Cela signifie que la planète fait trois tours sur elle-même pendant qu’elle effectue deux révolutions autour du Soleil. La stabilité de cette résonance a été bien expliquée peu de temps après la découverte de cette rotation inhabituelle. Mais comprendre comment cette capture en résonance a pu avoir lieu, et pourquoi la résonance 3/2 a été privilégiée est resté sans réponse satisfaisante depuis près de 40 ans. Dans la revue Nature du 24 juin 2004, des chercheurs de l’Observatoire de Paris et de l’Université d’Aveiro (Portugal) montrent que si le mouvement chaotique de l’orbite de Mercure est pris en compte, la capture de Mercure dans la résonance spin-orbite 3/2 devient l’état final le plus probable pour cette planète.
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Depuis la découverte de la résonance 3/2 de Mercure en 1965, il est admis que la planète a été capturée en résonance alors que sa rotation ralentissait, sous l’effet de la friction de marée due au Soleil. Mais la probabilité de capture dans cette résonance, calculée par Goldreich et Peale en 1966, n’est que d’environ 7% pour la valeur actuelle de l’excentricité de Mercure (0.206), et décroît même à 4 % si on utilise pour l’évolution de l’orbite de Mercure la solution BVW50 qui était disponible au moment de la découverte de la résonance 3/2 de Mercure (Fig. 2).En effet, la dissipation par friction de marée amène la rotation de Mercure vers une période limite qui dépend de la valeur de l’excentricité de l’orbite de la planète. Pour une excentricité proche de zéro (orbite presque circulaire), cette période limite est la période de révolution autour du Soleil. Dans ce cas, comme pour la Lune autour de la Terre, la planète présente toujours la même face dans la direction du Soleil. Mais si l’excentricité n’est pas nulle, la période de rotation limite atteinte par dissipation de marée est plus élevée que la période orbitale de la planète. En particulier, la valeur résonante 3/2 est obtenue pour l’excentricité critique e_3/2 = 0.285 (Fig.2).Comme le mouvement du Système solaire est chaotique (Laskar, 1989, 1994), il n’est pas possible de calculer l’évolution passée des orbites au-delà de quelques dizaines de millions d’années. Pour obtenir la distribution de l’excentricité de Mercure dans le passé, Jacques Laskar et Alexandre Correia ont calculé 1000 orbites de l’ensemble des planètes du système Solaire sur 4 milliards d’années dans le passé, avec des conditions initiales très voisines, en utilisant pendant plusieurs mois les ordinateurs de l’Observatoire de Paris et de l’IDRIS, le centre de calculs du CNRS. La fonction de densité résultante pour l’excentricité de Mercure est donnée dans la figure 2 (LA04). La différence principale avec les solutions plus anciennes BVW50 et BRE74, est que l’excentricité de Mercure peut dépasser la valeur critique e_3/2, permettant des captures supplémentaires dans la résonance 3/2. Cliquer sur l’image pour l’agrandirContrairement à ce qui était supposé précédemment, la capture n’a pas forcément lieu au moment de la première traversée de la résonance, alors que la rotation de la planète ralentit à cause de la friction de marée. Comme l’excentricité de Mercure évolue, sous l’influence des perturbations gravitationnelles des autres planètes du Système solaire, la valeur limite de la période de rotation de la planète change, et dépasser la valeur résonante 3/2, donnant lieu à de nouvelles possibilités de capture en résonance. Même si la probabilité de capture à chaque traversée est faible, l’existence de multiples passages va augmenter considérablement la probabilité totale de capture dans la résonance 3/2 au cours de la vie de la planète.(a) est le cas classique dans lequel la valeur limite de la rotation est toujours inférieure à la valeur résonante 1.5. (b) et (c) sont les nouvelles possibilités de capture résultant de l’évolution chaotique de l’excentricité de Mercure. Dans le cas (b), l’excentricité de Mercure est proche de la valeur critique e_3/2 au moment de la décroissance initiale de la vitesse de rotation. Les traversées multiples de la résonance qui en résultent augmentent beaucoup la probabilité de capture par rapport au cas classique (a) où une seule traversée est possible. Dans le cas (c), la planète n’est pas initialement capturée en résonance, mais bien plus tard, si l’excentricité augmente et dépasse la valeur critique e_3/2, la traversée de la résonance a lieu, et la planète peut être à nouveau capturée Cliquer sur l’image pour l’agrandirGrâce à leurs simulations numériques extensives, les chercheurs ont montré que la capture de Mercure dans la résonance spin-orbite 3/2 est en fait l’état final le plus probable pour cette planète avec 55.4 % de chances de se produire. Les autres possibilités sont la capture dans la résonance 1/1 (2.2 %), comme pour le système Terre-Lune, la capture dans la résonance 2/1 (3.6 %), ou l’absence de capture (38.8 %). La capture temporaire dans des résonances d’ordre plus élevé (5/2 ou 3/1 par exemple) est possible, mais aucune de ces résonances ne subsiste pendant toute la durée de l’intégration, car ces résonances sont déstabilisées quand l’excentricité de Mercure diminue (ici encore par diffusion chaotique), vers des valeurs très faibles.La même équipe de chercheurs avait déjà montré (Correia et Laskar, 2001) que la rotation rétrograde de Vénus s’explique naturellement par les différents effets dissipatifs en jeu et la présence d’une zone chaotique importante résultant de l’influence des perturbations planétaires (Laskar et Robutel, 1993).The four final rotation states of Venus, Alexandre C. M. Correia et Jacques Laskar, Nature, 411, 767—770, 14 june 2001 Large-scale chaos in the solar system, Jacques Laskar Astronomy and Astrophysics, 287, L9-L12, 1994 The chaotic obliquity of the planets, Jacques Laskar and Philippe Robutel, Nature, 361, 608-612, 18 february 1993 A numerical experiment on the chaotic behaviour of the Solar System, Jacques Laskar Nature, 338, 237-238, 16 mars 1989