Situé dans la constellation d’Orion, à 1300 années-lumière de la Terre, la nébuleuse de la Tête de Cheval n’est pas seulement une des figures les plus célèbres du ciel. Sa silhouette baignée de lumière est surtout un fantastique laboratoire de chimie interstellaire, où gaz dense et rayonnement stellaire se rencontrent.
A l’aide du radiotélescope de 30-mètres de l’IRAM, situé près de Grenade en Espagne, Jérôme Pety, astronome de l’Observatoire de Paris à l’IRAM, et son équipe ont réalisé un relevé systématique des molécules chimiques présentes dans la crinière de la Tête de Cheval, projet nommé Horsehead WHISPER. "Le renouvellement complet de l’instrumentation du télescope de l’IRAM nous a permis d’observer en une semaine ce qui aurait auparavant requis une année entière d’observations. Cela ouvre des possibilités inédites pour classer les divers types de gaz de l’univers en fonction des molécules qu’ils contiennent." indique Pierre Gratier, un membre de l’équipe.
Cette étude a permis de détecter une trentaine de molécules, confirmant la complexité chimique à l’oeuvre dans la fameuse nébuleuse. Parmi ces molécules, on trouve de nombreux petits hydrocarbures, les plus petites des molécules qui forment le pétrole et le gaz naturel. "La nébuleuse contient 200 fois plus d’hydrocarbures qu’il n’y a d’eau sur Terre ! " s’entousiasme Viviana Guzman, étudiante chilienne en thèse à l’IRAM. L’un de ces petits hydrocarbures, le cation propynylidynique (C3H+), s’est révélé une molécule encore jamais observée dans l’espace jusqu’à aujourd’hui. Ce cation est un acteur clé des réactions chimiques qui lient les petits hydrocarbures entre eux.
D’où viennent donc ces hydrocarbures ? Dans leur article, Jérôme Pety et ses collaborateurs expliquent leur présence par la fragmentation de molécules carbonées géantes baptisées PAH. Soumises au rayonnement interstellaire, ces espèces pourraient s’éroder en libérant une grande quantité de petits hydrocarbures. Ce mécanisme serait particulièrement efficace dans les régions comme la Tête de Cheval où le gaz interstellaire est directement exposé au rayonnement d’une étoile massive toute proche. "Nous observons en direct le fonctionnement d’une raffinerie naturelle de pétrole à des échelles gigantesques.", conclut Jérôme Pety.
Notes
L’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM) a été fondé par le Centre National de la Recherche Scientifique en France et la Max-Planck-Gesellschaft en Allemagne, rejoints par l’Instituto Geográfico Nacional en Espagne. Son siège social est à Grenoble, un radiotélescope de 30 m de diamètre au Pico Veleta en Espagne, un interféromètre de 6 antennes de 15 m de diamètre sur le Plateau de Bure dans les Hautes-Alpes françaises.
L’équipe scientifique
J. Pety (IRAM, LERMA/Observatoire de Paris, CNRS, Université de Cergy-Pontoise, Université Pierre et Marie Curie, ENS), P. Gratier, V.Guzman, S.Bardeau (IRAM, Grenoble, France), A.Sievers (IRAM, Granada, Spain), M. Gerin (LERMA/Observatoire de Paris, CNRS, Université de Cergy-Pontoise, Université Pierre et Marie Curie, ENS), E. Roueff (LUTH/Observatoire de Paris, CNRS, Université Paris Diderot), F. Le Petit (LUTH/Observatoire de Paris, CNRS, Université Paris Diderot), J. Le Bourlot (LUTH/Observatoire de Paris, CNRS, Université Paris Diderot), J. Goicoechea (CSIC/INTA, Madrid, Spain), A. Belloche (MPIfR, Bonn, Germany), D. Talbi (LUPM, Montpellier, France).
*Le Laboratoire d’Etude du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique LERMA est un département de l’Observatoire de Paris. Il est associé au CNRS, à l’Université de Cergy-Pontoise, à l’Université Pierre et Marie Curie, et à l’Ecole Normale Supérieure.
*Le Laboratoire Univers et Théories LUTH est un département de l’Observatoire de Paris. Il est associé au CNRS et à l’Université Paris Diderot.
Dernière modification le 21 décembre 2021