De nombreuses collisions ont perturbé l’évolution des galaxies, telles que notre Voie lactée, depuis l’aube de l’Univers. Environ la moitié des galaxies spirales actuelles auraient ainsi subi des épisodes de collision-fusion majeure au cours des derniers 9 milliards d’années. La galaxie vue de profil NGC 5907, à environ 45 millions d’années-lumière de distance, dans la constellation du Dragon, fait partie de celles-là. Elle revêt un aspect effilé de "lame de couteau" car elle est vue par la tranche et dépourvue de bulbe central proéminent : ce type de galaxies dominées par leur grand disque semblait, jusqu’ici, plutôt difficile à produire via des fusions majeures de galaxies.
Les images très profondes à grand champ réalisées depuis 1998 révèlent un astre entouré d’un système complexe de courants, d’arches de matière et de boucles géantes de matière qui retombent sur lui. Le phénomène dessine une rosette ténue autour de la galaxie. Il constituerait l’empreinte fossile de la rencontre à l’origine de NGC 5907. Durant 18 mois, une équipe de six chercheurs appartenant à l’Observatoire de Paris, au CNRS, aux Observatoires astronomiques nationaux de l’Académie des sciences chinoise et à l’Institut Pythéas (Aix-Marseille Université/CNRS) a étudié ceci de manière intensive à l’aide de simulations hydrodynamiques mettant en œuvre de 200 000 à 6 millions de particules afin de comprendre la formation des structures. Au final, elle s’explique si l’on suppose que l’astre a été engendré par collision de deux galaxies spirales de taille assez comparable : l’une probablement 3 à 5 fois plus massive que l’autre.
Aujourd’hui, de nombreuses galaxies spirales de l’Univers local possèdent de telles structures étendues, peu lumineuses et rougies dans leur voisinage : le halo périphérique. Autour de NGC 5907 du Dragon, les boucles se prolongent jusqu’à 150 000 années-lumière de part et d’autre du disque : une distance comparable au diamètre de la galaxie, 180 000 années-lumière. Les trainées incurvées se composent des étoiles arrachées, lors de la rencontre, par la gravité et les forces de marées. Leur forme est délicate à prédire. Pourtant, les astronomes français et chinois sont parvenus à la reproduire par le calcul : un disque mince, voilé (gauchi) entouré de quatre boucles géantes autour.
L’Univers à l’épreuve
Cette étape représente un test des scénarios cosmologiques de formation et d’évolution de l’Univers. Parmi ceux-ci, le ‘modèle hiérarchique’ stipule que les galaxies se seraient assemblées par fusion et acquisition de briques successives.
Jusque-là, la morphologie torturée du voisinage de la galaxie spirale du Dragon semblait davantage due à la collision mineure d’une galaxie spirale principale et d’un petit compagnon ou satellite, 100, 400, 1000 ou 4000 fois moins massif. À la lumière des simulations, cette option paraît défavorisée : aucun des modèles ne résiste à l’interprétation cosmologique. Au contraire, la galaxie de 85 milliards de masses solaires, composée à 23 % de gaz d’hydrogène-hélium et à 77 % d’étoiles brillantes, le tout baignant dans un halo de matière noire quatre fois conséquent, se serait formée par collision de deux galaxies spirales riches en gaz. La fusion de deux univers-îles d’un total de 90 milliards de masses solaires, et qui contiendraient 60 à 80 % de gaz plus 40 % à 20 % d’étoiles, serait de nature à produire la galaxie souhaitée. Les disques des galaxies initiales sont détruits par l’interaction, puis reconstruits sous forme d’un seul.
Bonus scientifique
Les simulations délivrent, en outre, une prédiction concrète supplémentaire. Sur les images, d’autres boucles - plus grandes mais moins lumineuses que les quatre premières – devraient apparaitre jusqu’à 300 000 années-lumière de distance. Un fait qui pourra aisément être vérifié par de prochaines campagnes d’observations à venir.
Simulations
Les travaux numériques ont été réalisés sur :
– des machines à 32 et 196 cœurs de calcul de l’Observatoire de Paris
– le supercalculateur à processeurs graphiques et 680 cœurs de Pékin en Chine. Ce dernier est réputé capable d’effectuer 50 000 milliards d’opérations à la seconde.
Le code hydrodynamique parallèle TreeSPH dérive du programme Gadget-2 librement distribué. Les chercheurs l’ont adapté à leurs besoins en y implantant une description de la formation des étoiles, des processus de refroidissement et de rétroaction.
Formation de la galaxie NGC 5907
– Images fixes
(GEPI, Observatoire de Paris / CNRS / Pythéas / NAOC)
Comparaison photo et simulation
Collaboration
Les chercheurs appartiennent : au laboratoire Galaxies, Étoiles, Physique et Instrumentation GEPI , aux Observatoires astronomiques nationaux NAOC de l’Académie des sciences chinoise (National Astronomical Observatories, Chinese Academy of Sciences) et au Laboratoire Astrophysique de Marseille LAM . Ils ont travaillé avec le soutien du Laboratoire international associé « Origines », créé le 22 octobre 2008 à Pékin.
- Le GEPI est un département scientifique de l’Observatoire de Paris et un laboratoire Observatoire de Paris/CNRS/Université Paris, Diderot.
- Le LAM est un laboratoire de l’Institut Pythéas (Aix-Marseille Université/CNRS).
Équipe
Les chercheurs auteurs de l’étude sont : Jianling Wang, François Hammer, Evangelie Athanassoula, Mathieu Puech, Yanbin Yang et Hector Flores.
Référence
Loops formed by tidal tails as fossil records of a major merger, paru le 13 février 2012 dans la revue Astronomy and Astrophysics.
Dernière modification le 21 décembre 2021