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Matière noire et galaxies à anneaux polaires

1er avril 2003 Matière noire et galaxies à anneaux polaires

Les galaxies à anneaux polaires sont des objets rares et très particuliers. Comprendre comment elles se sont formées permet de mieux connaître les mécanismes d’évolution des galaxies. Une équipe de l’Observatoire de Paris vient d’étudier la formation des anneaux polaires lors d’interactions ou de collisions de galaxies. Etudier la cinématique interne des anneaux polaires permet également d’obtenir des informations sur la façon dont la matière noire se répartit autour des galaxies.

Les galaxies à anneaux polaires

Figure 1 - La galaxie à anneau polaire NGC4650A (photo VLT/ESO). L’anneau polaire est la plus grande des deux structures ; la plus petite est la galaxie hôte. Dans ce cas, l’anneau est plus étendu que la galaxie hôte elle-même, mais dans d’autres cas, l’anneau polaire est petit et fin. Les galaxies à anneaux polaires sont constituées de deux systèmes : une galaxie hôte et un anneau polaire (voir Figures 1 et 2). La galaxie hôte est un ensemble d’étoiles comme notre propre galaxie, de forme aplatie, généralement un disque en rotation. Elle est entourée d’un anneau lui-aussi en rotation, formé d’étoiles et de gaz interstellaire. L’anneau est perpendiculaire au plan de rotation de la galaxie hôte, d’où le nom d’anneau polaire. L’anneau est plus riche en gaz insterstellaire que la galaxie hôte, ce qui implique qu’il s’est formé après celle-ci, et non en même temps.

Figure 2 - Quatre exemples de galaxies à anneaux polaires (d’après Whitmore et al. 1990). Remarquer les différences de rayon et de finesse d’un anneau à l’autre. La galaxie NGC4650A (Figure 1) est ici en haut à gauche. Les vitesses de rotation des disques galactiques sont trop élevées pour être expliquées par la seule masse visible. On en déduit la présence d’une grande quantité de matière non observée : la matière noire. On dit que les galaxies baignent dans un halo de matière noire, dont on aimerait connaître la forme (sphérique ou aplatie). La présence de deux systèmes en rotation dans deux plans différents, la galaxie hôte et l’anneau polaire, est une situation idéale pour sonder la répartition spatiale de la matière noire (donc la forme du halo) et en déduire des informations sur sa nature.

La formation des anneaux polaires

La première question qui a été abordée est celle de la formation des anneaux polaires. Deux hypothèses avaient été émises : soit l’anneau se forme lors d’une collision frontale de deux galaxies, soit il est le résultat d’une interaction à distance entre deux galaxies. Des simulations numériques, reproduisant la dynamique des étoiles et du gaz interstellaire, ainsi que la formation d’étoiles dans le milieu interstellaire, ont été utilisées pour étudier ces deux mécanismes. En comparant le résultat des simulations aux observations de plusieurs galaxies à anneaux polaires, il s’est avéré que la majorité des anneaux polaires (voire la totalité) est le résultat d’une interaction à distance entre deux galaxies. Les effets de marée qui se produisent lors d’une telle interaction déforment une des deux galaxies jusqu’à arracher une partie de sa matière, sous la forme d’un pont de matière appelé queue de marée. Cette dernière vient s’enrouler autour de l’autre galaxie pour former l’anneau polaire. Les deux systèmes s’éloignent ensuite, et l’interaction a formé une galaxie à anneau polaire tout à fait semblable à celles que l’on observe (voir Figure 3).

Figure 3 - Simulation numérique de la formation d’un anneau polaire lors de l’interaction à distance de deux galaxies. Au départ, la future galaxie hôte, au centre, est une galaxie spirale normale. Une autre galaxie s’approche à courte distance, mais sans entrer en collision. La future galaxie hôte exerce des forces de marée qui déforment la seconde galaxie, au point de lui arracher une grande partie de sa matière, qui s’enroule sous forme d’un anneau polaire autour de la galaxie hôte. Les deux galaxies se séparent ensuite, et il reste une galaxie à anneau polaire semblable à celles observées (dans cette simulation, le compagnon, qui a perdu une grande partie de son gaz, s’échappe et s’éloigne à jamais.).

Anneaux polaires et matière noire

Dans le cas des galaxies à anneaux polaires, la présence de deux systèmes distincts permet de sonder la distribution spatiale de la matière noire. En effet, plus un système contient de matière noire, plus sa vitesse de rotation est élevée. En comparant la vitesse de rotation de l’anneau polaire à celle du disque de la galaxie hôte, on peut savoir si la distribution de matière noire est sphérique (les deux vitesses sont alors voisines) et si la matière noire est aplatie le long de la galaxie hôte, ou de l’anneau polaire. La Figure 4 effectue cette comparaison, en testant pour les anneaux polaires la relation entre luminosité totale et vitesse de rotation. Toutes les galaxies à disque vérifient une loi, dite relation de Tully-Fisher, entre leur luminosité L et leur vitesse de rotation V : L = k V4. La droite verte représente cette relation dans la Figure 4 (chaque point vert représente une galaxie normale). Par contre les anneaux polaires ne vérifient pas la même relation. Leur vitesse de rotation correspond aux symboles bleus dans la Figure. Pour une luminosité donnée, les anneaux polaires tournent plus vite que les galaxies hôtes. La matière dans l’anneau perpendiculaire tourne plus vite que dans le plan équatorial. Cela indique la présence de plus de masse dans les anneaux polaires que dans les galaxies hôtes, alors même que la masse visible est plus petite dans les anneaux. La comparaison de ces données observationnelles aux résultats des modèles numériques montre que la seule explication possible est que le halo de matière noire soit fortement aplati le long de l’anneau polaire.

Figure 4 - Relation entre luminosité totale et vitesse de rotation pour les galaxies à anneau polaire (points bleus). Horizontalement est portée la vitesse dans l’anneau (en logarithme log (V)), et verticalement la magnitude M (ou 2.5 x logarithme de la luminosité). La relation (appelée relation de Tully-Fisher) pour les galaxies normales est représentée en vert. les points verts représentent chacun une galaxie normale. Toutes les galaxies à disques, et en particulier les galaxies hôtes des anneaux polaires, vérifient cette relation (Luminosité proportionnelle à vitesse4). L’aplatissement du halo de matière noire le long des anneaux polaires peut être confronté au mécanisme de formation de ces anneaux. Les deux résultats indépendants sont que les anneaux se forment lors de l’interaction à distance de deux galaxies par effet de marée, et que le halo de matière noire est aplati le long de l’anneau polaire dans le système final. La seule hypothèse qui permet d’expliquer ces deux résultats simultanément est qu’une partie de la matière noire soit du gaz froid. Ce gaz est transféré d’une galaxie vers l’anneau polaire lors de l’interaction qui forme l’anneau, de la même façon que le gaz interstellaire visible ; le halo qu’il forme est alors très aplati le long de l’anneau polaire. Autour des galaxies spirales normales, telle la nôtre, se trouveraient donc de grandes quantités de gaz froid, non observé à ce jour, qui serait une partie de la matière noire de l’Univers.

Référence

  • F. Bournaud and F. Combes, Formation of polar ring galaxies, Astronomy and Astrophysics, 2003, in press. Prépublication : astro-ph/0301391 E. Iodice, M. Arnaboldi, F. Bournaud, F. Combes, L.S. Sparke, W. van Driel, M. Capaccioli, Polar Ring Galaxies and the Tully-Fisher Relation : Implications for the Dark Halo Shape, Astrophysical Journal, 2003, 585, 730. Prépublication : astro-ph/0211281

Contact

  • Frédéric Bournaud (Observatoire de Paris, LERMA)
  • Francoise Combes (Observatoire de Paris, LERMA)