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Première observation d’un noyau actif de galaxie avec le VLTI : résolution du tore au coeur de NGC 1068

1er mai 2004 Première observation d'un noyau actif de galaxie avec le VLTI : résolution du tore au coeur de NGC 1068

Le paradigme pour expliquer la grande variété des noyaux actifs de galaxies est l’existence d’un trou noir supermassif, entouré d’un tore de gaz et de poussière, le cachant à la vue pour certaines lignes de visée. La galaxie de Seyfert 2, NGC 1068, est justement dans ce cas, où le noyau actif nous est caché par un tore. Pour la première fois, l’émission du tore de poussière est nettement résolue par l’interferomètre du VLT, le VLTI. D’après le consortium européen, auquel participent des chercheurs de l’Observatoire de Paris, à l’origine de ces observations, le tore pourrait être décomposé en une partie compacte et chaude de 1 pc de taille et une plus étendue et plus froide de 3,4 pc.

L’instrument MIDI (Mid-Infrared Interferometer) du grand interféromètre VLTI (Very Large Telescope Interferometer) de l’Observatoire Européen Austral au Chili est le premier instrument observant entre 8 et 13 µm à offrir une résolution angulaire de l’ordre de 10 à 20 mas (milliseconde d’angle) selon les configurations utilisées (résolution correspondant à un immeuble de dix étages sur la Lune vu depuis la Terre).MIDI a été réalisé par un consortium européen d’instituts allemands, néerlandais et français (Observatoires de Paris et de la Côte d’Azur). Les premières données scientifiquement exploitables ont été obtenues pendant l’année 2003 et, après une phase délicate de traitement et d’analyse, les résultats commencent maintenant à s’accumuler.L’observation d’un noyau actif de galaxie par un interféromètre dans l’infrarouge thermique est une première. Elle a été rendue possible grâce à l’utilisation de télescopes sensibles de 8,2 m de diamètre du VLT permettant de réaliser des bases de 98m (UT1-UT3) et 46m (UT2-UT3) offrant ainsi des résolutions comparables à celles de télescopes de 98 et de 46 m de diamètre encore inaccessibles. Les noyaux actifs de galaxies désignent le coeur central de galaxies très actives dont on pense qu’il abrite un trou noir super massif de plusieurs centaines de millions de fois la masse du Soleil, entouré d’un disque d’accrétion dans lequel du gaz tombe en spiralant vers le trou noir, libérant ainsi une énergie gigantesque. Des jets de matière ionisée sont parfois éjectés à très grande vitesse dans deux directions opposées, selon deux axes perpendiculaires au disque. En périphérie de cet engin central qui reste inaccesible aux instruments actuels de haute résolution angulaire, les astronomes s’attendent à trouver de la matière plus désorganisée, vraisemblablement sous forme d’un tore contenant gaz et poussière. Ce tore est la dernière frontière, dans le cas de NGC 1068 qui est vue par la tranche, avant le moteur central énergétique. Son observation est donc cruciale pour la compréhension de la nature du coeur et des mécanismes qui l’animent.Une vue grand champ de la galaxie est donnée en Figure 1. Les bras spiraux sont clairement visibles. La partie observée par MIDI est le coeur brillant.

Figure 1 Vue de la galaxie spirale NGC 1068 dans le domaine optique. À la distance de NGC 1068, soit 17 Mpc, 1 kpc correspond à un champ de 12 secondes d’angle. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Les observations se sont déroulées en Juin et Novembre 2003. Seule la partie centrale de la Figure 2, très brillante dans l’infrarouge par rapport à la galaxie hôte, a été observée par MIDI.

Figure 2 Vue du champ de l’instrument MIDI projeté sur le ciel. L’image en arrière plan a été obtenue par optique adaptative à 2,2 µm. La largeur de la fente de MIDI est de 1 seconde d’angle. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

L’information produite par MIDI est le flux corrélé de l’objet. C’est le produit du spectre de la source par la visibilité qui dépend aussi de la longueur d’onde. Plus la visibilité de l’objet est petite et plus l’objet est résolu, un objet non résolu ayant une visibilité de 1. C’est donc cette information qui permet de remonter à la taille de l’objet. Combinée à l’information spectrale, elle permet de connaître certaines propriétés spatiales et physiques de la source.

Figure 3 Le graphique du haut est le spectre de l’objet mesuré par MIDI entre 8 et 13 µm. Les deux graphiques suivants sont les flux corrélés mesurés avec les bases de 46m et 98m dont les projections dans la direction de NGC 1068 sont respectivement de 42 et 78 m. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Le rapport du flux corrélé et du spectre donne la visibilité. La visibilité diminue donc avec la base, signe que la source est résolue par l’interferféromètre.Les courbes de visibilité obtenues par MIDI sont données en Figure 3. La visibilité est d’autant plus petite (jusqu’à 5%) que la base est longue, preuve que l’objet a été résolu. Le spectre de NGC 1068 montre en outre une absorption autour de 9,7 µm, signature de poussières de silice. Un creux de visibilité est clairement visible à cette même longueur d’onde montrant que la taille de l’objet y est plus importante. Les poussières de silice sont donc probablement des constituants de la structure à l’échelle la plus importante. Ces informations ont permis de montrer que l’objet peut être modélisé par deux composantes. Une composante chaude et compacte de taille caractéristique 1 pc (12 mas) et de température supérieure à 800 K, et une composante plus étendue de taille 3,4 pc (50 mas) et dont la température est de l’ordre de 320 K. Les observations précédentes faites en optique adaptative avaient conduit à des tailles maximales de 120 mas pour cette structure. Les observations de MIDI montrent que la nature de l’objet est jusqu’ici en accord avec le modèle des noyaux actifs de galaxies décrit ci-dessus.L’impulsion est maintenant donnée pour l’exploration des noyaux actifs de galaxies à haute résolution angulaire dans le proche infrarouge. Des résolutions angulaires encore meilleures seront nécessaires pour résoudre les parties les plus centrales. Un prochain pas va bientôt être fait avec l’instrument AMBER du VLTI fonctionnant entre 1 et 2,4 µm. L’Observatoire de Paris travaille également à la réalisation d’un interféromètre de 800 m de base, ’OHANA, couplant les grands télescopes du Mauna Kea à Hawaii et permettant d’atteindre à terme des résolutions inférieures à la milliseconde d’angle entre 1 et 2,4 µm nécessaires à l’étude de ces sources lointaines. -* MIDI : http://www.eso.org/instrumets/midi/