Les galaxies évoluent très rapidement, dans un temps court par rapport à l’âge de l’Univers, et peuvent changer drastiquement de morphologie. Il avait déjà été établi par des simulations numériques qu’une galaxie barrée peut voir sa barre détruite par la concentration de gaz interstellaire dans le noyau, et le type d’une galaxie passer de spirale barrée à non-barrée et dans le même temps, la galaxie étant plus concentrée, sa morphologie remonte la classification de Hubble vers les types "précoces". De nouvelles simulations numériques par deux astronomes de l’Observatoire de Paris montrent pour la première fois comment l’accrétion de gaz dans une galaxie peut conduire à la formation d’une nouvelle barre, et comment la galaxie descend alors la séquence de Hubble vers les types tardifs. Plusieurs barres peuvent se succéder ainsi dans une même galaxie spirale, et ces barres sont des ondes de densité dont la vitesse de rotation est de plus en plus rapide.
Les galaxies se distribuent selon leur morphologie sur la séquence de Hubble, qui est le fameux diapason reproduit sur la Figure 1. Les deux branches du diapason représentent deux variétés, les galaxies spirales barrées et non-barrées. Les barres sont un des moteurs essentiels de l’évolution des galaxies, elles existent dans les 2/3 des galaxies spirales (plus précisément un tiers des galaxies possède une barre forte, de type SB, un tiers une barre intermédiaire, type SAB, et un tiers n’ont pas de barre, type SA). Le diapason en fait devrait être généralisé à toutes les intensités de barre possibles.
Figure 1. Séquence de Hubble des galaxies. De gauche à droite, les galaxies elliptiques, puis les galaxies spirales dites "précoces", et enfin les galaxies spirales "tardives". La Séquence est Sa —> Sb —> Sc. Les galaxies spirales sont des disques aplatis, mais contiennent aussi un composant sphéroide en leur centre, ou "bulbe". Le rapport bulbe sur disque croît de la droite vers la gauche. Il y a deux branches de galaxies spirales : les barrées et les non-barrées. Les premières constituent un peu plus des 2/3 des galaxies spirales.
Les barres sont des ondes de densité qui peuvent se développer spontanément dans un disque galactique, soumis à sa propre gravitation. Toute la matière participe à cette instabilité gravitationnelle, gaz interstellaire et étoiles. Un disque est d’autant plus instable qu’il est "froid", c’est-à-dire que sa dispersion de vitesses (ou mouvements désordonnés) est faible, et sa vitesse de rotation (mouvement ordonné) est forte. La barre est une perturbation qui brise la symétrie axiale du disque galactique, et par là crée des forces gravitationnelles tangentielles. Ces forces résultent en couples de torsion sur les bras spiraux de la galaxie, et aident à transférer le moment cinétique du gaz interstellaire vers l’extérieur, ce qui permet à une grande masse de gaz de tomber vers le centre. L’action de la barre est donc de provoquer des flambées de formation d’étoiles dans les centres des galaxies, lorsque ceux-ci sont alimentés en gaz. De nombreux travaux ont montré ces dernières années comment l’accumulation de masse vers le centre détruit progressivement la barre (e.g. Pfenniger et Norman 1990, ApJ 363, 391 ; Hasan et al. 1993, ApJ 409, 91). En effet, la concentration de masse et la formation d’un bulbe, stabilise le disque qui est alors moins soumis à sa propre gravitation. Les barres seraient l’agent de leur propre destruction, puisque c’est sous leur action qu’a lieu la concentration de masse.
Figure 2. Evolution de l’intensité de la barre en fonction du temps, dans la simulation de la Figure 3. Pourtant la majorité des galaxies sont barrées. Il est donc nécessaire de trouver un mécanisme qui reforme les barres. Dans un travail récent, Frédéric Bournaud et Françoise Combes proposent que l’accrétion de grandes quantités de gaz par les disques galactiques provoque à nouveau la formation de barres, dans une galaxie ou le rapport de masse entre disque et bulbe se ré-équilibre au profit du disque, qui devient alors plus auto-gravitant, et donc plus instable. Le disque est alors aussi plus "froid", car la dispersion de vitesse du gaz est bien inférieure à celles des étoiles, le gaz perdant de l’énergie par rayonnement.
Figure 3. Evolution d’une galaxie spirale, avec accrétion de gaz. La séquence animée est une simulation auto-gravitante, prenant en compte les étoiles et le gaz. De nouvelles étoiles se forment constamment à partir du gaz, selon une loi proportionnelle à la densité locale de gaz. Les étoiles vieilles sont en rouge, les étoiles jeunes en bleu, le gaz est en jaune. Après le développement d’une spirale, une barre se forme par instabilité du disque dans les premiers 500 millions d’années. Cette barre va bientôt s’affaiblir, puis disparaître, mais d’autres barres vont la remplacer, par exemple la seconde forte barre au bout de 7 milliards d’années, à la fin de l’animation. Les galaxies barrées actuelles pourraient en être à leur troisième ou quatrième épisode barré. Recharger l’image, pour redémarrer le film
L’accrétion de gaz pourrait même conduire à une série de formation de barres successives, selon un mécanisme d’auto-régulation. Dés que suffisamment de gaz s’est établi dans le disque, une barre se forme, produit des couples sur les bras spiraux, et produit une accumulation de masse vers le centre qui affaiblit ou détruit la barre. En présence d’une barre forte, les couples qui changent de signe à l’extérieur du disque, empêchent le gaz externe de rentrer dans le disque. Un fois la barre disparue, le gaz pourra à nouveau s’établir dans le disque, et le processus pourra recommencer (voir l’évolution de la force de la barre en fonction du temps de la figure 2 et le film de la figure 3).
Figure 4. Evolution de la vitesse de rotation de l’onde barrée en fonction du temps, au cours de la simulation de la Figure 3, avec accrétion de gaz. Après une diminution naturelle au cours du premier épisode barré, l’accrétion augmente la vitesse de rotation et la deuxième barre est plus rapide que la première. Une des conséquences de ce processus est de faire évoluer les galaxies sur la séquence de Hubble, non seulement d’un côté ou de l’autre du diapason, mais aussi de les faire descendre vers des types plus tardifs Sa —> Sb —> Sc, de les rajeunir en quelque sorte, alors que l’évolution naturelle est de concentrer la masse et de remonter la séquence Sc —> Sb —> Sa. L’évolution à long-terme serait toujours dans ce sens, mais avec quelques reculs vers des états plus "jeunes". De même, la vitesse de rotation de l’onde barrée, qui normalement décroît avec l’évolution, pourrait croître à nouveau, comme le montre les simulations (cf figure 4). Les galaxies ne sont pas isolées, mais sont des systèmes en formation, qui continuent à se nourrir de gaz à partir du milieu inter-galactique, plus ou moins riche selon l’environnement. En quelque sorte, l’accrétion de gaz serait une fontaine de jouvence pour les galaxies !
Référence
- Bournaud F., Combes F., 2002 "Gas accretion on spiral galaxies : bar formation and renewal" Astronomy and Astrophysics in press astro-ph/0206273