Thibaut Le Bertre, de l’Observatoire de Paris, et ses collaborateurs ont étudié des centaines de ces étoiles et mis en évidence comment se fait cet enrichissement, en fonction de la distance au centre. Notamment les étoiles riches en oxygène se trouvent plus près du centre Galactique que le soleil, alors que les étoiles riches en carbone se trouvent plus loin du centre, ce phénomène étant attribué au gradient de métallicité dans la Galaxie. Les étoiles carbonées sont des étoiles qui ont développé une composition chimique anormale où le carbone domine à la place de l’oxygène. Il y a plusieurs espèces d’étoiles carbonées, et la raison de cet enrichissement en carbone n’est pas toujours connue. Entre autres les étoiles géantes carbonées ont fait l’objet de nombreuses études. Pour celles-ci l’enrichissement est expliqué par la remontée de carbone, récemment synthétisé dans le coeur stellaire, à la surface de l’étoile par convection.
Pour ces étoiles géantes la température effective est relativement basse de telle sorte que des molécules se forment dans leurs atmosphères. Quand elles sont enrichies en carbone, les astronomes observent des molécules telles que C2H2 (acetylène) ou C2, CH, HCN, etc..., qui produisent des bandes d’absorption caractéristiques dans les domaines visible et infrarouge des spectres stellaires.
Figure 1. Une vue schématique d’une étoile géante en phase de perte de masse. Les nombres sont donnés à titre indicatif. ISM signifie milieu interstellaire, ISRF champ de rayonnement interstellaire, et HAC carbone amorphe hydrogéné. Pour comparaison, le rayon solaire vaut 7 1010 cm, l’unité astronomique 1.5 1013 cm, et le parsec 3 1018cm D’après Le Bertre T., 1997, ``Cool Stars Winds and Mass Loss : Observations", Lecture Notes in Physics, Springer, Vol. 497, p. 133
Les atmosphères de ces étoiles "froides" et lumineuses sont souvent instables et elles pulsent sur des périodes de l’ordre de l’année. Sous l’action de cette pulsation, l’atmosphère est étendue et, dans les couches extérieures, la matière se trouve à une température suffisamment basse pour que certains éléments se condensent en particules microscopiques ("poussière d’étoiles"). Dans le cas d’une étoile carbonée, cette poussière est composée de matériau carboné, par exemple des hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAH). On pense aussi à d’autres composés tels que du carbone amorphe ou du carbure de Silicium (SiC). Dès que ces particules se forment elles sont soumises à la pression du champ de rayonnement de l’étoile et se trouvent expulsées vers l’extérieur. En même temps elles entrainent avec elles le gaz, de telle sorte qu’un vent se développe et que l’étoile se trouve progressivement entourée d’une enveloppe circumstellaire en expansion. L’étoile rejette ainsi de la matière dans le milieu interstellaire. Un aspect intéressant des étoiles carbonées en phase de perte de masse est qu’elles sont parmi les plus importants contributeurs à ce renouvellement du milieu interstellaire, tout particulièrement en matière carbonée. Il est donc intéressant d’identifier ces sources, de les localiser dans notre Galaxie, et de déterminer à quel taux elles rejettent de la matière. Une difficulté est que ce taux peut être si élevé que certaines étoiles disparaissent complètement dans leurs enveloppes et deviennent invisibles. On doit alors les rechercher en infrarouge, car les longueurs d’onde y sont moins affectés par l’absorption des poussières. Une recherche systématique a été conduite par une équipe d’astronomes français et japonais. Pour celà ils ont utilisés les résultats d’un télescope spatial infrarouge, IRTS (Infrared Telescope in Space), construit et opéré par le Japanese Institute of Space and Astronautical Science (ISAS).
Figure 2. Une vue de l’IRTS dans son enceinte cryogénique, pendant la phase de tests en vibration avant son lancement. Pour plus de détails sur l’IRTS. Copyright : ISAS Cliquer sur la figure pour l’agrandir
Plusieurs milliers de spectres infrarouge ont ainsi été obtenus et parmi eux 700 géantes rouges en phase de perte de masse ont été identifiées. Figure 2. Une vue de l’IRTS dans son enceinte cryogénique, pendant la phase de tests en vibration avant son lancement. Pour plus de détails sur l’IRTS. Copyright : ISAS Cliquer sur la figure pour l’agrandir Le domaine spectral couvert par l’IRTS est particulièrement riche en motifs spectraux qui permettent de caractériser les étoiles froides. Par exemple les étoiles carbonées peuvent être facilement identifiées par une bande d’absorption profonde à 3,1 µm qui est due à une superposition de bandes produites par C2H2 et HCN.
Figure 3. Un spectre d’étoile carbonée fourni par l’IRTS. Bien que l’objet soit fortement absorbé, on peut identifier facilement la bande caractéristique à 3.1 µm due à une combinaison de C2H2 et HCN. D’autres bandes peuvent être reconnues à 1.6 (CO), 1.8 (C2), 2.3 (CO) et 3.9 (C2H2) microns.
Dans leur échantillon de 700 sources géantes ils ont identifiés 126 étoiles carbonées. Cet échantillon leur permet d’estimer la contribution relative des 2 types principaux d’étoiles géantes au remplissage du milieu interstellaire à différentes distances du Centre Galactique (CG). Ils ont trouvé une variation très claire, les étoiles carbonées étant minoritaires dans la partie intérieure de la Galaxie par rapport au Soleil (dCG 8,5 kpc), et majoritaires dans la partie extérieure.
Figure 4. Distribution spatiale des géantes en phase de perte de masse de l’échantillon IRTS, projetée sur le Plan Galactique. Les étoiles carbonées sont représentées par des losanges vides, et les autres par des points noirs. Le Soleil est au centre de la figure, à une distance de 8,5 kpc du Centre Galactique, qui lui se trouve en haut (au centre de tous les cercles en pointillés). On remarque que les étoiles carbonées sont situées préférentiellement dans la partie extérieure de notre Galaxie.
Ce résultat illustre clairement que l’évolution chimique ne se développe pas uniformément à travers notre Galaxie. La mission IRTS fut malheureusement trop courte et seulement une petite partie du ciel put être observée. Mais elle a démontré le potentiel d’un relevé complet du ciel en infrarouge pour la compréhension des étoiles dans notre Galaxie et de leurs évolutions. D’autres missions spatiales qui s’en inspirent, telles que le projet RESPIRE, sont à l’étude dans plusieurs laboratoires.
Référence
- Le Bertre T., Tanaka M., Yamamura I., Murakami H. : 2003, "Galactic mass-losing AGB stars probed with the IRTS. II", Astron. and Astrophys., 403, 943
Contact
- Thibaut Le Bertre
(Observatoire de Paris, LERMA) - Masahiro Tanaka,
- Issei Yamamura, Hiroshi Murakami
Institute of Space and Astronautical Science->http://www.isas.ac.jp/e/index.html],
Sagamihara, Japan