La comète C/2002 C1 (Ikeya-Zhang) a promené sa chevelure dans notre ciel de printemps. Découverte le 1er février 2002 par Kaoru Ikeya et Daqing Zhang, cette comète était visible à l’œil nu aux mois de mars et avril 2002. Avec une magnitude visuelle de 3 à son maximum d’éclat fin mars, c’était la comète la plus brillante depuis le passage de la comète Hale-Bopp en 1997. Ikeya-Zhang est passée au plus près du Soleil le 19 mars, à une distance de 0,507 UA (1 UA = 150 millions de km), et au plus près de la Terre le 29 avril, à la distance de 0,405 UA. On doit son éclat exceptionnel à la conjonction de ces rapprochements ainsi qu’à l’importante quantité de gaz et de poussières libérés par son noyau. Avec une période autour du Soleil de 360 ans environ, ce n’est pas la première fois que la comète Ikeya-Zhang nous rend visite. Elle est sans doute la comète de 1661 (C/1661 C1), observée par J. Hevelius.
Pourquoi observer la vapeur d’eau dans les comètes ?
Suite à sa découverte, les astronomes se sont vite mobilisés pour étudier les gaz et les poussières libérés par cette comète. Les comètes sont en effet riches d’enseignement sur l’origine et la formation du Système solaire. Composées à 80% d’eau, les glaces des noyaux cométaires renferment aussi toute une variété de molécules qui tracent la composition de la nébuleuse primitive au moment de la formation des planétésimaux. Notre connaissance actuelle des comètes laisse soupçonner qu’une grande partie de ces molécules ont été formées dans le nuage interstellaire primordial, avant que celui ci ne s’effondre pour former le Système solaire.
Les comètes étant des objets variables, les mesures de composition basées sur l’observation des composés présents dans l’atmosphère doivent être rapportées à la quantité de molécules d’eau libérées par le noyau. L’eau est toutefois impossible à observer directement du sol, en raison de la vapeur d’eau de l’atmosphère terrestre qui absorbe les rayonnements venus de l’espace. Le plus souvent, le taux de production en eau des comètes est déduit de l’observation du radical OH. Ce radical est produit par la dissociation de l’eau sous l’influence des rayonnements UV du Soleil. L’observation des raies à 18 cm de OH dans les comètes est un des programmes-clés du radiotélescope de est un petit satellite construit par la Suède (maître d’œuvre), en collaboration avec le Canada, la Finlande et la France, et qui a été lancé en février 2001. A vocation astronomique et aéronomique, il permet l’observation de plusieurs raies radio de molécules inaccessibles du sol, dont la raie fondamentale à 556,9 GHz (soit une longueur d’onde de 0,54 mm) de la molécule d’eau. Son radiomètre est constitué d’une antenne de 1,1 m de diamètre, de plusieurs récepteurs couvrant la bande 480-580 GHz, et d’un ensemble de spectromètres (acousto-optique et à autocorrélation). Le spectromètre acousto-optique a été développé sous la responsabilité du CNES par trois laboratoires du CNRS : le LAS à Marseille, le CESR à Toulouse, et l’ancien département ARPEGES de l’Observatoire de Paris. Carte de la distribution de brillance en H216O obtenue le 21 avril 2002 Le lobe du radiotélescope a une largeur de 2 minutes d’arc. La carte a été obtenue en 6 heures d’intégration et une cinquantaine de positions pointées dans le ciel, en utilisant le spoectromètre acousto-optique. Les iso-contours correspondent à l’aire intégrée sous la raie exprimée en K km/s.L’observation de l’eau dans les comètes est l’un des thèmes principaux du programme scientifique d’Odin. La sensibilité de son radiomètre permet de détecter l’eau dans des comètes faiblement actives, et sa haute résolution spectrale (correspondant à une résolution en vitesse de 80 m/s avec les autocorrélateurs) de mesurer le profil de la raie. La première comète détectée avec le satellite Odin a été la comète C/2001 A2 (LINEAR), observée de fin avril à début juillet 2001.La comète Ikeya-Zhang a été observée du 21 au 29 avril 2002. Une cartographie détaillée de l’émission de l’eau à 557 GHz a été effectuée. L’intensité de la raie au centre de la carte a atteint 27 K km/s le 21 avril (signal intégré sur le profil de la raie), pour lentement diminuer au cours des jours suivants alors que la comète s’éloignait sensiblement du Soleil. Ces observations ont permis d’estimer la production en eau de la comète à environ 2 x 1029 molécules par seconde (soit 6 tonnes par seconde) pendant la période d’observations. Le profil de la raie, très précisément mesuré, nous renseigne sur la vitesse des molécules et sur leurs mécanismes d’émission. On observe que le centre de la raie est décalé vers les vitesses positives, ce qui traduit ici des effets d’auto-absorption dans l’atmosphère de la comète.La détection de H218O La forte activité de la comète Ikeya-Zhang, combinée à une distance rapprochée de la Terre, autorisait à envisager un programme d’observation un peu plus ambitieux pour cette comète. C’est ainsi que la variété isotopique de l’eau H218O a été recherchée et détectée avec succès.L’oxygène existe sous trois variétés isotopiques stables : 16O, qui est l’isotope principal le plus abondant, 17O et 18O. Dans l’eau terrestre, les rapports H216O/H218O et H216O/H217O sont dans les proportions 499 et 2681, respectivement. Le rapport H216O/H218O avait été mesuré in situ dans la comète de Halley à partir des spectromètres de masse à bord de la sonde Giotto de l’Agence spatiale européenne. C’est la première fois, avec Odin, qu’une mesure spectroscopique peut être effectuée. Le spectre de la raie de H218O à 547,7 GHz détectée dans la comète Ikeya-Zhang a été obtenu en 45 heures d’observation avec le satellite ODIN, et un temps d’intégration effectif sur la comète de 28 heures. La raie a été observée en parallèle avec deux des quatre récepteurs sub-millimétriques, dont les fréquences centrales sont 549 et 555 GHz. Les sorties des récepteurs étaient connectées aux auto-corrélateurs à haute résolution et au spectromètre acousto-optique. Le signal intégré de la raie de H218O dans la comète s’est révélé, comme prévu, faible (0.24 K km/s). La détection réussie démontre l’excellente capacité de l’instrument Odin, qu’il s’agisse de la sensibilité des récepteurs, de la stabilité du système ou de la qualité du pointage du télescope. La mesure préliminaire du rapport H216O/H218O dans la comète Ikeya-Zhang est en accord avec celui trouvé dans les océans terrestres (500), confirmant les déterminations faites dans la comète de Halley. Ce résultat n’était pas inattendu. A peu d’exceptions près, tous les corps du Système solaire présentent un rapport quasi-terrestre. Des différences pouvant atteindre au maximum 5% sont observées dans les météorites. Ces variations s’expliquent par la diversité des sources de nucléo-synthèse produisant 16O (des supernovae), dans l’environnement où le Soleil s’est formé.
Chercheurs français impliqués
- Alain Lecacheux, LESIA, Observatoire de Paris,
- Nicolas Biver, ESA ESTEC,
- Jacques Crovisier, LESIA, Observatoire de Paris
- Dominique Bockelée-Morvan, LESIA, Observatoire de Paris
Références :
- Lecacheux, "Comet C/2001 A2 (LINEAR) IAU Circ 7706, 2001 A. Lecacheux, N. Biver, "Comet C/2002 C1 (Ikeya-Zhang) IAU Circ 7910, 2002