Une équipe d’astronomes français et américains animée par E. Lellouch, de l’Observatoire de Paris-Meudon, a détecté la présence de sel (NaCl) dans l’atmosphère ténue du satellite de Jupiter Io. Ce composé est très certainement produit par émission volcanique. Sa présence fournit une explication aux "nuages" de sodium atomique qui entourent Io et sont observés depuis près de 30 ans.
Figure 1. Deux visions du satellite de Jupiter Io, et de son environnement, par la sonde Galileo. A gauche : Mosaïque montrant l’aspect général de la surface de Io et les manifestations de l’activité volcanique. On notera en particulier la présence de deux panaches volcaniques, l’un au limbe (Pillan, 140 km de haut), et l’autre près du centre de l’image (Prometheus, vu de dessus). http://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/PIA01081 A droite : Vue du nuage de sodium atomique diffusant la lumère solaire à 589 nm. La tache très brillante sur Io est le panache de Prometheus, vu également en diffusion. http://photojournal.jpl.nasa.gov/catalog/PIA00593 L’atmosphère de Io est l’une des plus étonnantes du Système Solaire. En 1979, la sonde Voyager révéla que le satellite est le siège d’une intense activité volcanique (figure 1, gauche) et découvrit localement une atmosphère ténue de dioxyde de soufre (SO2). Par la suite, depuis 1990, des observations millimétriques conduites à l’IRAM (télescope Franco-Allemand-Espagnol) et des observations U.V. avec HST ont permis une description un peu plus précise de cette atmosphère. La pression caractéristique au sol est de l’ordre du nanobar, et, fait unique dans le Système Solaire, l’atmosphère présente de fortes variations horizontales, étant apparemment concentrée dans une bande équatoriale. Ses composants principaux sont SO2, SO et S2. Elle est produite sans doute en partie directement par émission volcanique et en partie par l’évaporation des glaces de SO2 qui recouvrent la surface de Io. Cependant, on se doute depuis longtemps que l’atmosphère de Io doit comporter d’autres espèces chimiques. Dès 1974, on découvrit par spectroscopie et imagerie visible un "nuage" de sodium atomique (figure 1, droite), grossièrement centré sur l’orbite de Io. L’étude détaillée de ce nuage révéla par la suite une structure complexe, avec en particulier du sodium "rapide", dans la production duquel le rôle d’ions moléculaires (NaX+) fut mis en évidence. La question de l’origine du sodium dans l’environnement de Io se posait naturellement. La brillance des émissions de Na permet d’estimer qu’environ 1026-1027 atomes de sodium quittent Io chaque seconde. En 1999, le chlore sous forme atomique et ionisé fut détecté autour de Io, avec une abondance comparable à celle du sodium (alors que l’abondance cosmochimique de Na est environ 15 fois supérieure à celle de Cl). Ceci suggère une origine commune, avec NaCl comme candidat de choix. Dans le même temps, des calculs d’équilibre thermochimique indiquèrent que NaCl doit être un composant important des magmas volcaniques de Io, pouvant atteindre plusieurs pour cents de SO2.
Figure 2. Les raies de la molécule de sel NaCl à 143 et 234 GHz de fréquence détectées sur le téléscope de 30-m de l’IRAM les 15-17 janvier 2002. La résolution spectrale est de 40 kHz. Sur la base de ces considérations, E. Lellouch, de l’Observatoire de Paris et des collègues français et américains conduisirent une campagne d’observations avec le [radio-télescope de 30-m de l’IRAM en janvier 2002, et détectèrent deux raies rotationnelles de NaCl à 143 et 234 GHz. Dans la mesure où la pression de vapeur du sel est totalement négligeable, NaCl ne peut être à l’équilibre avec la surface et sa présence doit être la conséquence directe de l’activité volcanique. Il apparaît comme un constituant atmosphérique mineur. Le modèle physiquement le plus plausible décrit l’atmosphère de NaCl comme plus localisée que celle de SO2, en raison d’une durée de vie très courte (au plus quelques heures) et restreinte aux centres volcaniques. L’abondance locale de NaCl serait de 0.3 à 1.3 % de SO2, donc notablement moins que dans les prédictions. L’intensité des raies permet d’estimer que les volcans de Io émettent (2-8)x1028 molécules de NaCl par seconde. Les modèles photochimiques et d’échappement indiquent qu’une faible proportion de ces molécules quittent Io sous forme moléculaire (0.1 %) ou atomique après photolyse (1-2 %), la majorité d’entre elles retombant au sol où elles condensent, pouvant contribuer à la couleur blanche de certains terrains. Il en découle que NaCl fournit une source importante d’atomes de sodium et de chlore dans l’environnement de Io, mais que la nature des ions NaX+ reste encore à élucider.
Reference :
E. Lellouch, G. Paubert, J.I. Moses, N.M. Schneider, and D.F. Strobel. "Volcanically-emitted sodium chloride as a source for Io’s neutral clouds and plasma torus" Nature, 2 January 2003, 421, p. 45-47
Contact
- Emmanuel Lellouch (Observatoire de Paris, LESIA)