Illustration par défaut

La galaxie naine du Sagittaire est-elle un débris du Grand Nuage de Magellan ?

1er février 2002 La galaxie naine du Sagittaire est-elle un débris du Grand Nuage de Magellan ?

La galaxie naine du Sagittaire est notre voisine la plus proche. Elle n’a pourtant été découverte que très récemment, en 1994, tant elle est cachée par les étoiles et la poussière de notre propre Galaxie, la Voie Lactée. Il est pourtant possible aujourd’hui de mieux la connaître, grâce à des étoiles variables, les RR Lyrae, dont cette galaxie naine est particulièrement riche. Dans un article récent, Patrick Cseresnjes, de l’Observatoire de Paris, démontre pour la première fois que Sgr-dw n’est pas typique d’autres satellites de la Voie Lactée, mais révèle des similitudes frappantes avec le Grand Nuage de Magellan. Il propose et argumente le scénario surprenant et original selon lequel les deux galaxies auraient une origine commune.

La galaxie naine du Sagittaire (Sgr par la suite) est un objet des plus intéressants. Situé à seulement 24 kiloparsecs du soleil et 16 kiloparsecs du centre galactique (soit 75 000 et 50 000 années-lumière respectivement), c’est le satellite connu le plus proche de la Voie Lactée. Malgré cette proximité, Sgr a été découverte tout récemment ( Ibata, Gilmore et Irwin 1994 ) parce qu’elle nous est cachée par les étoiles galactiques et la poussière d’avant plan. Sgr est maintenant en cours de digestion par notre propre Galaxie après sa destruction complète provoquée par les forces de marées Galactiques, prouvant qu’au moins une partie du halo stellaire est formé de l’accrétion de plus petits constituants. Cependant, nous manquons toujours d’une compréhension claire de cette galaxie parce que la contamination par les étoiles galactiques de premier plan et l’extinction variable par la poussière rendent presque impossible l’obtention d’un échantillon propre d’étoiles appartenant à Sgr.

Figure 1. Emplacement de la galaxie naine du Sagittaire. La ligne de visée vers l’extension nord de Sgr croise le disque et le bulbe de notre propre galaxie avant d’atteindre la galaxie satellite.

Heureusement, Sgr contient une quantité considérable d’étoiles RR Lyrae. Ces étoiles variables ont des courbes de lumière caractéristiques et peuvent facilement être détectées et séparées des étoiles de la Galaxie. En effet, une fois leur type identifié par leur courbe de lumière, on peut en déduire leur luminosité absolue, et la mesure de leur luminosité apparente donne alors leur distance. Utilisant deux séries de plaques photographiques, prises à La Silla (ESO) et numérisées par la MAMA (au [CAI), Patrick Cseresnjes et ses collaborateurs ont détecté environ 2000 étoiles RR Lyrae dans Sgr, réparties sur 50 degrés carrés. La distribution spatiale de ces étoiles permet de tracer l’extension nord de Sgr, où les étoiles galactiques dépassent en nombre celles de Sgr par un facteur jusqu’ à mille. Comparé à d’autres satellites de la Voie Lactée, Sgr semble être beaucoup plus massive et étendue, même si l’on considère seulement son petit axe, peu sensible aux marées galactiques.

Figure 2. Carte de la densité de surface de l’extension nord de la galaxie naine du Sagittaire, basée sur les comptages de RR Lyrae. L’intervalle de latitude exploré par cette carte est délimité par les lignes vertes

La théorie d’évolution stellaire indique que l’âge des RR Lyrae est de plus de 10 milliards d’années. Un catalogue de ces étoiles est donc une occasion unique de préciser l’origine de Sgr. L’information la plus évidente disponible est la période qui est très précise et indépendante de l’encombrement et de l’extinction, permettant des comparaisons robustes entre différents systèmes.

La Figure 3 compare la distribution de période des étoiles RR Lyrae dans Sgr à celle de toutes les autres galaxies naines dont la population de RR Lyrae est connue. La similitude avec le Grand Nuage de Magellan (LMC) ressort fortement. Cette similitude est encore plus frappante quand on considère qu’il n’y a pas deux autres distributions montrant une si forte corrélation. Les tests statistiques prouvent qu’une distribution identique pour Sgr et le LMC ne peut pas être éliminée, malgré la haute résolution fournie par la grande taille des échantillons dans les deux systèmes.

Figure 3. La distribution de période des étoiles RR Lyrae dans Sgr, comparée à celle des autres satellites de la Voie Lactée. L’histogramme jaune correspond à Sgr tandis que l’histogramme bleu représente tout à tour les systèmes indiqués dans chaque panneau.

La période d’une étoile RR Lyrae est une fonction complexe de sa luminosité, température, métallicité et masse, conduisant à une grande indétermination entre ces différents paramètres. Il est cependant possible de limiter la comparaison au plan masse-métallicité en utilisant les étoiles RR Lyrae d’un type spécial (de type d, ou RRd) qui oscillent simultanément dans le mode radial fondamental (P0) et le premier harmonique (P1). La position d’une étoile RRd dans le diagramme de Petersen (graphe de P1/P0 en fonction de P0) est presque indépendante de sa luminosité et de sa température.

Figure 4. Diagramme de Petersen pour toutes les étoiles RRd détectées jusqu’ici. Les gros points rouges représentent tout à tour les étoiles RRd du système indiqué dans chaque panneau. Les petits points rappellent la position des étoiles RRd dans Sgr.

Pour la plupart des systèmes, les étoiles RRd sont groupées dans une région compacte bien spécifique du diagramme, reflétant une population homogène, comme attendu pour les systèmes simples tels que les amas globulaires ou les galaxies naines sphéroïdales. Cependant, ce n’est pas le cas pour Sgr qui présente une grande extension, prouvant que ce système est plus complexe qu’une galaxie naine sphéroïdale typique. Il apparaît à nouveau une similitude forte entre Sgr et le LMC. Un débris du LMC ? La similitude entre Sgr et le LMC ne se limite pas aux étoiles RR Lyrae, mais a été également observée pour d’autres populations comme les étoiles carbonées ( Whitelock 1998 ) ou les étoiles de la branche des géantes rouges ( Cole 2001 ). Ces similitudes suggèrent fortement que les deux systèmes ont des populations stellaires semblables. Les simulations numériques montrent qu’une galaxie naine sphéroïdale ne peut pas survivre plus que 2 milliards d’années sur une si basse orbite, sauf si la galaxie parente a une concentration inconfortablement élevée, en contradiction avec les observations, entre autres avec la présence d’un nombre substantiel d’étoiles RR Lyrae. Cette contradiction pourrait être résolue si Sgr est en fait un débris provenant du LMC après une collision, et que Sgr a ainsi été lancée seulement tout récemment sur son orbite actuelle. Les scénarios possibles sont une collision entre le LMC et la Galaxie ou le Petit Nuage de Magellan. Ces scénarios, bien qu’attrayants, soulèvent beaucoup de questions auxquelles il faut maintenant répondre. Quand la collision s’est-elle produite ? Qu’est-il arrivé au gaz ? Comment les plans orbitaux actuels de Sgr et du LMC peuvent-ils apparaître perpendiculaires entre eux ? De futures simulations numériques testeront la faisabilité de ces scénarios.