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Disparition de Jean-Claude Pecker

25 February 2020

Figure majeure de l’astrophysique française, Jean-Claude Pecker s’est éteint le 20 février 2020, dans sa 97e année. Astronome de l’Observatoire de Paris, académicien des sciences et professeur au Collège de France, ce grand humaniste avait notamment œuvré au développement de l’Union astronomique internationale (UAI).

Jean-Claude Pecker
© DR

Jean-Claude Pecker a joué un rôle de premier plan dans l’astrophysique française, pendant plus d’un demi-siècle, depuis les années 1950.

Jean-Claude Pecker passe toute son enfance à Bordeaux, où il étudie au lycée Montaigne. Il obtient en 1939 deux baccalauréats, l’un en mathématiques élémentaires et l’autre en philosophie. Il est aussi lauréat du concours général de dessin, une passion qu’il va garder toute sa vie, en témoignent les nombreuses aquarelles et peintures, dont plusieurs ont été publiées. Il poursuit ses études en classe préparatoire au Lycée Montaigne et passe avec succès le concours de l’Ecole centrale Paris en 1941.

Mais la guerre va ralentir ses projets d’études. Ses deux parents sont emprisonnés à Paris, et meurent en déportation à Auschwitz. Lui-même est contraint de se cacher, et c’est sous le pseudonyme de Jean-Claude Pradel qu’il publie un article dans un magazine scientifique sur le polissage électrolytique.

Il continue ses classes préparatoires au Lycée Saint Louis à Paris, et il est reçu à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) en 1942. Elève à l’Ecole, il est envoyé à Grenoble, toujours dans l’obligation de se cacher.

A la fin de la guerre, il revient rue d’Ulm pour y finir sa scolarité et Alfred Kastler, futur Prix Nobel de Physique, lui conseille de faire sa thèse de doctorat en astrophysique théorique, un domaine encore peu développé en France.

Jean-Claude Pecker choisit la physique des atmosphères stellaires comme thématique. Il travaille alors avec Evry Schatzman, de trois ans son aîné, qui restera toujours son grand ami, et avec qui il publie, en 1947, un article sur la détermination des abondances d’hydrogène et d’hélium dans les étoiles, en fonction de leur luminosité, masse et rayon, pour cinquante étoiles. Leur collaboration aboutira également à la publication en 1959 de l’ouvrage Astrophysique générale, qui forme et inspire des générations d’étudiants et contribue fortement au renouveau de l’astronomie en France après la seconde guerre mondiale.

Après une thèse sur la « Contribution à la théorie du type spectral » obtenue en 1950, avec pour Jury A. Danjon, R. Croze, A. Kastler, E. Schatzman, il décroche un poste au CNRS, à l’Institut d’astrophysique de Paris nouvellement fondé, qu’il occupe jusqu’en 1952, puis devient maître de conférences à Clermont-Ferrand jusqu’en 1955.

Après une année d’Associate Fellow au High Altitude Observatory à Boulder, aux Etats-Unis dans le Colorado, il devient astronome à l’Observatoire de Paris en 1955, un poste qu’il occupera jusqu’en 1963, date à laquelle il est élu Professeur au Collège de France où il enseignera jusqu’en 1988.

De 1962 à 1969, il est directeur de l’Observatoire de Nice et de 1972 à 1979, il est directeur de l’Institut d’astrophysique de Paris.

A la fin des années 1950, avec Jacques Blamont, et peu avant la création du CNES en 1961, il rédige le « Programme de Versailles », première feuille de route de l’astrophysique observationnelle pour les décennies à suivre, où la recherche va bénéficier des apports de l’espace.

Autour de ses propres travaux sur l’atmosphère solaire et sur celles des étoiles, il forme et inspire alors une génération de jeunes astrophysiciens, dont Roger Bonnet, Philippe Delache, Pierre Léna, Françoise Praderie, François Roddier, Jean-Paul Zahn et bien d’autres, tels Simone Dumont, Robert Kandel, Zadig Mouradian… Il est un des premiers à pressentir le rôle essentiel des poussières interstellaires dans les nébuleuses gazeuses et la formation des étoiles.

« Mr. IAU »

Jean-Claude Pecker a exercé de hautes responsabilités dans de nombreux comités et sociétés savantes, dont celle particulièrement remarquée au sein l’Union astronomique internationale qui lui vaut le surnom de « Mr. IAU » parmi ses collègues étrangers.

Il y est en effet premier Assistant General Secretary jusqu’en 1964, puis General Secretary jusqu’en 1967. Pendant 3 ans encore, il est conseiller du bureau de l’IAU. A cette époque où il était moins facile de voyager, l’IAU lui permet de côtoyer de grands noms de l’astrophysique mondiale : Kees de Jager, John Jefferies, Marcel Minnaert, Bengt Strömgren, Fred Hoyle, Jan Oort, Richard Thomas qui l’ont beaucoup inspiré.

Dans les années 1960, alors qu’Evry Schatzman se préoccupe beaucoup de l’enseignement de l’astrophysique en France, Jean-Claude Pecker l’accompagne dans ses actions, en proposant au bureau exécutif de l’IAU de créer l’Ecole pour les jeunes Astronomes : c’est l’origine de l’International School for Young Astronomers (ISYA). Jean-Claude Pecker convainc l’Unesco d’aider au financement. A cette époque, il dessine le logo de l’IAU et fait en sorte également que des livres « Proceedings » des réunions de l’IAU soient édités.

A l’issue de cette période très dense, Jean-Claude revient à ses recherches, que ce soit sur les atmosphères stellaires, les Céphéides ou la cosmologie. Avec Jay Narlikar, il plaide, souvent à contre-courant, pour que des modèles alternatifs à la cosmologie ‘standard’ du Big-bang soient considérés.

En 1977, Jean-Claude Pecker est élu membre de l’Académie des Sciences. Il est aussi, entre autres, président du comité national (interministériel) de la Recherche scientifique et technique (1985-1987), président du comité Sciences de la Commission nationale pour l’UNESCO (1974-1978), ou encore président de la Société astronomique de France (1973-1976).

Il reçoit un grand nombre de distinctions, dont la médaille d’argent du CNRS, le prix Jean Perrin de la Société française de physique ou le prix Lodén de la Société astronomique d’Uppsala, en Suède. Il est fait commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur, et grand officier dans l’ordre national du Mérite.

Soucieux de partager avec tous, enfants comme adultes, son amour de l’astronomie, il publie de multiples livres, dont Sous l’étoile Soleil qui témoigne de sa passion pour cet astre, veille à la place de l’astronomie au Palais de la Découverte comme à la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette, dont il préside le Comité d’orientation de 1983 à 1986, milite pour l’installation de planétariums, donne d’innombrables conférences. Avec son ami le mathématicien Jean-Pierre Kahane, il est un membre actif de l’Union rationaliste, qui le distinguera par un prix en 1983.

Jean-Claude Pecker était un homme extraordinaire, soucieux de profiter de la vie jusqu’au bout et de toujours partager l’amitié. Quelques mois encore avant sa disparition, cet écrivain inlassable, cet artiste passionné de langue française – il fit longtemps partie de l’Oulipo –, de sculpture, de peinture et de dessin était en contact étroit avec son éditeur, pour publier des recueils d’aquarelles.

Il s’intéressait beaucoup à l’histoire des sciences, et en particulier au parcours d’anciens académiciens, comme l’abbé La Caille, ou Jérôme de Lalande dont il a publié la correspondance et retracé les passionnantes aventures. Il plaida sans relâche, notamment au sein de l’Académie des sciences, pour que l’histoire des sciences soit mieux et davantage enseignée.

Ses écrits conservent le souvenir de la voix chaleureuse d’un homme qui savait si bien, avec humour, évoquer les développements de l’astronomie. Depuis l’ile d’Yeu qu’il aimait avec passion, où il avait établi ses quartiers et où il s’est éteint, il publiait en 2015 le recueil poétique Galets qu’il conclut ainsi :

La côte longue et nue s’étend aux infinis
des galets trop polis, fruits mûrs d’un vieil orage
tous pareils, tous eux-mêmes, impérieuse image
au vieillard, est-ce moi ? Immobile et transi.