, le STFC et l’ASI. Il a été réalisé sous la direction de l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay [2], par un consortium international de laboratoires de recherches, qui incluent le LERMA à l’Observatoire de Paris et Astroparticule et Cosmologie APC [3]. L’Institut d’Astrophysique de Paris [4], est impliqué dans le développement des objectifs scientifiques et la conception du traitement des données.
Equipes scientifiques
Jean-Michel Lamarre, Alain Coulais, Édith Falgarone, François Levrier travaillent depuis 10-20 ans sur le projet Planck au LERMA. Ils analysent activement les données de vol. L’équipe APC, sur le site de l’Université Paris Diderot, est placée sous la direction de Yannick Giraud-Héraud.
[1] Le Laboratoire d’étude du rayonnement et de la matière en astrophysique - LERMA est un département scientifique de l’Observatoire de Paris et une unité de recherche Observatoire de Paris/CNRS/Université de Cergy Pontoise/Université Pierre et Marie Curie UPMC/Ecole Normale Supérieure
[2] L’Institut d’Astrophysique Spatiale est associé au CNRS et à l’Université Paris-Sud
[3] Le laboratoire Astroparticule et Cosmologie est membre du campus Paris-rive gauche de l’Université Paris Diderot. Il est associé au CNRS, au CEA et à l’Observatoire de Paris
[4] L’Institut d’Astrophysique de Paris est associé au CNRS et à l’Université Pierre et Marie Curie
Dernière modification le 21 décembre 2021