Dans notre Système solaire, Saturne se distingue des autres planètes par ses anneaux proéminents. Au milieu de ces anneaux, on peut distinguer, même depuis la Terre, un sillon particulièrement sombre de 4 500 km de large, découvert en 1675 par Jean-Dominique Cassini, premier directeur de l’Observatoire de Paris, et appelé depuis "division de Cassini".
Quelques 340 ans plus tard, le mystère persistait sur les origines de cet énorme fossé au sein des anneaux.
Si sa localisation suggérait un lien avec le satellite Mimas situé à l’extérieur des anneaux, le mécanisme permettant de former une structure aussi large en un temps raisonnablement court restait jusqu’à très récemment grandement méconnu.
De part et d’autre de cette Division, les anneaux de Saturne sont composés de particules de glace allant du centimètre à potentiellement quelques mètres pour les plus grosses. Ces particules tournent d’autant plus vite qu’elles sont proches de la planète. Il existe un endroit dans les anneaux où les particules tournent exactement deux fois plus vite que Mimas.
Cette configuration, appelée résonance, a pour effet de chasser les blocs de glace de cette orbite particulière. Au fur et à mesure du mouvement de Mimas vers l’intérieur, cette lacune peut s’élargir. A contrario, un mouvement vers l’extérieur du satellite aurait tendance à emmener avec lui cette lacune vers l’extérieur sans l’élargir.
A l’aide de modèles semi-analytiques et de simulations numériques, une collaboration internationale menée par des chercheurs français de l’Observatoire de Paris à l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides (IMCCE) et de l’Université de Franche-Comté a montré que pour ouvrir les 4 500 km observés actuellement dans la Division de Cassini, Mimas devait avoir migré vers l’intérieur sur au moins 9 000 km en quelques millions d’années.
Une migration plus lente aurait permis à l’étalement naturel des particules situées plus loin de reremplir la Division en même temps qu’elle se serait créée. Il est normalement attendu qu’un tel satellite migre vers l’extérieur plutôt que vers l’intérieur du fait des marées qu’il génère sur la planète, de la même façon que la Lune s’éloigne de la Terre à la vitesse de quelques centimètres par an. Une migration vers l’intérieur n’est possible que si le satellite s’échauffe fortement pour dissiper l’énergie orbitale ainsi perdue.
Un tel chauffage entraîne une fusion des glaces constituant l’intérieur de ces lunes, se traduisant par la formation d’un océan interne dont la surface se rapproche au fur et à mesure de la surface du satellite. Ce surplus d’énergie peut être évacué dans l’espace uniquement si la couche de glace devient suffisamment fine par éruption de vapeur et de grain de glace tel que ce que l’on observe actuellement au pôle sud d’Encelade.
En simulant les interactions entre satellites d’une part, les chauffages internes qui en résultent d’autre part et enfin l’impact de ces variations sur les anneaux, ces chercheurs ont identifié deux scénarii extrêmes :
– l’un dissipant l’énergie exclusivement au sein de Mimas
– et l’autre considérant que l’énergie est dissipée exclusivement dans Encelade qui entraînerait Mimas dans son mouvement en raison d’une résonance orbitale entre les deux satellites.
Pris indépendamment, le premier scénario peine à expliquer l’âge ancien de la surface de Mimas, l’évacuation du surplus d’énergie étant difficilement conciliable avec la surface très cratérisée et apparemment inerte de Mimas, tandis que le second génère une configuration orbitale assez instable pour mettre en danger la survie même des satellites voisins.
Il serait donc possible que la Division de Cassini résulte d’une répartition de la dissipation entre les deux satellites Mimas et Encelade, mais l’histoire suivie ces étonnantes lunes reste encore à déterminer.

Les simulations ont montré également que la migration de Mimas vers l’extérieur, qui est actuellement observée, a pour conséquence que la Division de Cassini est en train de se remplir et devrait se refermer en moins de 40 millions d’années.
Ces temps d’ouverture et de fermeture de la Division de Cassini sont compatibles avec les dernières estimations de l’âge des anneaux (environ 200 millions d’années) et l’espérance de vie estimée de ceux-ci (au moins 170 millions d’années).
Ainsi, la Division de Cassini pourrait être la signature d’un épisode de chauffage interne des satellites suffisamment intense pour former des océans internes. Si l’on parvenait à détecter des fossés dans des anneaux autour d’exoplanètes, cela donnerait des indices de la présence d’exolunes et de potentiels océans internes de ces lunes.