Les trous noirs d’origine stellaire [1] résultent de l’effondrement des étoiles massives en fin de vie. Des modèles théoriques prédisent que notre galaxie, la Voie lactée, pourrait en contenir une centaine de millions. Mais, jusqu’à présent, seule une vingtaine a pu être observée. En grande majorité, ils ont été identifiés dans des systèmes binaires émettant en rayons X, ce rayonnement étant provoqué par la perte de la matière de l’étoile, aspirée par le trou noir, autour duquel elle orbite. Lorsqu’un trou noir n’a pas d’étoile compagnon suffisamment proche pour lui arracher de la matière, il n’émet aucun rayonnement. D’où l’extrême difficulté à les détecter : on les appelle trous noirs "dormants".
Un grand relevé astrométrique et spectroscopique, tel qu’opéré depuis 10 ans par le satellite européen Gaia, est idéal pour débusquer ces trous noirs dormants, autour desquels gravite un compagnon. Ils sont repérables grâce aux mesures des perturbations du mouvement qu’ils font subir à leur étoile. En 2023, les informations publiées dans le troisième catalogue Gaia (Gaia DR3) ont ainsi permis de découvrir, au sein de notre Galaxie, les deux premiers trous noirs dormants, baptisés Gaia BH1 et Gaia BH2.
Dans le cadre du traitement des données destiné à la publication prévue fin 2025 du quatrième catalogue Gaia, DR4, de nombreux tests de validation d’une solution préliminaire ont été effectués. Au cours de ce travail, les scientifiques du consortium DPAC ont mis au jour un nouveau système binaire, abritant un trou noir dormant, baptisé Gaia BH3, situé dans la constellation de l’Aigle, à presque 2 000 années-lumière, soit assez proche de la Terre, à l’échelle de notre Galaxie.
Explication en vidéo Vidéo de l’ESA en anglais, sous-titrée en français sur la chaîne YouTube de l’Observatoire de Paris – PSL : • Version longue [4:51] • Version courte [1:19] |
La masse de cet objet est exceptionnelle, estimée à près de 33 fois celle du Soleil, et rend la découverte particulièrement remarquable. Cette masse est bien plus importante que celle des trous noirs d’origine stellaire déjà connus dans notre Galaxie, typiquement équivalente ou inférieure à 10 masses solaires.
Parmi la population des trous noirs stellaires connue à ce jour au sein de notre Galaxie, BH3 est le seul à avoir une masse comparable à celle de trous noirs détectés dans des galaxies lointaines, par le consortium LIGO/Virgo/KAGRA, via les ondes gravitationnelles. En outre, sa masse est plus grande que ce que prédisent la plupart des modèles d’évolution stellaire.
La caractérisation de l’étoile compagnon qui orbite autour du trou noir de Gaia BH3 a permis d’établir qu’il s’agit d’une vieille étoile du halo stellaire galactique, très pauvre en éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium. Les auteurs de l’étude en déduisent que le progéniteur de ce trou noir de grande masse était une étoile massive, elle aussi très pauvre en éléments lourds.
La détection de Gaia BH3 confirme en outre, pour la première fois, l’hypothèse avancée par certains modèles d’évolution stellaire, selon laquelle les trous noirs de grande masse, observés via les ondes gravitationnelles en dehors de la Galaxie, ont été produits par l’effondrement gravitationnel d’étoiles massives pauvres en éléments lourds.
La découverte du système Gaia BH3 bouleverse notre compréhension sur la manière dont les étoiles massives évoluent et se transforment en trous noirs. Ses implications sont profondes et donneront probablement lieu à un grand nombre de publications pour tenter d’en savoir plus.
Collaboration
Cette découverte est le fruit du travail du consortium DPAC (Data Processing and Analysis Consortium) en charge du traitement et de l’analyse des données du satellite Gaia de l’ESA et qui comprend environ 450 ingénieurs et chercheurs européens. Dans ce dispositif, la France a joué un rôle prépondérant avec une centaine de chercheurs et ingénieurs du CNRS, des observatoires et des universités, et du Centre national d’études spatiales (CNES).
En particulier, le traitement des binaires astrométriques et des données spectroscopiques de Gaia, à la base de la découverte de ce trou noir stellaire exceptionnel, sont sous la responsabilité d’ingénieurs CNRS à l’Observatoire de Paris - PSL, au sein du Laboratoire Galaxies, Etoiles, Physique et Instrumentation - GEPI (Observatoire de Paris – PSL / CNRS) avec le support de l’équipe et des moyens de calcul du CNES.
Cette étude a bénéficié d’observations complémentaires effectuées à l’aide d’instruments au sol :
- UVES - Ultraviolet and Visual Echelle Spectrograph, instrument équipant le Very Large Telescope de l’ESO (European Southern Observatory) au Chili.
- HERMES : spectrographe équipant le télescope Mercator exploité à la Palma (Espagne) par l’Université de Leuven (Belgique), en collaboration avec l’Observatoire de l’Université de Genève (Suisse).
- SOPHIE : spectrographe de haute précision de l’Observatoire de Haute-Provence – OSU Institut Pythéas.
Référence
Gaia Collaboration, Panuzzo P. (CNRS, Observatoire de Paris - PSL), Mazeh T., Arenou F. (CNRS, Observatoire de Paris - PSL), Holl B., Caffau E. (CNRS, Observatoire de Paris - PSL), et al, « Discovery of a dormant 33 solar-mass black hole in pre-release Gaia astrometry » 2024, A&A Letter - https://aanda.org/10.1051/0004-6361/202449763.
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« Gaia BH3, un trou noir extraordinaire ! »
Communiqué de presse sur le site de l’ESA :
« Sleeping giant surprises Gaia scientists »
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« Gaia spots Milky Way’s most massive black hole of stellar origin »
Communiqué de presse sur le site de l’ESO :
« Most massive stellar black hole in our galaxy found »
[1] Les trous noirs d’origine stellaire sont différents des trous noirs supermassifs situés au cœur des galaxies, lesquels sont incomparablement plus grands.
Dernière modification le 24 juin 2024