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Une galaxie hyper-lumineuse, un milliard d’années après le Big-Bang

1er janvier 2012

De par leur très grande distance et leur très faible luminosité, il est très difficile de détecter les galaxies primordiales. L’amplification gravitationnelle par des amas de galaxies d’avant-plan est alors utilisée pour augmenter la luminosité apparente de ces galaxies et nos chances de les découvrir. D’autre part, ces galaxies jeunes qui forment beaucoup d’étoiles, doivent rayonner l’essentiel de leur énergie dans l’infra-rouge très lointain, grâce aux poussières chauffées par les jeunes étoiles. Le satellite Herschel de l’ESA est le mieux placé pour repérer les signaux très décalés vers le rouge par l’expansion de l’Univers. Une équipe internationale d’astronomes, conduite par une astrophysicienne de l’Observatoire de Paris, a ainsi découvert grâce à Herschel un pic d’émission mystérieux, ne correspondant à aucune source proche connue. L’observation dans cette direction avec les télescopes de l’IRAM a permis de détecter des raies moléculaires (eau, monoxyde de carbone..) et ainsi de déduire le redshift de la source et sa distance. Deux composantes distinctes de vitesses suggèrent qu’il s’agit de deux galaxies en interaction. Le système, même corrigé du facteur d’amplification, est hyper-lumineux (Luminosité supérieure à 1013 , soit 2-3 ordres de grandeur celle de la Voie Lactée), ce qui est remarquable pour un objet formé un milliard d’années seulement après le Big-Bang.

Dans l’histoire de la formation d’étoiles de l’Univers, il apparaît un grand maximum d’activité entre les redshifts z=1 et z=3, ce qui correspond aux époques 2 à 6 milliards d’années après le Big-Bang. Ces flambées de formation d’étoiles rayonnent essentiellement grâce à leur poussière chauffée par les étoiles jeunes enfouies dans leur cocon. Cette émission a son maximum autour de 0.1 mm de longueur d’onde dans le référentiel de la galaxie, et peut-être détectée entre 0.2 et 0.4 mm, une fois décalée vers le rouge par l’expansion de l’Univers. S’il y avait des galaxies primordiales encore plus éloignées, on devrait pouvoir les détecter entre 0.5 et 1mm de longueur d’onde, le domaine submillimétrique. Pourtant, très peu ont été détectées jusqu’à présent.

Figure 1 : L’ image de fond (en grisé) est une photo de l’amas de galaxies Abell 773 (z=0.22) en longueur d’onde visible obtenue ave le télescope Subaru, Ã Hawaii. La galaxie du centre (tache grise) est pourtant une galaxie qui n’appartient pas à l’amas, dont le spectre a été obtenu avec le Keck, avec un redshift z=0.63. Il s’agit de la galaxie-lentille, qui contribue à l’essentiel de l’amplification gravitationnelle. La galaxie lointaine a d’abord été repérée par sa forte émission en infrarouge lointain et submillimétrique, grâce au satellite Herschel  : contours rouges, à 0.5mm, et contours verts à 0.25mm de longueur d’onde. Les contours noirs correspondent à l’émission à 0.9mm, détectée par le SMA (SubMillimeter Array, Hawaii). Les contours de l’émission CO(2-1) obtenus au EVLA ont la même forme. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Pour explorer ces galaxies primordiales, l’équipe d’astronomes a observé, avec le satellite infrarouge et submillimétrique Herschel, des centaines d’amas de galaxies. Ceux-ci servent de "télescope gravitationnel", grâce à leur effet de lentille. Dans le domaine de longueur d’onde considéré, les galaxies d’avant plan dans les amas ne contribuent que de façon négligeable à l’émission, et les galaxies lointaines, si elles existent, doivent dominer. C’est en observant l’amas de galaxies Abell 773, qu’une source extrêmement brillante a été détectée. Le redshift d’Abell 773 est de z=0.22, ce qui équivaut à une distance d’environ 3 milliards d’années-lumière de nous.

Figure 2 : Les spectres de plusieurs transitions de la molécule CO, de la molécule d’eau H2O, de l’atome de carbone CI, et de l’azote ionisé

Une fois repérée cette forte source millimétrique en continuum, l’équipe a entrepris de déterminer sa distance et sa nature, par un suivi au sol. L’interféromètre SMA a permis de préciser la position, avec une résolution de 2 secondes d’arc (Figure 1). L’image visible obtenue avec le télescope Subaru montre une galaxie d’avant-plan qui se trouve à environ 1 seconde d’arc au Nord. Le spectre optique de cette galaxie a été obtenu sur le télescope Keck II avec DEIMOS, et, surprise, la galaxie n’appartient pas à l’amas Abell 773, mais se trouve plus éloignée à z=0.63. C’est pourtant cette galaxie qui contribue à l’essentiel de l’amplification gravitationnelle. Etand donné© les contours allongés Nord-Sud de l’objet vu par les instruments SMA et EVLA, sans doute la séparation des images gravitationnelles de la source est de l’ordre de 2". Cela permet de faire un modèle approché de lentille, et d’en déduire un facteur d’amplification de 11.

Figure 3 : Distribution d’énergie dans les raies du monoxyde de carbone (échelle des niveaux de rotation de la molécule CO). Le flux de chaque raie est porté en fonction du niveau élevé J de la transition. Les deux composantes de vitesses (rouge et bleue) ont la même distribution avec un maximum à J=6. Par comparaison, La Voie Lactée (MW en bleu) a son maximum à J=2-3, et les galaxies en interaction Les Antennes (Ant en rouge) entre J=3-4. D’autres galaxies (M82 en vert, Mrk231 en violet) ont aussi des maximums à J élevé, et sont des flambées de formation d’étoiles, parfois accompagnées de quasars. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Enfin la source a été observée avec le télescope de 30m de l’IRAM, et l’interféromètre du Plateau de Bure. Le récepteur à grande bande EMIR a permis d’explorer rapidement une grande bande de fréquences, entre 81 et 115 GHz, et de détecter plusieurs raies de la molécule CO, qui donnent ainsi le redshift de la source z=5.243 (cf Figure 2). Cette source hyper-lumineuse s’est formée un milliard d’années à peine après le Big-Bang  ! Les deux composantes en vitesses suggèrent la présence de deux galaxies en interaction. La haute excitation de la molécule CO indique la présence d’une flambée de formation d’étoiles, et peut-être un noyau actif (Figure 3). C’est la première fois que la raie [NII]205micron est détectée à grand redshift. Cette raie qui trace le gaz ionisé, présente une composante décalée vers le bleu très développée, qui suggère un flot de gaz ionisé important, correspondant aussi à des ailes de raie dans les spectres des molécules  : sans doute une éjection forte de gaz, due aux supernovae et vents stellaires. Cette source hors du commun va être étudiée maintenant plus en détail, avec haute résolution spatiale.

Référence

  • A bright z=5.2 lensed submillimeter galaxy in the field of Abell 773 : HLSJ091828.6+514223 F. Combes (Obs-Paris), M. Rex (Tucson), T. D. Rawle (Tucson), E. Egami (Tucson), F. Boone (Toulouse), I. Smail (Durham), J. Richard (Lyon), R.J. Ivison (Edinburgh), M. Gurwell (Harvard), C.M. Casey (Hawaii), A. Omont (IAP-Paris), A. Berciano Alba (ASTRON), M. Dessauges-Zavadsky (Geneva), A.C. Edge (Durham), G.G. Fazio (Harvard), J-P. Kneib (Marseille), N. Okabe (Taipei), R. Pello (Toulouse), P. G. Perez-Gonzalez (Madrid), D. Schaerer (Geneva), G.P. Smith (Birmingham), A.M. Swinbank (Durham), P. van der Werf (Leiden) Astronomy and Astrophysics, sous presse