
La ceinture principale d’astéroïdes se situe entre les orbites des planètes Mars et Jupiter ; elle est composée de millions, voire de milliards de petits fragments de roche et de poussières. La totalité des astéroïdes équivaut en masse à 1/1000e de celle de la Terre. Leur taille peut varier suivant une très grande disparité, allant de quelques centimètres à des centaines de kilomètres.
Les astéroïdes constituent pour les planétologues l’une des principales sources l’informations sur les premières étapes de formation du Système solaire. Ils sont les restes de la nébuleuse primitive formée il y a 4,5 milliards d’années. Alors naissant, le Soleil était entouré d’un disque de poussières et de gaz au sein duquel les planètes se sont peu à peu formées par attraction gravitationnelle. Les astéroïdes sont des petits corps célestes qui n’ont pas réussi à s’agréger en ensembles plus volumineux. Très peu évolués, ils témoignent des conditions primordiales de formation de la Terre et des autres planètes telluriques, telles que celles-ci étaient avant de se « différencier [1] » avec un coeur, un manteau et une croûte.
Depuis les années 1980, les scientifiques supposent que la structure du Système solaire, au cours de son histoire, est restée statique : les corps se trouvent dans la zone où ils se sont formés. Les premières études de la répartition de la composition des astéroïdes ont permis une classification en fonction de leur distance au Soleil, montrant une transition entre des corps évolués, "chauds", proches du Soleil et des corps plus primitifs, "froids", plus éloignés.
Ce modèle a quelque peu évolué à partir des années 2000, avec la mise au jour d’exceptions : des astéroïdes a priori formés dans un environnement "chaud" sont trouvés de plus en plus loin du Soleil, et réciproquement. En parallèle, avec la quête des exoplanètes et notamment la découverte de « Jupiters chauds », c’est-à-dire de géantes gazeuses orbitant très près de leur étoile, l’idée de systèmes planétaires statiques est sérieusement remise en question.
Deux astronomes, Francesca DeMeo du Massachussetts Institute of Technology – MIT (États- Unis) et Benoît Carry de l’Observatoire de Paris (IMCCE - Observatoire de Paris/CNRS/université Pierre et Marie Curie/université de Lille 1) apportent une contribution majeure à cette réflexion en publiant dans Nature une carte complète de la distribution de la composition des astéroïdes de la ceinture principale. Les chercheurs ont ainsi extrait, sur une sélection réalisée par le consortium Sloan Digital Sky Survey – SDSSR [2], plus de 100 000 clichés sur lesquels figuraient par hasard des astéroïdes du Système solaire.
Pris à diverses longueurs d’onde, ces clichés leur ont permis de déterminer la composition de 100 000 astéroïdes de taille supérieure à 5 kilomètres, puis de les classer en fonction de leur taille et de leur emplacement dans le Système solaire.
De la nouvelle carte, il ressort que, pour les gros astéroïdes (de 50 kilomètres de diamètre et plus), la vue traditionnelle reste valide : plus ceux-ci sont éloignés du Soleil et plus ils semblent primitifs. Mais pour les astéroïdes de petite taille (en particulier, ceux de 5 à 20 kilomètres), s’impose une remise en question, car ce qui faisait exception dans les années 2000 devient désormais la norme : on trouve à proximité de Mars des astéroïdes semblables aux objets froids, habituellement situés au-delà de l’orbite de Jupiter et non répertoriés dans les anciens relevés.
Cette nouvelle vue de la ceinture principale serait en accord avec les derniers modèles théoriques de l’histoire du Système solaire, tout en soulevant de nouvelles questions. Avec la publication du modèle de Nice en 2005, des chercheurs avancent que tout dans le Système solaire a énormément migré, y compris les planètes, et que les astéroïdes se sont formés à diverses distances du Soleil avant d’être piégés dans la ceinture principale. De ces modèles, a bien été déduite la grande mixité des astéroïdes dans la ceinture principale, considérée alors comme un pot-pourri du jeune Système solaire.
Si la nouvelle cartographie montre bien ce mélange, les détails ne collent toutefois pas tous avec les nouveaux modèles, en particulier la présence de corps "froids" près de Mars. « Décortiquer ce sac de noeuds est la clef pour comprendre l’évolution du Système solaire dès son origine » indique Benoit Carry. Les modèles dynamiques d’évolution du Système solaire sont à l’heure actuelle incapables de reproduire ces observations. Les détails présents dans la carte récemment publiée, et inconnus jusqu’à présent, pourront être utilisés par les théoriciens et les guider dans la reconstitution de notre passé.
Référence
Ce travail de recherche fait l’objet d’un article à paraître : "Solar System evolution from Compositional mapping of the asteroid belt", F. E. DeMeo et B. Carry, Nature, 30 janvier 2014. doi:10.1038/nature12908
[1] La différentiation est le processus par lequel l’intérieur des planètes s’organise par la séparation de divers matériaux : les éléments lourds (comme les métaux), attirés vers le centre chaud des planètes en ont constitué le coeur, alors que les éléments moins denses en ont formé le manteau et la croûte.
[2] Relevé de ciel profond lié à un télescope de 2,5 m de Apache Point du Nouveau Mexique qui intègre 100 millions d’objets célestes, des étoiles et des galaxies du ciel boréal. Sur certains clichés, des astéroïdes apparaissent fortuitement.