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Les trous noirs pourraient se former plus rapidement qu’on ne le pense

20 mars 2013

Une étude approfondie du processus conduisant à la formation d’un trou noir, lors de l’explosion d’une supernova, a été entreprise par un groupe d’astronomes de l’Observatoire de Paris. Cette étude est originale car elle utilise une équation d’état [1] contenant des pions ou des hypérons, particules dont l’effet n’avait pas été pris en compte jusque là. Le modèle prend en compte la fuite des neutrinos, et suit à la fois l’effondrement, le rebond et les phases suivantes de l’explosion.

Les étoiles très massives en fin de vie explosent en supernova, un phénomène parmi les plus spectaculaires de l’Univers. Progressivement leur cœur épuise le combustible nucléaire et se transforme en fer. Dès que ce cœur dépasse environ 1,1 fois la masse du Soleil, la pression des électrons dégénérés n’est plus capable de le soutenir et il s’effondre brutalement sous l’effet de la gravité. Son rayon passe alors en moins d’une seconde de quelques centaines de milliers à une cinquantaine de kilomètres, tandis que sa densité atteint cent millions de tonnes par centimètre cube. Les forces nucléaires deviennent alors répulsives, provoquant un rebond de la matière, qui donne naissance à une onde de choc. Celle-ci se propage vers l’extérieur, chauffée et poussée par les neutrinos émis par les réactions se produisant dans le cœur, puis elle se stabilise sous l’effet de la matière tombant vers l’intérieur.

Dans le cœur, l’état de la matière compressée – qui dépend beaucoup de sa composition - détermine si celui-ci va devenir une étoile à neutrons ou un trou noir. L’ensemble du processus est fort mal compris, et aucune simulation numérique n’a encore été capable de rendre compte de l’effondrement et de l’explosion jusqu’à leur terme. Le sujet est très complexe car il fait appel à la physique des particules dans des conditions extrêmes, à la magnétohydrodynamique relativiste 3D conjuguée à la gravitation relativiste et aux processus de transfert radiatif pour les neutrinos.

L’état de la matière

Une des principales inconnues est l’équation d’état et la nature de la matière à très haute densité. La plupart des simulations numériques réalisées jusqu’à maintenant utilisaient le même contenu standard : des protons et des neutrons libres, des particules alpha [2], des électrons et des positrons, des photons, et un noyau lourd représentatif. On n’ignorait pourtant pas que les résultats pouvaient dépendre fortement de la composition de la matière, et que de nombreuses autres particules étaient certainement créées dans le processus.

Figure 1
Luminosité des neutrinos en fonction du temps : par convention
t=0 est le moment du rebond. En ajoutant les hypérons lambda, la
luminosité devient beaucoup plus importante.

Une observation réalisée en 2010 a permis de déterminer à quelques pourcents près la masse d’une étoile à neutrons, PSR J 1614-2230 : 2 fois la masse du Soleil. Cette observation a mis des contraintes fortes sur l’équation d’état, et en particulier sur celles contenant des particules supplémentaires, car beaucoup d’entre elles prédisent une masse maximum d’étoile à neutrons inférieure à deux masses solaires. L’équipe a mis au point une équation d’état contenant des pions et des hypérons Lambda [3], compatible avec cette observation et a considéré deux compositions possibles : la composition standard, à laquelle sont ajoutés dans un cas un gaz de pions, dans l’autre des hypérons. Elle a considéré également deux abondances initiales des éléments dans l’étoile progénitrice : l’une, avec une fraction d’éléments lourds égale à 1/10000ème de l’abondance solaire, représentative des étoiles primordiales du halo, et l’autre avec une abondance solaire. Dans les deux cas, le progéniteur est une étoile ayant eu 40 masses solaires à son arrivée sur la séquence principale. Pour le traitement numérique, les chercheurs ont utilisé un programme co-développé par les membres de l’équipe, CoCoNuT (pour Core Collapse with "Nu" (=new) Technology) : pour l’instant il travaille en symétrie sphérique, mais il existe une version adaptée aux problèmes à deux ou trois dimensions qui sera employée dans le futur.

Une transition de phase se produit dans certains modèles, provoquant un accroissement brutal de la densité avant l’effondrement en trou noir. La présence des hypérons entraîne après le rebond un pic de luminosité des neutrinos plus intense et plus long (figure 1). Mais surtout, le résultat le plus robuste est que la présence de particules supplémentaires produit une diminution du temps d’effondrement en trou noir.

Quelles observations pourraient tester ce modèle ? La transition de phase pourrait être détectée en combinant les observations d’ondes gravitationnelles avec celle des neutrinos. La disparition soudaine de l’émission des neutrinos lorsque le cœur entre dans l’horizon du trou noir pourrait nous confirmer la formation d’un trou noir. Des prédictions observationnelles vont être calculées en collaboration avec des chercheurs du Max Planck Institut de Garching (Allemagne) et de l’Université de Valence (Espagne).

Animation
La densité (haute en rouge, basse en bleu) et la vitesse (flèches) dans le coeur de l’étoile. L’apparition de fortes densités (orange) marque le rebond et la formation d’un objet compact au centre, qui ensuite se contracte, rapidement car on est en présence d’hyperons lambdas. La convection apparait entre le centre et le choc. La formation du trou noir a lieu à la fin du film en un temps dynamique, trop rapide pour être résolu dans le film.

Référence :

"Influence of pions and hyperons on stellar black hole formation"
Peres, Oertel and Novak, Phys. Rev. D 87, 043006 (2013)
http://arxiv.org/abs/1210.7435

Contact :

  • B. Peres
    Observatoire de Paris - LUTH - CNRS, Univ. Paris Diderot
  • M. Oertel
    Observatoire de Paris - LUTH - CNRS, Univ. Paris Diderot
  • J. Novak
    Observatoire de Paris - LUTH - CNRS, Univ. Paris Diderot

[1L’équation d’état donne la relation entre la température et la pression et détermine le comportement de la matière.

[2Des particules alpha sont des noyaux d’hélium 4.

[3Les hypérons sont des fermions constitués de trois quarks, dont l’un au moins est étrange. Dans le cas présent, le Lambda est le plus abondant des hypérons. Les pions, ou mésons pi, sont des particules de très faible masse, véhicules de l’interaction forte.