Depuis les travaux de Georges Darwin en 1880, on sait qu’en raison de l’interaction des marées entre la Terre et la Lune, la rotation de la Terre ralentit et la Lune s’éloigne. Cela a d’abord été mesuré avec des éclipses anciennes, et depuis 1969 avec la télémétrie laser lune, avec une précision extrême de 3,83 cm/an. L’âge de la Lune est maintenant aussi très bien déterminé à 4,425 Ga. Mais on s’est également rendu compte, il y a plus de cinquante ans, qu’avec le taux de friction de marées actuel, le modèle de marée simple de Darwin conduit à une collision de la Lune avec la Terre à environ 1,4 Ga (événement de Gerstenkorn), incompatible avec l’âge de la Lune.
Depuis, de nombreux travaux ont été consacrés à la résolution de ce paradoxe. Les modèles océaniques de Webb (1982) ont fourni des progrès fondamentaux, montrant l’apparition de résonances entre les ondes océaniques et le forçage de marée, conduisant à une forte augmentation de la dissipation des marées dans ces états de résonance. On pourrait donc penser que nous sommes actuellement dans un état résonnant, avec une dissipation anormalement élevée. Néanmoins, ce modèle ne correspondait ni au taux de marée actuel ni à l’âge de la Lune.
Plusieurs types de données stratigraphiques ont été considérées pour retrouver l’état de rotation passé de la Terre. Parmi eux, les rythmites de marée, liées à la variation du dépôt des marées entre les mortes-eaux et les vives-eaux, ou les enregistrements cyclostratigraphiques qui permettent de déduire la vitesse de précession de l’axe de la terre à partir de l’enregistrement des cycles climatiques de Milankovitch. Néanmoins, les séquences adéquates sont encore rares et leurs interprétations souvent controversées. Dans certains cas, différentes équipes analysant les mêmes données aboutissent à des résultats incompatibles. Pourtant, ces données sont utilisées pour l’établissement de modèles empiriques de l’histoire Terre-Lune qui sont largement utilisés aujourd’hui par les géologues. Comme les données géologiques sont utilisées pour établir les modèles, il est difficile d’éviter les arguments circulaires. De plus, ces modèles empiriques ne permettent pas de déduire des informations physiques sur le système Terre-Lune.
Par ailleurs, ces dernières années ont vu se développer de nouveaux modèles théoriques de marée, avec l’élaboration de modèles numériques dont l’objectif principal est d’ajuster les données géologiques, mais jusqu’à présent, ces modèles ne rendent pas compte de l’âge de la Lune.
L’approche de l’équipe de recherche de l’IMCCE (Observatoire de Paris, Université PSL, Sorbonne Université) est différente. Les chercheurs ont délibérément évité de prendre en compte les données géologiques car ils voulaient un modèle qui serait exempt de tout raisonnement circulaire. Ils ont considéré un modèle analytique, similaire à celui de (Webb, 1982), mais plus raffiné, avec un continent hémisphérique qui évolue dans le passé vers un océan global, prenant en compte la reconstruction tectonique des plaques durant le dernier Ga. Cela induit une analyse analytique non triviale prenant en compte la dérive des continents. Pourtant, ce modèle n’a que deux paramètres, comme dans (Webb, 1982) ou (Tyler, 2021). Une exploration de l’espace des paramètres et une recherche du meilleur ajustement au taux actuel de dissipation des marées et à l’âge de la Lune conduisent à une solution unique, s’adaptant extrêmement bien à ces contraintes.
Cette solution unique s’accorde très bien avec la plupart des données géologiques pertinentes (sur la figure 1, toutes les données disponibles sont tracées, sans aucune sélection). Deux points présentent un intérêt particulier car ils sont obtenus grâce à des analyses cyclostratigraphiques minutieuses : (Meyers et Malinverno, PNAS, 2018) à 1,4 Ga et (Lantink et al, PNAS, 2022) à 2,46 Ga. L’accord avec ces points de données est étonnant.
Cette étude est interdisciplinaire et aura un impact très large dans plusieurs domaines (géophysique, géologie, astronomie). Il fournit le premier modèle physique de l’évolution du système Terre-Lune qui concorde parfaitement avec la dissipation actuelle de marée et l’âge de la Lune, résolvant un paradoxe vieux de cinquante ans. De plus, ce modèle s’ajuste très bien aux données géologiques disponibles. Il deviendra ainsi très probablement la référence standard pour les études géoscientifiques. Cette étude démontre clairement que l’approche cyclostratigraphique est très pertinente pour retrouver l’état de rotation passé de la Terre. Elle consolide même l’ensemble du champ cyclostratigraphique. Ce modèle diffère de ceux précédemment publiés en permettant des résonances de plus grandes amplitudes. Ceci est essentiel dans l’ajustement du taux de dissipation actuel. Ces résultats vont donc également consolider la théorie des marées océaniques, montrant l’effet important de ces résonances océaniques. De plus, ils peuvent être généralisée aux marées océaniques des planètes extrasolaires.
Ce travail a bénéficié du soutien de l’ANR AstroMeso et de l’ERC AstroGeo.
Référence
— M. Farhat, P. Auclair-Desrotour, G. Boué, J. Laskar, 2022, The resonant tidal evolution of the Earth-Moon distance. A&A letters, Forthcoming article
Dernière modification le 1er septembre 2022