Illustration par défaut

Pression atmosphérique sur Triton : la nouvelle valeur obtenue interpelle

12 mars 2024

Triton, principal satellite de Neptune, est passé devant une étoile, le 6 octobre 2022. Ce phénomène fut l’occasion d’une vaste campagne d’observations en Inde, Chine et depuis l’espace, menée sous la direction d’un scientifique de l’Observatoire de Paris - PSL, permettant de mesurer la pression atmosphérique régnant à sa surface. Publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics, le 27 février 2024, la valeur obtenue soulève des questions.

L’observation d‘une occultation stellaire par un objet du Système solaire est une méthode très puissante pour mesurer ses dimensions, mais aussi éventuellement détecter des anneaux, mettre en évidence une atmosphère et mesurer sa densité.

Cette méthode a été en particulier utilisée avec succès à plusieurs reprises pour étudier, en fonction du temps, l’évolution de la pression de surface de Pluton et celle de Triton, le plus gros satellite de Neptune.

Les deux objets, de taille comparable, sont aussi de nature similaire avec une atmosphère très ténue d’azote moléculaire ; Triton, tout comme Pluton, est sans doute à l’origine un objet transneptunien, et qui par la suite a été capturé par le champ de gravité de Neptune.

L’atmosphère de Triton nous est connue depuis le survol de Neptune par la sonde Voyager 2 en 1989. D’une épaisseur de 100 km, elle a depuis été régulièrement étudiée grâce à des occultations stellaires. [1]

<multi>[fr]Triton, satellite de Neptune, observé par la sonde Voyager 2 en août 1989.[en]Triton, satellite of Neptune, observed by the Voyager 2 probe in August 1989</multi>
Triton, satellite de Neptune, observé par la sonde Voyager 2 en août 1989.
©NASA.
Une sixième campagne d’observation

La précision astrométrique accrue fournie par le catalogue DR3 de Gaia a permis d’améliorer les prédictions de ce type de phénomène, et une nouvelle occultation par Triton a été observée le 6 octobre 2022 ; la campagne a été coordonnée par l’Observatoire de Paris - PSL dans le cadre du programme Lucky Star.

L’événement a été observé avec succès depuis un site en Chine, un autre en Inde, et depuis le satellite CHEOPS en orbite autour de la Terre ; la campagne comprenait d’autres points d’observations (huit au total en Inde, Japon et Russie) mais qui, à cause de la présence de nuages, se sont révélés infructueux.

 <multi>[fr]À gauche : géométrie de l'observation, représentée sur la Terre (en haut) et dans le plan du ciel (en bas). Sur l'image du haut, les deux droites encadrent la région de la Terre d'où l'occultation était visible. En bas, les trois droites représentent, vue depuis les trois sites d'observation, la trajectoire apparente de l'étoile derrière le disque de Triton ; celui-ci présente son pôle sud vers la Terre. À droite, les courbes d'occultation obtenues aux différents sites. La courbe observée est représentée en noir, la courbe bleue est le modèle correspondant à une pression au sol de 14,5 microbars.[en]Left: geometry of the observation, represented on the Earth (top) and in the plane of the sky (bottom). In the top image, the two straight lines frame the region of the Earth from which the occultation was visible. At the bottom, the three straight lines represent the apparent trajectory of the star behind Triton's disk, as seen from the three observation sites, with its south pole pointing towards the Earth. On the right, the occultation curves obtained at the different sites. The observed curve is shown in black; the blue curve is the model corresponding to a ground pressure of 14.5 microbars.</multi>
À gauche : géométrie de l’observation, représentée sur la Terre (en haut) et dans le plan du ciel (en bas). Sur l’image du haut, les deux droites encadrent la région de la Terre d’où l’occultation était visible. En bas, les trois droites représentent, vue depuis les trois sites d’observation, la trajectoire apparente de l’étoile derrière le disque de Triton ; celui-ci présente son pôle sud vers la Terre. À droite, les courbes d’occultation obtenues aux différents sites. La courbe observée est représentée en noir, la courbe bleue est le modèle correspondant à une pression au sol de 14,5 microbars.
© DR
Une valeur surprenante

À partir des données recueillies, les auteurs de l’étude ont pu mesurer la pression au sol de Triton, estimée à 14,5 microbars. Or, cette valeur est exactement la même que celle mesurée en 2017, et aussi celle mesurée par Voyager 2 en 1989.

Ce résultat est surprenant car Triton est passé au solstice d’été pour l’hémisphère sud en 2000 [2], ce qui devrait correspondre à un maximum de pression ; certaines observations d’occultation, dans les années 1990, avaient d’ailleurs indiqué une élévation par rapport à la valeur de Voyager 2. On s’attendrait donc à ce que la pression décroisse depuis cette date, et en particulier depuis 2017, ce qui n’est pas le cas.

Ce nouveau résultat suggère donc que les modèles actuels décrivant le transfert des volatils dans l’atmosphère de Triton en fonction de l’insolation sont trop simples et doivent être revus pour mieux prendre en compte les interactions entre surface et atmosphère.

Référence

Sicardy, B. et al. 2024. Constraints on the evolution of the Triton atmosphere from occultations : 1989 – 2022. Astron. Astrophys. 682, L24.
https://arxiv.org/abs/2402.02476



[1De précédentes occultations ont permis de sonder l’atmosphère de Triton, en 1989, 1995, 1997, 2008 et 2017.

[2En 2000, Triton a connu un solstice extrême qui se produit tous les 650 ans.