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Une galaxie naine complètement isolée sujette à une intrigante perte de gaz

Communiqué de presse | Observatoire de Paris - PSL

Les galaxies naines isolées semblent être des vestiges de l’Univers primordial et ne sont pas censées interagir avec leur environnement. En observant l’une d’entre elles, une équipe internationale conduite par des scientifiques du CNRS et de l’Observatoire de Paris - PSL a constaté qu’elle était en forte interaction avec le milieu intergalactique, alors que celui-ci est supposé très peu dense. Faisant l’objet d’une lettre parue dans la revue Astronomy and Astrophysics, le 27 avril 2022, cette découverte bouleverse la compréhension de la formation et de l’évolution des galaxies naines et ouvre un nouveau champ de questionnements.

Les galaxies naines sont affectées par les mêmes processus d’évolution à l’œuvre dans les grandes galaxies comme la Voie lactée ou la galaxie d’Andromède. Moins lumineuses et moins massives que leurs grandes sœurs, elles sont particulièrement sensibles aux mécanismes environnementaux provoqués par la présence d’une galaxie géante dans leur voisinage. Dans ce cas, elles peuvent subir des effets de marées gravitationnelles ou la pression dynamique causée par le milieu gazeux environnant. Pour déterminer l’importance de ces effets les astronomes peuvent comparer les différences entre les populations de galaxies naines : avec d’un côté celles dites "satellites" et de l’autre, celles dites "isolées".

WLM est considérée comme l’archétype d’une galaxie naine isolée. Elle a été découverte en 1909 par Max Wolf, puis confirmée par Knut Lundmark et Philibert Melotte (d’où son nom "WLM" d’après les initiales de ses codécouvreurs). Elle se situe à équidistance entre la Voie lactée et M31, à presque 3 millions d’années-lumière. Elle se serait formée dans un isolement total, sans aucune perturbation extérieure. Ainsi, sa masse de matière sombre est considérée comme stable et solidement déterminée, jusqu’à 90 fois plus importante que sa matière baryonique, composée d’étoiles et de gaz.

Cependant, de récentes observations menées au radiotélescope MeerKAT par une équipe internationale dirigée par un ingénieur CNRS à l’Observatoire de Paris – PSL ont révélé une forte interaction entre WLM et le milieu intergalactique. L’hydrogène neutre de la galaxie est repoussé par un effet de pression dynamique causée par son propre mouvement à travers le milieu intergalactique.

Image composite, dans les domaines optique et radio, de WLM, une galaxie naine isolée, équidistance de la Voie lactée et de la Galaxie d’Andromède.
Des observations au radiotélescope MeerKAT révèlent quatre trainées gazeuses d’hydrogène neutre (transparente bleue), dans le sillage de son déplacement (représenté par la flèche orange) : une étrangeté pour cet objet qui n’est pas censé interagir avec le milieu intergalactique qui l’environne.
Yang et al. / Observatoire de Paris – PSL / CNRS / ESO / NOAO / MeerKAT

À partir des observations radios les plus profondes, les scientifiques ont en effet identifié dans WLM quatre nuages gazeux d’hydrogène neutre s’étendant dans la direction opposée à son mouvement dans le ciel, déterminée par les données récentes du satellite Gaia de l’ESA.

« Les quatre nuages représentent 10% de la masse d’hydrogène neutre totale de la galaxie. Nous avons également constaté qu’il existe un décalage spatial entre le gaz et les étoiles de WLM », explique Roger Ianjamasimanana, radioastronome à l’Université Rhodes, en Afrique du Sud. Avec la découverte de ces quatre trainées gazeuses, l’équipe de recherche conclut que le gaz de WLM en est chassé, à cause de la pression dynamique exercée par le milieu gazeux environnant.

Cette découverte est une surprise totale pour les chercheurs : « Le milieu intergalactique dans lequel réside WLM est supposé être quasiment vide, composé d’une couche ténue de gaz. Les scientifiques supposaient jusqu’à présent que ce milieu si ténu ne pouvait provoquer un tel effet sur une galaxie », explique Yanbin Yang, ingénieur CNRS à l’Observatoire de Paris - PSL, et premier auteur de l’article.

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Pour étudier l’effet plus en détail, l’équipe a réalisé des simulations informatiques. « Dans nos simulations, nous avons également constaté que les observations ne peuvent s’expliquer que si le milieu intergalactique s’avère beaucoup plus dense que prévu. Il semble que nous ayons trouvé un très grand réservoir inattendu de matière dans les régions qui sont parmi les moins denses de l’Univers », renchérit le scientifique.

Une autre hypothèse serait que la masse de WLM serait beaucoup plus faible et pourrait même être dépourvue de matière sombre. Cela expliquerait comment le milieu intergalactique, de si faible densité, pourrait être capable de dépouiller WLM, par pression dynamique. Mais ce serait aussi un résultat révolutionnaire, car jusqu’à présent, il est admis que la masse des galaxies est dominée par cette mystérieuse matière sombre.

En résumé, l’équipe conclut à deux scenarii : soit ces régions intergalactiques presque "vides" ne le sont pas vraiment, soit la galaxie WLM est déficiente en matière sombre.

Dans tous les cas, cette étude révolutionne la compréhension des galaxies naines. À l’avenir, pour de futurs travaux, elles ne pourront plus jamais être considérées comme totalement isolées.

Référence

L’article ‘Evidence of ram-pressure stripping of WLM, a dwarf galaxy far
away from any large host galaxy’ par Yanbin Yang et al. (2022) est publié dans une lettre de la revue Astronomy & Astrophysics, le 27 avril 2022.
DOI : https://www.aanda.org/10.1051/0004-6361/202243307

Collaboration internationale

L’équipe internationale comprend des scientifiques de l’Observatoire de Paris – PSL et du CNRS, ainsi que de l’Instituto de Astrofisica de Andalucia (Espagne), de Rhodes University (Afrique du Sud), de University of Cape Town (Afrique du Sud), de Victoria University (Canada), de l’Université de Montréal (Canada), de l’Université Ouaga (Burkina Faso), du Max-Planck-Institut für Radioastronomie (Allemagne) et du NRC Herzberg Astronomy and Astrophysics (Canada).