Dans l’Univers, les galaxies sont réparties le long de ce qu’on appelle la toile cosmique, un réseau complexe de filaments constitués de matière ordinaire et de matière noire. Et là où ces filaments se croisent, des amas de galaxies – des collections de centaines voire de milliers de galaxies liées les unes aux autres par la force de gravité – ont tendance à se former. Ce sont les amas les plus grands et les plus denses de l’Univers et font l’objet de nombreuses recherches par les astrophysiciens. Mais la manière précise dont les filaments contribuent à l’évolution galactique est encore mal comprise.
Pour répondre à cette question ouverte, une équipe de chercheurs, dont F. Combes et P. Salomé (LERMA, Observatoire de Paris) a d’abord caractérisé l’environnement à grande échelle de l’amas de galaxies le plus proche, Virgo, qui est l’amas de référence dans l’Univers local. En utilisant plusieurs bases de données, les auteurs ont construit le plus grand catalogue de ∼7 000 galaxies dans et autour de Virgo, jusqu’à 12 rayons viriels en projection. Dans une première étude, l’équipe publie le catalogue complet des galaxies et leurs propriétés structurelles, ainsi que les propriétés environnementales associées, notamment les positions 3D, les distances au centre des filaments, les densités de l’environnement. Dans une deuxième étude, les auteurs construisent un sous-échantillon complet en masse de 250 galaxies dans les principaux filaments autour de Virgo, et les suivent dans leur teneur en gaz, leur taux de formation d’étoiles, leur type morphologique et leur stade d’évolution.
Il s’agit de la plus grande étude menée à ce jour sur ce sujet, avec un échantillon suffisamment grand pour que les scientifiques puissent estimer avec précision leur masse de gaz - et en particulier la quantité d’hydrogène atomique froid et dense dont sont constituées les étoiles. Les mesures ont été prises à l’aide du radiotélescope décamétrique de Nançay, en France, et du télescope IRAM-30m de Pico Veleta, en Espagne.

Un environnement de transition
Les filaments apparaissent comme un environnement intermédiaire entre le champ et l’amas de galaxies. Si la taille d’un amas est de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’années-lumière, les filaments peuvent même être dix fois plus longs, tout en restant assez fins, de l’ordre de quelques millions d’années-lumière. Les auteurs constatent que les filaments longs ont tendance à être minces et avec un faible contraste de densité tandis que les filaments plus courts présentent une plus grande dispersion dans leurs propriétés structurelles. Dans l’ensemble, les filaments apparaissent comme un environnement de transition entre le champ et l’amas en termes de densités locales, de morphologies de galaxies et de fraction de galaxies barrées. Les filaments plus denses ont une fraction plus élevée de galaxies de type précoce, ce qui suggère que la relation morphologie-densité est déjà en place dans les filaments, avant que les galaxies ne tombent dans l’amas lui-même.
L’équipe trouve une progression des galaxies de champ vers les filaments et les amas pour la diminution de l’activité de formation d’étoiles et l’augmentation de la fraction de galaxies dont la formation d’étoiles est stoppée, l’augmentation de la proportion de galaxies de type précoce, la diminution de la teneur en gaz et l’augmentation des niveaux de carence en gaz. Les auteurs démontrent ainsi que les processus qui conduisent à l’extinction de la formation d’étoiles sont déjà à l’œuvre dans les filaments. Ils dépendent principalement de la densité locale de galaxies, tandis que la distance au centre du filament est un paramètre secondaire. À mesure que la densité de l’environnement augmente, le temps d’épuisement du gaz diminue, car la teneur en gaz diminue plus rapidement que le taux de formation d’étoiles.
Cela suggère que l’appauvrissement en gaz précède de manière significative l’extinction de la formation d’étoiles. Par comparaison avec des échantillons comparables de galaxies de champ et d’amas, les auteurs montrent que les galaxies de type précoce ne vivent pas seulement dans les noyaux denses de l’amas, mais qu’elles sont déjà présentes en fraction significative dans les filaments, et avec des niveaux de formation d’étoiles très bas, alors qu’elles sont rares en isolation. Ces résultats ouvrent de nouveaux défis aux modèles théoriques pour expliquer la formation des galaxies les plus massives de l’Univers, et leur co-évolution avec leurs environnements de structure à grande échelle.

Références
Virgo Filaments : I- Processing of gas in cosmological filaments around Virgo cluster, Castignani, G., Combes, F., Jablonka, P., Finn, R.A., Rudnick, G., Vulcani, B., Desai, V., Zaritsky, D., Salomé, P. : 2022 A&A 657, A9
https://arxiv.org/abs/2101.04389
Virgo Filaments : II- Catalog and First Results on the Effect of Filaments on galaxy properties, Castignani, G., Vulcani, B., Finn, R. A., Combes, F. et al. : ApJ in press,
https://arxiv.org/abs/2110.13797