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1er juillet 2004 Des monstres cosmiques boulimiques

Les Noyaux Actifs de Galaxies (NAGs), dont font partie les quasars, constituent le phénomène le plus énergétique de l’Univers et l’un de ceux qui restent encore mystérieux. Il s’agirait de trous noirs géants de masse entre un million et un milliard de masses solaires, qui sont en train d’engloutir du gaz environnant. Ce gaz s’enroule autour du trou noir, dans un disque d’accrétion aplati, très petit par rapport à la galaxie.

Comprimé par l’intense gravité régnant au voisinage du trou noir, le gaz est porté à de très hautes températures et rayonne une énorme quantité d’énergie, d’où le nom de « monstres cosmiques ». Cependant toutes les galaxies, même celles qui ne sont pas actives, recèlent en leur coeur des trous noirs géants. Mais ils n’émettent pas ou très peu de lumière, car ils n’ont plus de gaz à leur disposition. L’un des problèmes majeurs est de comprendre comment ces trous noirs se sont formés et ont grossi au cours de l’évolution cosmique. On a récemment découvert que certaines galaxies actives, les « Narrow Line Seyfert 1 galaxies » (NLS1s) ou « Galaxies de Seyfert 1 à raies étroites », contiennent un trou noir dont la masse semble croître plus rapidement que celle des autres Noyaux Actifs. En estimant la durée moyenne de la phase NLS1 et le taux moyen avec lequel le gaz tombe sur le trou noir, des astronomes de l’Observatoire de Paris ont montré que le trou noir grossit d’un facteur dix à mille au cours de cette phase. Il est probable que toutes les galaxies, donc tous les trous noirs massifs, ont traversé au moins une fois cette phase au cours de leur vie. Il existe maintenant de nombreuses preuves que les Noyaux Actifs de Galaxies et les quasars tirent leur puissance de l’extraction d’énergie gravitationnelle du gaz tombant sur un Trou Noir Super-Massif. Ces trous noirs ont des masses d’un million à un milliard de fois celle du Soleil. On dit que le gaz est « accrété » par le trou noir, et l’on pense qu’il spirale en tombant et prend la forme d’un disque aplati, appelé « disque d’accrétion » : ce disque est en quelque sorte la station de production d’énergie ultime du Noyau Actif. De nombreuses études ont été menées pour déterminer les conditions physiques régnant dans le disque d’accrétion au voisinage immédiat du trou noir. Il est probable en particulier que les jets observés dans ces objets naissent près de la frontière interne du disque d’accrétion d’où ils sont expulsés avec une vitesse voisine de celle de la lumière.

Le taux d’accrétion peut être estimé lorsque l’on connaît la masse, en mesurant le flux qui nous parvient (pense-t-on) du disque d’accrétion dans une bande spectrale, par exemple dans le domaine optique. On trouve alors que la vitesse de croissance du trou noir, qui peut être calculée grossièrement en divisant la masse du trou noir par le taux d’accrétion, est très élevée. En d’autres termes, les NLS1s sont apparemment de jeunes Noyaux Actifs, dont le trou noir est en train de croître rapidement. Ce qui pourrait expliquer que les NLS1s semblent ne pas suivre la même relation que les autres galaxies, leurs trous noirs paraissant sous-massifs par rapport à leur bulbe, dont la croissance aurait eu lieu un peu avant. La phase NLS1 peut-elle être la principale phase dans l’histoire de la croissance cosmique des trous noirs ? Il ne s’agit pas là d’une question aussi naïve qu’on pourrait le croire, car le degré de croissance d’un trou noir dépend entièrement de la durée de cette phase de forte accrétion, qui n’est pas encore bien connue.

Grâce à d’intenses programmes récents d’observations, dont le « ROSAT All Sky Survey » et le « Sloan Digital Sky Survey », on a pu montrer que les NLS1s représentent de 10 à 30% des Noyaux Actifs. Cette fraction varie avec le domaine de longueur d’onde dans lequel on observe les Noyaux Actifs : dans l’optique, elle est d’environ 10%, et dans la bande X elle est de 30%. Ces fractions relatives, combinées avec la durée de vie moyenne d’un Noyau Actif, qui est d’environ cent millions d’années, fournissent une estimation du temps qu’un Noyau Actif passe dans la phase NLS1 : elle est de dix a trente millions d’années. Le reste du temps - soixante dix à quatre vingt dix millions d’années - le Noyau Actif n’est plus une NLS1. Si l’on considère alors le taux d’accrétion moyen des NLS1s, on déduit que le trou noir croit en moyenne d’un facteur mille dans la phase NLS1. Par contre, le trou noir croît beaucoup plus lentement pendant les soixante dix à quatre vingt dix millions d’années restantes. Notons que le taux d’accrétion moyen et la fraction relative de NLS1s ne sont connus actuellement que pour des objets relativement proches (de redshift inférieur à 0.6). Dans l’Univers plus lointain, donc plus jeune, il est possible que la croissance des trous noirs soit encore plus rapide qu’actuellement. Ceci pourrait expliquer pourquoi il existe des quasars de redshift supérieur à 6, correspondant à un milliard d’années seulement après le Big-Bang, dont le trou noir a déjà plus d’un milliard de masses solaires. La réponse sera donnée dans le futur lorsque théorie et observations auront encore progressé.