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Communiqué de presse | Observatoire de Paris - PSL

Le jeudi 3 décembre 2020, l’ESA rend publique la première partie du troisième catalogue de données du satellite Gaia : EDR3. Cette nouvelle version permet de redessiner avec une précision saisissante les contours, la cinématique et l’évolution de la Voie Lactée et de ses proches voisines.
À cette entreprise internationale qui assure un traitement colossal de données, contribuent, pour un quart, les scientifiques français notamment de l’Observatoire de Paris - PSL, de l’Observatoire de la Côte d’Azur, de l’Institut UTINAM/OSU Theta, du CNES et du CNRS.

Le ciel en couleur, tel que restitué par la première partie du troisième catalogue des données de Gaia : EDR3
© ESA

Lancé le 19 décembre 2013 depuis Kourou, le satellite européen Gaia a été posté au point Lagrange à 1,5 million de km de la Terre. Depuis le 25 juillet 2014, il opère par un mouvement rotatif un balayage systématique du ciel. Aussi détecte-il au sein de la Voie lactée et dans ses environs tous les objets dont la magnitude apparente se situe entre 3 et 21.

Cela concerne principalement les étoiles, mais aussi les planètes, satellites et astéroïdes du Système solaire, les quasars, les lentilles gravitationnelles et, indirectement, des exoplanètes… Ses trois instruments – astrométrique, photométrique et spectroscopique – permettent d’en faire la caractérisation complète.

À ce jour, Gaia a réalisé 1 600 milliards de mesures astrométriques, 320 milliards de mesures spectrophotométriques et 32 milliards de spectres. Ces données ont déjà permis de livrer le 16 septembre 2016 un premier catalogue, DR1, puis le 25 avril 2018, un deuxième, DR2.

Depuis lors, l’ESA enregistre sur sa base de données dédiée des records de consultations mensuelles : 5 000 utilisateurs, ainsi que 2,5 à 5 de millions de requêtes. Au total, plus de 3 800 publications scientifiques s’appuient sur des données de DR2.

Le 3 décembre 2020, c’est donc au tour du troisième catalogue de voir le jour, plus exactement sa première partie : le « early » DR3. S’il nous parvient sous une forme partielle, c’est que le volume total des données collectées est colossal mais qu’il convient dores et déjà de partager à la communauté celles qui sont déjà prêtes.

La parution complète du catalogue Gaia DR3 est prévue au premier semestre 2022. A cette date, il contiendra toute l’analyse des données obtenues par Gaia pendant les 34 premiers mois de mission, soit sur une période comprise entre le 25 juillet 2014 et le 28 mai 2017. Cette version proposera de nombreux et nouveaux résultats dont la France est le principal contributeur. Cela mobilise au CNES, à Toulouse, une ferme de 6 000 cœurs de calcul et un volume de 5 péta-octets de données.

Les apports de EDR3
Par rapport à la version antérieure DR2, ce nouveau catalogue est considérablement enrichi : il contient désormais les positions, éclats et couleurs de 1,8 milliard d’étoiles. Pour les objets dont la magnitude apparente est située entre 12 et 17, le catalogue est quasi complet. Pour 1,5 milliard de ces sources, les parallaxes, les mouvements propres et la couleur sont également disponibles.

Le tableau donne un aperçu quantitatif du contenu de EDR3
© Observatoire de Paris - PSL

Par rapport à Gaia DR2, Gaia EDR3 constitue une avancée majeure. Pour les données astrométriques et photométriques, il gagne en précision, en exactitude et en homogénéité. La précision sur les parallaxes trigonométriques est améliorée d’environ 30% et celle des mouvements propres est typiquement deux fois meilleure.

Toutes les positions et mouvements propres des objets sont rattachés à la troisième réalisation du repère de référence Gaia (Gaia CRF3, Gaia Reference Frame). Matérialisé par 1 614 173 quasars (soit trois fois plus que pour Gaia DR2), Gaia-CRF3 est aligné sur le repère de référence international (ICRF) à mieux que 0,01 milliseconde de degré.

La photométrie est, elle aussi, plus précise, mais surtout beaucoup plus homogène sur l’ensemble du ciel et sur toute la gamme des magnitudes et des couleurs, sans aucune erreur systématique supérieure à 1%.

Gaia DR3 inclut enfin les 7 millions de vitesses radiales déjà contenues dans Gaia DR2, mais corrigées pour l’occasion d’un petit nombre de valeurs erronées.

Premières applications de EDR3
La sortie de Gaia EDR3 s’accompagne de quatre articles scientifiques parus dans la revue Astronomy & Astrophysics, démontrant son potentiel scientifique dans quatre domaines différents :

  • Un catalogue très complet des 331 312 étoiles situées à moins de 100 parsecs du Soleil, permettant nombre de recherches sur les luminosités, la cinématique et les orbites de ces étoiles, parmi lesquelles notamment les plus faibles dont le recensement était jusqu’ici très incomplet ; 

  • Une étude détaillée des différentes populations d’étoiles, d’origine galactique et extragalactique, en direction de l’anticentre galactique. En sondant les confins du disque de la Voie lactée, sa dynamique complexe y est dévoilée ;
  • Une étude complète de la structure, de la cinématique et des propriétés des deux Nuages de Magellan et de leurs différentes populations d’étoiles, ainsi que du pont (le « Magellanic Bridge ») qui les relie, montrant le courant d’étoiles partant du Petit Nuage de Magellan et allant vers le Grand Nuage ; 

Le Grand et le Petit Nuage de Magellan sont deux galaxies naines qui orbitent autour de la Voie lactée.
© ESA/Gaia/DPAC
  • Une étude des mouvements propres par rapport aux quasars de Gaia EDR3 qui révèle un effet systématique dû à l’accélération du barycentre du Système solaire par rapport au repère de référence des sources extragalactiques distantes. C’est l’amélioration spectaculaire de la qualité de l’astrométrie et la diminution drastique des erreurs systématiques qui ont rendu cette mesure possible.

Le plus vaste relevé de la Voie lactée est loin d’être achevé. Il sera complété au fur et à mesure du traitement des données. Trois autres rendez-vous sont prévus, DR3 dans sa version intégrale en 2022, puis DR4 et DR5. Le dépouillement complet s’étendra sur près de 20 ans.

Rappels contextuels de la mission spatiale Gaia



La mesure de la distance des étoiles, dans la Galaxie et au-delà, joue un rôle capital en astronomie. Depuis notre Terre, les étoiles semblent réparties sur la sphère céleste alors qu’elles sont en réalité distribuées dans un volume immense. Si l’on prend l’exemple des étoiles de la constellation du Lion, celles-ci sont en réalité dispersées dans le ciel en profondeur - de moins de 10 à plus de 7 000 années-lumière. Seules des mesures de distance permettent de bien situer chaque étoile dans l’espace.

Mesurer les distances
Comment faire pour mesurer la distance des étoiles ? Un phénomène permet d’appréhender cette mesure : depuis la Terre, en orbite autour du Soleil, une même étoile, dite « proche », ne se projettera pas au même endroit sur un fond d’étoiles « lointaines », selon qu’elle est observée à deux instants distincts (par exemple, en hiver ou en été). Seulement, les mesures de ces minuscules mouvements de position sont extrêmement difficiles à mener depuis le sol. Les premières d’entre elles ont été réalisées il y a 170 ans. Mais ce n’est que depuis l’espace que leur précision a pu être améliorée considérablement, lorsqu’on a pu s’affranchir des effets de la turbulence atmosphérique.

Une idée française
Dès 1965, ce fut l’idée très originale de Pierre Lacroute, alors directeur de l’Observatoire de Strasbourg, qui permit la conceptualisation d’Hipparcos, premier satellite astrométrique de l’Agence spatiale européenne. Opérationnel de 1989 à 1993, Hipparcos mesura les distances et les mouvements de 118 218 étoiles avec une précision 50 fois plus grande qu’au sol. Le catalogue Hipparcos publié en 1997 est resté la seule référence en ce domaine jusqu’au premier catalogue Gaia.

La genèse de Gaia
Forts de ce succès, les astronomes européens ont proposé dès 1992 un nouveau projet à l’ESA avec l’ambition de mesurer un milliard d’objets, avec une précision 50 fois supérieure à celle d’Hipparcos. « En imaginant un satellite à deux télescopes avec des miroirs beaucoup plus grands en taille que celui d’Hipparcos, et des détecteurs d’une technologie beaucoup plus avancée, nous souhaitions relever le défi de la très haute précision et atteindre la microseconde d’arc », se souvient Catherine Turon, astronome émérite de l’Observatoire de Paris, pionnière de l’astrométrie spatiale. Gaia révolutionne le domaine de la cartographie céleste en ce début de XXIe siècle en introduisant la 3D à grande échelle, et rendra possible la combinaison de données astrométriques, photométriques et spectroscopiques.

Traitement des données
Le volume des données à traiter est sans égal à ce jour dans le domaine astronomique. Le traitement de l’ensemble des données scientifiques a été confié à un consortium international, suite à un appel à proposition publié par l’ESA en 2006, et auquel a répondu un groupe de scientifiques européens au sein d’un consortium DPAC (Data Processing and Analysis Consortium). Le DPAC rassemble aujourd’hui 422 scientifiques européens et 10 autres du reste du monde, qui ont sous leur responsabilité la conception et le développement des méthodes de traitement des données.

Un rôle de tout premier plan pour la recherche française
La communauté astronomique française occupe dans cette mission un rôle de tout premier plan. Avec une centaine de scientifiques impliqués, la France est le premier pays contributeur en Europe, suivie par l’Italie et la Grande-Bretagne.

La maîtrise d’œuvre de la construction du satellite a été assurée par le groupe aérospatial français Airbus Defence & Space (anciennement EADS/Astrium) à Toulouse. Le CNES, agence spatiale française, contribue de façon importante à la mission Gaia en ayant développé, en hébergeant et opérant le centre français de traitement des données (DPCC, Data Processing Center CNES), outil fondamental dans la chaîne de traitement des informations.

A noter que l’Observatoire astronomique de Strasbourg délivre à l’ensemble de la communauté les catalogues de Gaia au même moment que l’ESA.