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1er décembre 2001

Quelle est la forme de l’univers ? L’espace est-il fini ou infini ? A-t-il des "bords", des "trous", des "poignées" ? Cette énigme qui préoccupe les cosmologistes depuis plus de deux mille ans connaît actuellement des rebondissements spectaculaires dans le cadre d’un champ nouveau de recherche : la topologie cosmique.

Un équipe internationale de chercheurs travaillant en France, aux Etats-Unis et au Brésil, vient de combler une importante lacune dans le domaine. Ils proposent de nouveaux modèles d’univers dans lesquels l’espace, sphérique mais beaucoup plus petit que l’univers observé, engendre une illusion d’optique à l’échelle cosmique (effet de lentille topologique).La théorie de la relativité générale d’Einstein nous enseigne qu’à grande échelle, l’espace possède une courbure constante positive, négative ou nulle, selon la valeur de la densité totale de matière et d’énergie cosmique. En résultent les célèbres modèles de big-bang, qui décrivent un univers en expansion perpétuelle ou en expansion - contraction à partir d’une singularité initiale. En revanche, la théorie d’Einstein ne nous dit pas si le volume de l’espace est fini ou infini, ni quelle est sa forme globale, sa topologie. Heureusement, les catalogues d’objets astronomiques à grand redshift et les cartes détaillées des fluctuations de température du rayonnement fossile commencent à fournir des indices sur la forme de l’espace, du moins à limiter le nombre énorme de ses topologies possibles. La topologie cosmique connaît donc un fort regain d’intérêt à l’échelle internationale, comme en témoigne la session spéciale "Geometry and Topology of the Universe" organisée par l’American Mathematical Society lors de sa réunion qui s’est tenue mi-octobre 2001 à Willamstown (Massachusetts). Trois chercheurs français ont été invités à exposer devant un parterre de mathématiciens, de physiciens et d’astronomes la méthode statistique qu’ils ont récemment mise au point pour déceler la topologie de l’espace : la cristallographie cosmique.Cristallographie cosmiqueLa cristallographie cosmique cherche à repérer dans la distribution tridimensionnelle apparente des objets célestes lointains (tels qu’amas de glaxies ou quasars), des corrélations spécifiques qui signaleraient des répétitions de structures analogues aux répétitions d’atomes observées dans les cristaux. Ils ont montré que des "histogrammes de séparations de paires" sont susceptibles de mettre en évidence une topologie complexe de l’espace, sous la forme de pics se superposant au bruit de fond qui serait produit par une répartition aléatoire des sources. Les auteurs ont particulièrement étudié les espaces "petits", dont la topologie aurait pour effet de démultiplier les images des galaxies lointaines, faisant paraître l’espace observable plus grand que l’espace physique !Les deux images ci-dessous permettent de visualiser le " mirage topologique " créé par une forme compliquée de l’espace, et la façon de détecter un telle topologie par un histogramme de séparation de paires. Mirages sphériquesJusqu’en 1998, l’étude de la forme de l’espace s’était focalisée sur des modèles de big-bang à courbure négative (espaces hyperboliques) ou nulle (espaces plats). Récemment cependant, une combinaison d’observations astronomiques (supernovae de type I) et cosmologiques (anisotropies du rayonnement fossile) semblent indiquer que l’expansion de l’univers est accélérée, et contraignent la valeur de la courbure de l’espace dans un intervalle qui favorise marginalement le cas de courbure positive. En conséquence, les espaces sphériques sont revenus sur le devant de la scène cosmologique. Dans leur dernier travail, à paraître dans Classical and Quantum Gravity, les cosmologistes français et leurs collaborateurs américains et brésiliens comblent une lacune importante dans le champ de la topologie cosmique en s’attaquant pour la première fois à l’étude complète des espaces sphériques. Le plus simple d’entre eux est la fameuse hypersphère de Riemann, qui est finie sans avoir de frontière. En réalité il existe une infinité d’espaces sphériques tridimensionnels, comme les espaces "lenticulaires", ou encore le fascinant "espace de Poincaré". L’espace de Poincaré est représenté par un dodécaèdre dont les faces opposées sont identifiées par paires, et son volume est 120 fois plus petit que celui de l’hypersphère. Si la forme réelle de l’espace était de cette nature, elle engendrerait un formidable mirage sphérique où les images des sources cosmiques se répèteraient un grand nombre de fois selon des configurations bien particulières. Les chercheurs donnent les principes généraux de construction de tels espaces et leur classification complète, et discutent quelles topologies sphériques seraient détectables par leur méthode de cristallographie cosmique. Ils prédisent la forme de l’histogramme de séparation de paires et vérifient leurs prédictions à l’aide de simulations numériques. Ils en concluent que, compte tenu des dernières contraintes observationnelles sur la courbure de l’espace, il reste environ 3000 topologies sphériques candidates pour décrire la structure globale de l’espace – sans compter les 18 formes euclidiennes, au cas improbable où l’espace serait strictement plat. L’avenir de la topologie cosmiqueDes projets expérimentaux liés aux méthode de cristallographie cosmique et à celle de la détection de paires de cercles corrélés dans le rayonnement fossile sont en cours. Pour l’instant, la profondeur et la résolution des observations ne sont pas suffisantes pour tirer des conclusions fermes sur la topologie de l’univers. Heureusement, les prochaines années ouvrent des perspectives fascinantes : elles livreront à la fois des sondages profonds recensant un très grand nombre d’amas lointains de galaxies et de quasars, et des mesures à haute résolution angulaire du rayonnement fossile, grâce aux satellites MAP et Planck Surveyor. Nous saurons peut-être alors attribuer une forme à l’Univers qui nous héberge, et répondre à l’une des plus vieilles questions de la cosmologie, qui " chiffonne " non seulement les scientifiques, mais aussi les philosophes et les artistes.

Les chercheurs impliqués sont Jean-Pierre Luminet (DARC/LUTH, Observatoire de Paris, France), Roland Lehoucq (Service d’Astrophysique, CEA Saclay, France), Jean-Philippe Uzan (Laboratoire de Physique Théorique, Orsay, France), Evelise Gausmann (Université de Sao Paulo, Brésil) et Jeffrey Weeks (Canton, USA).E. Gausmann, R. Lehoucq, J.-P. Luminet, J.-P. Uzan and J. Weeks : " Topological lensing in spherical spaces ", Class. Quant. Grav., (2001) 18, 1-32 (gr-qc/0106033)R. Lehoucq, J.- P. Uzan and J.- P. Luminet : " Limits of crystallographic methods for detecting space topology ", Astronomy and Astrophysics (2000), 363, 1 (astro-ph/0005515)J.- P. Luminet : L’Univers chiffonné, Fayard, Paris, 2001, 369 p.

Contact

  • Jean-Pierre Luminet
    (DARC-LUTH, CNRS-Observatoire de Meudon) 
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