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Détection de l’ammoniac trois fois deutéré : la première molécule trois fois deutérée dans le milieu interstellaire

1er mai 2002 Détection de l'ammoniac trois fois deutéré : la première molécule trois fois deutérée dans le milieu interstellaire

Pour la première fois, une molécule dans laquelle l’hydrogène est substitué 3 fois par le deutérium, a été découverte dans le milieu interstellaire, par un groupe international comprenant des astronomes de l’Observatoire de Paris. La molécule est l’ammoniac NH3, et sa version trois fois deutérée ND3. Etant donné que l’abondance relative du deutérium par rapport à l’hydrogène, attendue après la nucléosynthèse du Big-Bang est très basse (D/H 2 10-5), l’existence d’une telle molécule est une surprise.

On a observé déjà des molécules contenant du deutérium, avec un ou deux hydrogènes substitués par du deutérium, dans le milieu interstellaire avec une sur-abondance, due à un processus d’enrichissement appelé le fractionnement isotopique. Mais une molécule triplement deutérée exige un enrichissement extrême. ND3 a été détecté par sa première transition de rotation à une fréquence de près de 310 Giga Hertz, dans deux sources interstellaires, dans le nuage interstellaire Barnard 1 et la région de formation stellaire NGC 1333. Dans la direction de ces deux sources, le fractionnement en deutérium est très élevé, et le rapport d’abondance [NH3]/[ND3] est approximativement 1000. Les modèles chimiques préliminaires indiquent que le fractionnement en deutérium de l’ammoniac est réalisé principalement en phase gazeuse par des réactions ion-molécule. Un meilleur accord est obtenu quand les recombinaisons dissociatives des ions contenant partiellement du deutérium ont une probabilité légèrement plus élevée d’éjecter des atomes d’hydrogène plutôt que du deutérium.

Pourquoi des molécules deutérées

Le deutérium est un isotope rare de l’hydrogène, avec un rapport d’abondance assez bien déterminé dans le milieu interstellaire de D/H = 1.5 10-5. Une chimie riche et active est présente dans les nuages moléculaires denses froids, où la température est seulement de 10 K et la densité 10 000 molécules par centimètre cube. La molécule principale est l’hydrogène moléculaire, mais beaucoup d’autres molécules ont été détectées (cf une liste de molécules interstellaires). Ces molécules sont les traceurs importants des conditions physiques et de l’évolution du milieu interstellaire dense. En effet, les molécules sont les meilleures sondes des phases très froides des nuages moléculaires avant la formation d’étoile et au tout début de l’évolution des étoiles nouvellement formées. En dépit de la faible abondance du deutérium, on observe maintenant la plupart des contre-parties deutérées des molécules interstellaires hydrogénées, comme DCN pour HCN. Le rapport d’abondance de la molécule deutérée à la molécule hydrogénée (par exemple [DCN]/[HCN]) est toujours bien supérieur à celui des atomes, avec des valeurs typiques de plusieurs pourcents. Ce fractionnement très important est le résultat des réactions ion- molécule qui favorisent la substitution d’un atome d’hydrogène par un deutérium aux faibles températures. Par exemple, aux températures inférieures à 50 K, la réaction

H3+ + HD H2D+ + H2 Les chercheurs de l’Observatoire de Paris participent activement à l’astro-chimie, et sont particulièrement intéressés à développer des modèles de chimie des nuages interstellaires (E. Roueff et collègues - LUTH) et effectuer des observations (M. Gerin et al. - LERMA). L’ammoniac est parmi les premières molécules détectées dans le milieu interstellaire. L’ammoniac est présent dans les coeurs denses, avant ou juste aprés la formation de nouvelles étoiles. Des cartographies de l’ammoniac simplement deutéré NH2D ont été effectuées récemment, établissant que le fractionnement est très important dans une grande variété de sources (Tiné et al. 2000, Saito et al. 2000, Shah et Wootten 2001). L’ammoniac doublement deutéré a été plus tard détecté dans deux coeurs denses et froids par la même équipe (Roueff et al, 2000) et d’autres chercheurs français (Loinard et al. 2001). La détection de l’ammoniac triplement deutéré était le prochain défi.