Quatre ans après la fin de la mission Rosetta de l’Agence Spatiale Européenne, un travail de détective combinant les données de plusieurs instruments à bord de l’atterrisseur Philae et de l’orbiteur Rosetta a permis d’identifier sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, aussi surnommée « Tchouri », le deuxième site d’atterrissage de Philae.
Largué le 12 novembre 2014, Philae a bien atterri sur le site initialement prévu, Agilkia, mais n’a pas pu s’y ancrer à cause d’une défaillance de ses harpons. L’atterrisseur a donc rebondi et commencé un vol aventureux au-dessus de la comète, pendant deux heures. Sa trajectoire a minutieusement été reconstituée.
Philae a ainsi survolé la dépression Hatmehit au-dessus du petit lobe de la comète avant de heurter le bord d’une falaise. Ce choc l’a projeté vers un deuxième site d’atterrissage, identifié dans la présente étude, où il a passé 2 minutes avant de rebondir une dernière fois, et stopper sa trajectoire sur le site Abydos. C’est dans ce lieu abrité et mal illuminé par le Soleil, que Philae a été retrouvé le 2 septembre 2016, 22 mois après avoir été perdu et quelques semaines seulement avant la fin de la mission Rosetta.

Le deuxième site d’atterrissage est constitué d’un ensemble de rochers dont la forme rappelle celle d’un crâne.
C’est grâce aux magnétomètres de l’instrument ROMAP, dont la perche de 48 cm a percuté le terrain, que le début et la durée - deux minutes - de cet atterrissage ont pu être établis.
Une découverte par un effet mécanique de Philae
ROMAP a aussi permis de déterminer que Philae ne s’est pas simplement posé, mais qu’il s’est enfoncé d’environ 25 cm dans le sol, sur une crevasse.
Ses multiples contacts avec la surface ont alors produit des changements morphologiques locaux qui ont pu être identifiés à l’aide du système d’imagerie OSIRIS, par comparaison entre des images à haute résolution spatiale prises avant et après l’atterrissage.
Le contact de Philae a soulevé la poussière sombre recouvrant la surface et mis au jour de la matière enfouie, bien plus primitive, 6 à 8 fois plus brillante que la comète.
L’analyse conjointe des données et des images d’OSIRIS et du spectromètre VIRTIS de Rosetta a révélé que cette zone brillante était de la glace d’eau fraichement exposée d’une surface d’environ 3,5 mètres carrés.
Implication des chercheurs de l’Observatoire de Paris - PSL
À l’Observatoire de Paris - PSL, les scientifiques du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique - LESIA (Observatoire de Paris - PSL / CNRS / Sorbonne Université / Université de Paris) ont travaillé en particulier sur l’identification et la composition de la matière sous-surfacique exposée par Philae.
Ils ont trouvé que l’abondance de la glace d’eau est de 46 %, une valeur parmi les plus élevées déjà mesurées à la surface de la comète.
Le rapport massique roches/glace de 2,3 qui en a été déduit est quant à lui conforme à des valeurs déjà obtenues sur de la glace fraichement exposée sur le site Aswan, à la suite de l’effondrement d’une falaise dû à un sursaut d’activité cométaire, alors que la valeur globale pour le noyau de la comète est supérieure à 3.

Le simple fait que Philae ait laissé son empreinte sur la paroi d’une crevasse a permis de mesurer in situ différentes propriétés physiques :
- une composition sous-surfacique riche en glace d’eau ;
- la force de résistance à la compression de ce mélange de glace et de poussières vieux de plusieurs milliards d’année est extraordinairement faible (< 12 Pascals) ; en d’autres termes, la consistance de cette matière est plus légère que celle de la neige fraîchement tombée ;
- une porosité des rochers qui s’avère localement très élevée (75%).
Ces résultats sur la composition, la dureté et la porosité sont très importants non seulement pour comprendre la nature de la comète 67P, mais également pour la conception des futures missions destinées à l’étude in situ des comètes, et à leur échantillonnage.
Bibliographie
L’étude “The Philae lander reveals low-strength primitive ice inside cometary boulders,” par O’Rourke L, Heinisch P., Blum J., Fornasier S., Filacchione G., et al. paraît dans la revue Nature, le 28 octobre 2020.
DOI :10.1038/s41586-020-2834-3.
URL : https://www.nature.com/articles/s41586-020-2834-3