Voici quelque quatre milliards d’années, la toute jeune planète aurait renfermé suffisamment d’eau liquide pour que l’intégralité de sa surface en soit couverte, sur une hauteur d’environ 140 mètres. Il semble plus probable toutefois que l’eau liquide se soit constituée en un océan couvrant près de la moitié de l’hémisphère nord de la planète. En certaines régions, la profondeur de cet océan pouvait dépasser 1,6 kilomètre.
“Notre étude fournit une estimation solide de la quantité d’eau jadis présente sur Mars, déduite de celle perdue dans l’espace” indique Geronimo Villanueva, un scientifique travaillant au Goddard Space Flight Center de la NASA à Greenbelt dans le Maryland, Etats-Unis, et auteur principal de cette nouvelle étude. “Grâce à ce travail, nous sommes en mesure de mieux comprendre l’histoire de l’eau sur Mars”.
Cette nouvelle estimation a été déduite des observations détaillées de deux isotopes de l’eau présents dans l’atmosphère martienne. L’un de ces isotopes est H2O, constitué de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène. L’autre est HDO, une eau semi-lourde présente à l’état naturel, qui diffère de la molécule d’eau classique H2O par la figuration d’un atome de deutérium, plus lourd que l’hydrogène, en lieu et place de l’un des deux atomes d’hydrogène.
La forme deutérée est caractérisée par une masse supérieure à celle de la molécule d’eau classique. Sa tendance à l’échappement est donc moindre. Ainsi donc, le taux d’échappement de l’eau de la planète peut se mesurer au rapport HDO / H2O qui caractérise l’eau restante [1] .
Les chercheurs sont parvenus à distinguer les signatures chimiques des deux isotopes de l’eau grâce au Très Grand Télescope de l’ESO au Chili, ainsi qu’au moyen d’instruments installés à l’Observatoire W.M. Keck, sans oublier le Télescope Infrarouge de la NASA à Hawaï [2]. En comparant le ratio HDO / H2O, les scientifiques peuvent estimer l’augmentation de la quantité de HDO et déterminer la quantité d’eau échappée dans l’espace. Ils peuvent également en déduire la quantité d’eau initialement présente sur Mars.
Au cours de cette étude, l’équipe a cartographié la distribution de H2O et de HDO. Et ce, à différentes reprises au cours de six années terrestres – qui correspondent à environ trois années martiennes. Elle a ainsi produit des instantanés globaux de leurs distributions respectives, ainsi que de leur ratio. Les cartes obtenues révèlent l’existence de variations saisonnières ainsi que de microclimats, bien que Mars s’apparente davantage aujourd’hui à un désert.
L’équipe s’est plus particulièrement intéressée aux régions situées à la lisière des pôles nord et sud, parce que les calottes de glace polaire constituent les plus vastes réservoirs d’eau connus. L’eau qui y est emprisonnée permet de retracer l’évolution de l’eau sur Mars depuis la période humide du Noachien qui s’est achevée il y a 3,7 milliards d’années.
Les résultats nouvellement obtenus indiquent que la quantité d’eau lourde présente dans l’atmosphère située à proximité des régions polaires a augmenté d’un facteur 7 en comparaison de l’eau des océans terrestres, ce qui implique que l’eau des calottes polaires martiennes s’est enrichie d’un facteur 8. Les mesures antérieures d’enrichissement du rapport D/H sur Mars, intégrées sur l’ensemble de la planète, se situaient entre 5 et 6 fois la valeur terrestre. Les cartes obtenues par l’équipe donnent pour la première fois une mesure de D/H en fonction de la latitude, de l’altitude et de la saison. Le taux d’enrichissement mesuré à partir de ces cartes implique que Mars a perdu un volume d’eau 6,5 fois plus important que celui actuellement stocké au sein des calottes polaires. Le volume de l’océan primitif martien était donc très certainement supérieur à 20 millions de kilomètres cubes.
Au vu de l’actuelle surface de Mars, il est probable que cette eau ait recouvert les Plaines du Nord, caractérisées par une faible élévation. L’océan primitif aurait ainsi recouvert 19% de la surface totale de la planète – ce qui est supérieur aux 17% de la surface terrestre qu’occupe actuellement l’Océan Atlantique.
« Si la planète Mars a effectivement perdu cette quantité d’eau, il est fort probable qu’elle soit demeurée humide, et donc habitable, durant une période plus longue qu’estimée auparavant » conclut Michael Mumma, scientifique en chef au Centre Goddard et second auteur de l’article.
Il est possible que Mars ait renfermé une quantité d’eau bien plus importante encore, dont une partie subsisterait sous la surface. Les nouvelles cartes révèlent l’existence de microclimats et de variations de quantités d’eau atmosphérique au fil du temps.
Elles pourraient également s’avérer utiles dans la recherche d’eau souterraine.
Plus d’informations
- Cette étude a fait l’objet d’un article intitulé “Strong water isotopic anomalies in the Martian atmosphere : probing current and ancient reservoirs”, par G. VIllanueva et al., à paraître dans l’édition en ligne de la revue Science du 5 mars 2015.
- L’équipe est constituée de G.L. Villanueva (Goddard Space Flight Center de la NASA, Greenbelt, Etats-Unis ; Université Catholique d’Amérique, Washington, D.C., Etats-Unis), M.J. Mumma (Goddard Space Flight Center de la NASA), R.E. Novak (Collège Iona, New York, Etats-Unis), H.U. Käufl (ESO, Garching, Allemagne), P. Hartogh (Institut Max Planck dédié à la Recherche sur le Système Solaire, Göttingen, Allemagne), T. Encrenaz (CNRS - Observatoire de Paris, Paris, France), A. Tokunaga (Université de Hawaï-Manoa, Hawaï, Etats-Unis), A. Khayat (Université de Hawaï-Manoa) et M. D. Smith (Goddard Space Flight Center de la NASA).
- L’ESO est la première organisation intergouvernementale pour l’astronomie en Europe et l’observatoire astronomique le plus productif au monde. L’ESO est soutenu par 16 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’ESO conduit d’ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l’astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d’importantes découvertes scientifiques. L’ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l’organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L’ESO gère trois sites d’observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l’ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l’observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et deux télescopes dédiés aux grands sondages. VISTA fonctionne dans l’infrarouge. C’est le plus grand télescope pour les grands sondages. Et, le VLT Survey Telescope (VST) est le plus grand télescope conçu exclusivement pour sonder le ciel dans la lumière visible. L’ESO est l’un des partenaires majeurs d’ALMA, le plus grand projet astronomique en service. Et, sur le Cerro Armazones, à proximité de Paranal, l’ESO est en train de construire le télescope géant européen de 39 mètres, l’E-ELT, qui sera « l’œil le plus grand au monde tourné vers le ciel ».
Quatre programmes du siège de la NASA à Washington DC ont soutenu cette étude : Recherche Fondamentale sur Mars, Astronomie Planétaire, Atmosphères Planétaires et Astrobiologie à la NASA.
[1] Dans les océans terrestres, il y a environ 3200 molécules de H2O pour une molécule de HDO
[2] Les sondes martiennes qui parcourent la surface de la planète et celles qui sont en orbite autour sont en mesure d’acquérir des données in situ bien plus détaillées. Toutefois, elles ne permettent pas de sonder les propriétés de l’atmosphère martienne dans son intégralité. L’utilisation de spectromètres infrarouges installés sur de grands télescopes terrestres se révèle plus appropriée
Dernière modification le 21 décembre 2021