Les éruptions solaires affectent non seulement l’atmosphère du Soleil lui-même, mais aussi l’environnement de notre planète. Ainsi, la quantification de l’énergie maximale en jeu est une question clé de l’astrophysique et de sa branche appliquée qu’est la météorologie de l’espace. Les plus grandes éruptions solaires observées au cours des dernières décennies ont atteint des énergies de quelques 1025 joules, voire 1026. Des superéruptions sur des étoiles actives de type solaire atteignent jusqu’à 1029 joules. En l’absence d’observation directe d’événements aussi puissants sur le Soleil, des méthodes d’investigation complémentaires sont requises afin d’évaluer la possibilité d’éruptions solaires plus intenses que celles observées jusqu’à présent.
Une équipe constituée de cinq chercheurs de l’Observatoire de Paris et d’un collègue de Lockheed Martin a pu relier l’énergie des éruptions solaires à la taille des groupes de taches magnétiques sombres au-dessus desquelles elles se déclenchent. Les scientifiques ont combiné la plus pertinente des simulations numériques en magnétohydrodynamique, avec plus d’un siècle d’archives historiques des taches et de régions actives présentes à la surface du Soleil. Celles-ci proviennent entre autres d’observations quotidiennes effectuées sur le site de Meudon de l’Observatoire de Paris.
Événements les plus forts
En considérant le plus grand groupe de taches solaires jamais observé, en avril 1947, les chercheurs ont ainsi prédit la valeur maximale de l’énergie susceptible d’être libérée par une éruption. Le résultat, obtenu par analyse conjointe de la théorie et des observations, se monte à environ 6 x 1026 joules. C’est-à-dire 600 millions de millions de millions de millions de Joules. Bien que ce chiffre paraisse impressionnant, il correspond à l’énergie totale rayonnée par le Soleil en deux secondes seulement. La limite supérieure sur l’énergie des éruptions solaires s’avère tout de même dix fois plus importante que la valeur mesurée pour l’éruption de classe X17 du 28 octobre 2003, événement majeur de la météorologie spatiale. Elle se révèle aussi six fois plus élevée que l’énergie estimée de l’éruption de classe X28-40 du 4 novembre 2003, dont les rayonnements avaient saturé tous les détecteurs des télescopes spatiaux. Cet événement demeure à ce jour le plus fort observé avec des instruments modernes. Il se compare à celui enregistré en 1859 par l’astronome britannique Richard Carrington.
Une question non abordée dans ce travail reste la capacité de la dynamo convective interne au Soleil à produire les immenses groupes de taches nécessaires, selon le modèle, pour générer de fortes superéruptions. Cette situation semble invraisemblable, rappellent les astrophysiciens auteurs de l’étude. En effet, de tels groupes géants n’ont jamais été relatés en quatre siècles d’observations scientifiques, ni au cours de millénaires de levers et de couchers de Soleil visibles partout dans le monde. On peut donc raisonnablement supposer qu’au cours des quelques derniers milliards d’années de son évolution sur la séquence principale, le Soleil n’a jamais produit - ni ne produira jamais - une éruption plus puissante que ce maximum calculé.
“Toutes les éruptions observées jusqu’à présent se sont trouvées en-deçà de la limite supérieure”, résume Guillaume Aulanier, astronome à l’Observatoire de Paris, “cependant depuis quelque 160 ans, nous avons vécu plusieurs épisodes d’intensité comparable. Chacune de ces fortes éruptions a eu des conséquences notables sur l’environnement spatial de la Terre - et sur notre monde technologique évolué. Prédire les futurs événements constitue donc un enjeu important. Mais, c’est certain : ils ne déclencheront pas de catastrophe assimilable à la fin du monde.”
Ces résultats paraissent en ligne le 20 décembre 2013, et dans la revue Astronomy & Astrophysics en janvier 2013.
Collaboration
L’étude a été conduite par Guillaume Aulanier, Pascal Démoulin, Miho Janvier, Étienne Pariat et Brigitte Schmieder, de l’Observatoire de Paris et du CNRS, ainsi que Carolus Schrijver de Lockheed Martin (Palo Alto, Californie). Les observations historiques enregistrées par le spectrohéliographe du site de Meudon (Hauts-de-Seine) de l’Observatoire de Paris ont été numérisées par Isabelle Bualé, observateur solaire. Elles peuvent être consultées sur la base de données BASS2000 bass2000.obspm.fr. Le travail de Miho Janvier est financé par le fonds AXA pour la recherche. Les modèles d’éruptions solaires ont été mis en œuvre sur les calculateurs de la Division Informatique de l’Observatoire de Paris.
Références
The standard flare model in three dimensions, II. Upper limit on solar flare energy, à paraître en janvier 2013 dans Astronomy & Astrophysics.
The standard flare model in three dimensions, I. Strong-to-weak shear transition in post-flare loops, publié en juillet 2012 dans Astronomy & Astrophysics.
Estimating the frequency of extremely energetic solar events, based on solar, stellar, lunar, and terrestrial records, de Carolus Schrijver et collaborateurs, paru en août 2012 dans Journal of Geophysical Research.
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1 Le Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique LESIA est un département de l’Observatoire de Paris. Il est associé au CNRS, à l’Université Pierre et Marie Curie, et à l’Université Paris Diderot.
2 Le Lockheed Martin Solar and Astrophysics Laboratory LMSAL appartient au Lockheed Martin Advanced Technology Center, à Palo Alto (Californie).
Dernière modification le 21 décembre 2021