Les découvertes successives et inattendues d’anneaux en 2013 autour de l’objet centaure – Chariklo -, puis en 2017 autour de l’objet transneptunien – Haumea -, ont amené à un constat étonnant : loin d’être réservés aux quatre planètes géantes, les anneaux seraient monnaie courante parmi les petits objets du système solaire externe. Cette idée fut, à l’évidence, un pari gagnant du projet “Lucky Star” de l’European Research Council (ERC) dirigé entre 2015 et 2021 par Bruno Sicardy, professeur à Sorbonne Université et astrophysicien à l’Observatoire de Paris – PSL.
Ainsi, à son tour, Quaoar a-t-il été ciblé. Gros objet transneptunien faisant la moitié de la taille de Pluton et orbitant en moyenne à 43 unités astronomiques du Soleil, Quaoar a donné lieu à quatre campagnes d’observations d’occultations stellaires qui se sont déroulées entre 2018 et 2021, mobilisant une cohorte de télescopes au sol et spatial :
- le télescope robotique ATOM en Namibie (projet HESS) ;
- le Gran Telescopio Canarias de 10,40 m de diamètre, situé à la Palma ;
- le télescope spatial CHEOPS de l’ESA ;
- et des stations d’astronomes citoyens australiens.
Les finalités étaient multiples : observer le passage de Quaoar devant ou à proximité d’étoiles dans le plan du ciel, collecter des informations sur le corps lui-même et mettre en évidence de la matière autour de l’objet, sous forme d’anneaux, de jets ou d’enveloppes de poussière.
Caractéristiques de l’anneau de Quaoar
Prises ensemble, les observations ont mis en évidence l’existence d’un anneau entourant Quaoar. Celui-ci est inhomogène [1] et présente un rayon de 4 100 km. La partie dense de l’anneau - qui a une extension azimutale (parallèle à l’anneau) limitée - bloque plus de 50 % du flux stellaire qui le traverse. Elle est incluse dans une composante plus ténue et continue qui, elle, ne bloque quasiment pas le flux stellaire (moins de 1 %).
Mais la propriété unique et étonnante de l’anneau est sa grande distance au corps central : évaluée à environ 7,4 fois le rayon de Quaoar. Cet anneau se situe donc bien au-delà de la limite dite « de Roche » du corps central.
Or, passée la limite calculée par le mathématicien et astronome français, Edouard Roche, en 1850, un anneau collisionnel, n’est pas censé se former, les particules devant rapidement s’accréter en un satellite et donc disparaître. En effet, d’après les calculs d’Ed. Roche, l’accrétion est empêchée dans le cas d’un anneau collisionnel se trouvant en deçà de cette limite. En revanche, si le disque se situe au-delà de cette limite il devrait, en quelques semaines seulement, s’agréger en un satellite.
Et de fait, les anneaux principaux des quatre planètes géantes, de Chariklo et de Haumea se trouvent bien tous à l’intérieur ou à proximité des limites de Roche de leur corps respectif.
Simulations numériques pour mieux comprendre
Improbable donc, cette découverte de l’anneau de Quaoar a donné lieu à des études numériques plus poussées présentées par l’équipe. Ainsi, les paramètres de l’anneau de Quaoar ont-ils été utilisés pour réaliser, à l’Université d’Oulu en Finlande, des simulations de particules en collision soumises à leurs attractions mutuelles.
Jusqu’à présent, les lois de collision, utilisées par exemple pour décrire les anneaux de Saturne, se traduisaient par une accrétion rapide. Or, des lois de collision alternatives, plus élastiques et obtenues en laboratoire à basse température, montrent en fait le contraire. Les vitesses post-impact entre les particules restent suffisamment élevées pour qu’elles puissent vaincre leurs attractions mutuelles. Ceci inhibe leur tendance à l’accrétion. Si le critère de Roche semble suffisamment robuste pour expliquer comment un satellite est brisé par les forces de marée pour ainsi former un anneau, le processus inverse – à savoir, l’accrétion de particules d’un anneau en un satellite - implique des mécanismes plus complexes qui jusqu’ici ont été négligés.
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Lire aussi l’information
sur le site de l’Instituto de Astrofísica de Canarias (IAC) [en espagnol] :
"El objeto transneptuniano quaoar"
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Il reste cependant quelques grandes questions à élucider, dont la suivante : comment l’anneau de Quaoar est-il confiné à la fois dans les directions radiale (perpendiculaire à l’anneau) et azimutale (parallèle à l’anneau) ? Il est intéressant de noter la configuration particulière dans laquelle se trouve l’anneau, à savoir qu’une particule de l’anneau n’accomplit qu’une révolution lorsque Quaoar accomplit trois rotations. Coïncidence ou non, cette configuration (appelée « résonance ») est également observée pour les anneaux de Chariklo et d’Haumea. Cela suggère que cette résonance pourrait jouer un rôle clé dans l’existence même de l’anneau et sa localisation radiale.
Des simulations préliminaires de collisions (également réalisées à l’Université d’Oulu) montrent en fait qu’un confinement radial se produit effectivement à cette résonance, un résultat qui doit maintenant être corroboré par des études théoriques. Le confinement azimutal de la partie dense, ou arc, reste plus mystérieux. Il pourrait provenir de perturbations de Weywot, le satellite de Quaoar, ou peut-être d’un satellite qui n’a pas encore été découvert.
Cette hypothèse, même si elle est toujours débattue, a été évoquée pour expliquer la stabilité des arcs de Neptune. Mais elle pourrait tout aussi bien résulter d’un mécanisme complètement différent, par exemple d’un processus interrompu d’accrétion de l’anneau en satellite.
Dans tous les cas, le constat est sans appel. L’anneau de Quaoar montre un comportement vis-à-vis de la limite de Roche qui n’a jamais été observé auparavant. En tant que tel, il remet en question le principe même des mécanismes d’accrétion qui permettent (ou empêchent) la formation de satellites à partir d’un disque collisionnel orbitant autour d’un corps planétaire.
Référence
L’article est publié sous le titre : “A dense ring of the trans-Neptunian object Quaoar outside its Roche Limit” dans la revue Nature en date du 8 février 2023.
DOI : 10.1038/s41586-022-05629-6
Cette recherche a été partiellement financée par le projet “Lucky Star” du Conseil européen de la recherche, dirigé par Bruno Sicardy (ERC Advanced Grant n°669416).
Elle est le fruit d’activités scientifiques menées entre autres en France, à l’Observatoire de Paris - PSL au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Observatoire de Paris – PSL / CNRS / Sorbonne Université, Université Paris Cité ) et à l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (Observatoire de Paris – PSL / CNRS / Sorbonne Université / Université de Lille), au Brésil (Université Fédérale de Rio de Janeiro et Observatoire National de Rio de Janeiro, Université Fédérale de Technologie à Curitiba), en Espagne (Institut d’Astrophysique d’Andalousie, Grenade), en Finlande (Université d’Oulu), à l’ESA (mission CHEOPS) et par des astronomes citoyens en Australie.
Les campagnes d’occultation ont grandement bénéficié de la mission Gaia de l’ESA, qui a fourni des positions d’étoiles très précises, assurant ainsi des prédictions fiables des événements.
À l’international
D’autres ressources relatives à cette découverte :
- Le communiqué de presse de l’ESA/CHEOPS ;
- Le communiqué de presse de l’Université fédérale de Rio de Janeiro (Brésil) ;
- Le communiqué de presse de l’Université d’Oulu (Finlande) ;
- Le communiqué de presse de l’Institut d’astrophysique d’Andalousie (Espagne) ;
- La vidéo de l’Institut d’astrophysique d’Andalousie (Espagne).
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[1] En tant que tel, cet anneau rappelle les arcs de Neptune, découverts depuis le sol en 1984 puis imagés par la sonde Voyager 2 de la NASA qui a survolé Neptune en 1989.
Dernière modification le 3 avril 2024