Au cours des dernières décennies, les nombreuses recherches de cette phase froide du gaz ont été infructueuses. Pour la première fois, une équipe de l’Observatoire de Paris a détecté le gaz froid au centre de l’amas de galaxies Abell 1795 et a montré que le gaz moléculaire est associé au refroidissement du gaz intra-amas dans le sillage de la galaxie centrale ("cooling wake") observé sous la forme d’un filament dans le domaine des X et également détecté dans la raie d’émission de l’hydrogène ionisé (Halpha). Le gaz froid ( 20 K), mis en évidence à travers la détection des raies d’émission rotationnelles du CO à 1.3 et 2.6mm, est associé au courant de refroidissement et non pas aux galaxies du centre de l’amas. Une masse de 4.8 109 Msol de gaz moléculaire est déduite en utilisant un facteur de conversion standard CO/H2. Le gaz froid alimente probablement le noyau actif central dont l’éjection d’énergie dans le milieu intra-amas, liée à l’expansion des jets radio, pourrait réchauffer le gaz au centre de l’amas et jouer le rôle de mécanisme régulateur du courant de refroidissement.
Une grande fraction de la masse des amas de galaxies se trouve sous la forme de gaz diffus et chaud (quelques 10 millions de degrés), observé à travers son émission thermique dans le domaine des X. La densité du gaz croît vers le centre de l’amas. Puisque le temps de refroidissement du gaz est inversement proportionnel à la densité du gaz, ce dernier peut atteindre des valeurs bien inférieures au temps de Hubble au coeur de l’amas. Dans une région large de quelques centaines de kpc, le gaz peut alors se refroidir thermiquement et couler vers le centre de l’amas, les régions centrales ne pouvant plus supporter les forces de pression des régions extérieures. Cependant, il est très difficile de mettre en évidence le résidu du gaz refroidi, attendu à très basse température. Les récents résultats des satellites Chandra et XMM-Newton ont permis de donner une vision nouvelle du phénomène, différente du modèle traditionnel. Les images Chandra dans la bande X du gaz chaud au centre des amas de galaxies ont révélé l’existence de cavités, de bulles de gaz chaud, ainsi que des cartes de températures très inhomogènes, suggérant l’existence d’une activité intermittente de refroidissement du gaz, liée à des phénomènes de réchauffement, qui pourraient être dus à la présence d’un trou noir central (noyau actif) et au jets radio associés. Le modèle simple à symétrie sphérique de courant de refroidissement doit être abandonné. Les taux de déposition de masse sont réduits d’environ un ordre de grandeur en comparaison des valeurs déduites grâce à l’ancienne génération de satellites X. Les grandes quantités de gaz froid prédites par les observations X étaient jusqu’à présent non-détectées, soulevant la question de l’existence même des courants de refroidissement. En moins de 2 ans, la situation a radicalement changé dans le domaine millimétrique. Le gaz moléculaire est maintenant détecté en relativement grande quantité, à travers les raies d’émission du CO (traceur de H2), dans 23 amas galaxies connus pour abriter un courant de refroidissement (Edge, A.C. 2001 ; Salomé, P., Combes, F. 2003a). Cependant ces détections manquent de résolution spatiale pour effectivement prouver que le courant de refroidissement est à l’origine du gaz froid détecté. La cartographie du CO au centre d’Abell 1795, présentée ici, donne la première preuve de l’association du CO avec le gaz se refroidissant au sein de l’amas.
Abell 1795 est un riche amas de galaxies. Il est connu depuis longtemps pour contenir en son centre un "cooling flow". La température du gaz chaud intra-amas, mesurée à partir de son émission dans le domaine des X, décroît d’un facteur 3 entre le rayon de refroidissement (à environ 140 kpc) et le centre de l’amas. L’image récente du centre de cet amas par Chandra (Figure 1, Fabian et al. 2001) montre l’existence d’une structure filamentaire de 40" de long (soit environ 60 kpc), coïncidente avec l’émission en Halpha+NII révélée par Cowie et al. (1983). Ce filament est aussi visible dans la bande U (McNamara et al. 1996) dont certaines régions sont identifiées comme des sites de formation d’étoiles, avec un taux de formation stellaire de l’ordre de 20 Msol/an. La galaxie centrale, un peu au sud du pic d’émission X au nord du filament, possède une vitesse particulière d’environ +350 km/s par rapport au reste des galaxies de l’amas. Elle oscille dans le potentiel gravitationnel de l’amas. La majeure partie du gaz ionisé dans la tête du filament a une vitesse centrée sur la vitesse moyenne de l’amas. Le temps caractéristique de refroidissement radiatif du gaz X dans le filament est d’environ 300 Millions d’années, très proche de l’âge dynamique du filament (rapport de la longueur sur la vitesse). Par conséquent, la morphologie du filament détecté dans la bande X suggère que ce dernier soit une coulée de refroidissement, laissée dans le sillage de la galaxie en mouvement dans l’amas, le gaz se refroidissant le long de la trajectoire de la galaxie centrale.
Les observations de l’émission des raies du monoxyde de carbone CO(1-0) et CO(2-1), présentées ici, ont été obtenues avec l’interféromètre du Plateau de Bure. Ces observations montrent que le gaz est étendu et que les régions d’émission du gaz froid correspondent avec celle de l’émission dans la bande X, donc du courant de refroidissement. L’association entre l’émission de la raie CO(2-1) et celle du gaz ionisé Halpha est particulièrement frappante. La traînée de gaz se refroidissant est certainement reliée aux jets et aux lobes radio émergeant de la source radio 4C+26.42 (Van Breugel et al. 1984). Les jets semblent avoir créé une cavité dans le gaz intra-amas. Le gaz X en refroidissement, le gaz moléculaire froid et la formation d’étoiles engendrée à partir du gaz froid sont tous confinés le long des lobes radio. La cinématique du gaz moléculaire est également très similaire à celle du gaz détecté en Halpha.
En résumé, le gaz se refroidissant (X-ray, Halpha, continuum bleu, CO) se situe principalement autour des lobes radio qui semblent avoir été vidés du gaz intra-amas par l’expansion des jets radio. Par sa cinématique, le gaz froid est associé avec le gaz intra-amas et non pas avec la galaxie cD centrale (pas de signe de gaz en rotation). Le scénario le plus réaliste est que le plasma des jets radio ait déplacé et compressé le gaz chaud et diffus du centre de l’amas. Dans les régions les plus denses, le refroidissement est alors accéléré. C’est cela qui produit le gaz moléculaire effectivement détecté qui peut ensuite former des étoiles, expliquant la coïncidence des émissions CO avec celle de la bande X et en Halpha.