Il débutait sa carrière en offrant aux yeux de l’équipe qui l’avait installé puis réglé les semaines précédents, la récompense d’images superbes, 20 fois plus piquées que celles jusqu’ici obtenues par le VLT, dans un site pourtant jugé comme l’un des meilleurs au monde, celui du Cerro Paranal qui borde le désert aride d’Atacama dans le nord du Chili. NAOS a été conçu, construit et caractérisé par un consortium comprenant l’ONERA (maître d’œuvre), l’Observatoire de Paris, le LAOG de Grenoble et avec la participation de la division technique de l’INSU du CNRS. L’ESO a financé la construction de NAOS et a participé à certains sous-systèmes. La photo suivante montre NAOS (la structure cylindrique bleue claire) installé au foyer Nasmyth de Yepun, le plus récent des quatre télescopes du VLT.
NAOS permet d’aiguiser le regard d’un des quatre télescopes géants en lui redonnant la capacité - prédite par l’optique ondulatoire - de distinguer des détails d’autant plus fins que les miroirs sont de grande taille, capacité dont l’atmosphère l’avait privé. C’est en appliquant, 600 fois par seconde, des commandes à un miroir souple muni de 185 micro-moteurs, que NAOS arrive à compenser les creux et les bosses que la traversée de l’atmosphère a imprimé dans l’onde lumineuse. Restituée pratiquement telle qu’elle était avant son entrée dans l’atmosphère, cette onde peut alors être focalisée pour former une image quasi-parfaite sur une caméra. NAOS fournit ses images corrigées à CONICA, une caméra infrarouge construite par un consortium de laboratoires en Allemagne.
Les images ci-dessous illustrent le gain remarquable apporté par l’optique adaptative NAOS en comparant la photo d’un même objet, l’amas stellaire dense NGC 3603 dans la constellation de la Carène, obtenue avec la caméra ISAAC du VLT (sans optique adaptative) et avec NAOS/CONICA. Le nombre d’étoiles détectées, en particulier les étoiles de très faible éclat, est très supérieur sur l’image obtenue avec NAOS/CONICA : cela permet une étude détaillée de la façon dont les étoiles se répartissent, depuis les faibles jusqu’au très grande masses, lors du processus de formation stellaire. Cette région est particulièrement intéressante de ce point de vue, car elle est le siège d’une activité de formation stellaire parmi les plus intenses de notre Galaxie.
La région de Kleinmann-Low autour de l’objet de Becklin-Neugebauer dans la grande nébuleuse d’Orion. Située à deux pas des quatre étoiles du trapèze d’Orion, il s’agit d’une région extrêmement active du point de vue de la formation d’étoiles : elle contient en particulier un amas stellaire très jeune, encore enfoui dans le cocon de gaz et de poussière ou pudiquement il a vu le jour. Ce n’est que dans l’infrarouge que ces bébé-étoiles peuvent être observées. La source la plus brillante est l’objet de Becklin-Neugebauer (BN) : c’est l’un des objets les plus étudiés dans la classe des proto-étoiles, ces étoiles qui n’ont pas encore atteint le stade où les réactions de fusion nucléaire sont établies, comme dans notre soleil. L’image de NAOS va permettre d’étudier les éjections de matière très importantes qui caractérisent la phase proto-stellaire, ainsi que la formation des étoiles de très petite masse qui apparaissent comme les sources les plus faibles sur cette image. Parmi ces sources, des "naines brunes" sont très certainement présentes. Cette image a été obtenue en utilisant l’analyseur de surface d’onde infrarouge réalisé par le DESPA à l’Observatoire de Paris. La source BN sert de référence à l’analyseur.
Tous les domaines de l’astrophysique vont bénéficier de ce remarquable bond en finesse de détails : depuis les études de petits corps (satellites et astéroïdes) de notre système solaire, jusqu’aux galaxies lointaines dont on pourra mieux connaître la formation, à une époque où l’Univers était beaucoup plus jeune. L’Observatoire de Paris, pionnier dans le domaine de l’optique adaptative, a été un des trois partenaires de cette très belle réussite. Il a en particulier été responsable de la mise au point de plusieurs sous-systèmes critiques miroir de basculement 2-axes-], analyseur de surface d’onde infrarouge, simulateur de turbulence) et de la phase finale d’assemblage et de caractérisation qui a été conduite dans un hall d’intégration du CNRS à Bellevue, à quelques centaines de mètres de l’Observatoire de Meudon où avaient réalisés et testés des ensembles opto-mécaniques et électroniques. L’équipe de l’Observatoire de Paris, conduite par des chercheurs, ingénieurs et techniciens du DESPA a également bénéficié d’une participation active d’ingénieurs et techniciens du DASGAL et de la Division Technique de l’Institut des Sciences de l’Univers du CNRS. Ce même institut a, par ailleurs, apporté un soutien financier important en particulier pour l’équipement du hall d’intégration, soutien complété par des actions de l’Observatoire de Paris sur ses fonds propres.
Pour en savoir plus
La haute résolution angulaire et l’optique adaptative. La résolution angulaire d’un télescope caractérise sa capacité à distinguer des détails fins. Plus un télescope est grand, plus cette capacité est théoriquement importante (l’angle sous lequel on voit le plus petit détail est donné par le rapport de la longueur d’onde à laquelle se fait la mesure, au diamètre du télescope). En fait, les couches turbulentes de l’atmosphère déforment légèrement les images et les télescopes, même dans les meilleurs sites, n’obtiennent un piqué d’image qui est 20 à 50 fois moins bon que la limite théorique : les détails qui intéresseraient l’astrophysicien sont ainsi perdus.
L’optique adaptative consiste à corriger de ces effets de l’atmosphère, en temps réel, en agissant plusieurs centaines de fois par seconde sur un miroir déformable qui compense ces distorsions en produisant des déformations de signe opposé. L’image est ainsi restituée dans sa finesse originale, celle d’avant l’entrée dans l’atmosphère. L’animation ci-contre illustre le principe de l’optique adaptative
De nombreux domaines de l’astrophysique bénéficient de cette avancée spectaculaire en matière d’instrumentation astronomique.
Le projet NAOS
Depuis deux ans, les astronomes européens ont accès aux télescopes de 8 mètres de diamètre du VLT (Very Large Telescope). Le plus fin détail qu’on peut distinguer (la résolution angulaire) avec un instrument d’une telle taille est de 25 milliseconde d’arc à une longueur d’onde de 1 µm. C’est, par exemple, suffisant pour distinguer son numéro sur le maillot d’un footballeur de l’OM, observé depuis le stade de France… Atteindre effectivement ce pouvoir de résolution, ou tout au moins s’en approcher significativement, est l’objectif que les européens avaient assigné au projet VLT, en décidant de le doter du système d’optique adaptative NAOS. Cet objectif représente un saut à la fois qualitatif et quantitatif majeur pour de très nombreux programmes en astrophysique, depuis la physique des planètes et des satellites de notre système solaire, jusqu’aux très lointains phares de l’Univers que sont les quasars, en passant par les disques de gaz autour des étoiles, progéniteurs des planètes extrasolaires découvertes à un rythme élevé ces dernières années.
NAOS (Nasmyth Adaptive Optics System) est un système intégré (voir l’ animation ci-contre) (cliquer sur l’image pour voir l’animation, 3 Mo). Il est autonome, faisant appel à de l’optique, de l’électronique, de la mécanique et de l’informatique. Il fournit à la caméra CONICA (COude Near Infrared CAmera) un faisceau corrigé des effets de la turbulence atmosphérique. NAOS analyse en temps réel les perturbations de surface d’onde induites par la turbulence. Cette analyse est faite, selon les objets observés, soit dans le visible, soit dans l’infrarouge proche (0.9-2.5µm) jusqu’à 600 fois par seconde, à partir de la lumière d’étoiles présentes dans la partie du ciel observée, ou, dans un futur proche, d’étoiles artificielles crées dans la haute atmosphère par un laser. Les corrections à appliquer à la surface d’un miroir souple déformable et à l’orientation d’un miroir de stabilisation d’image (tip-tilt) sont calculées au même rythme élevé par un ordinateur temps réel dédié. Une image quasi parfaite est fournie en permanence à CONICA. Le miroir déformable (115 mm de diamètre) de la société CILAS est contrôlé en 185 points (un point tous les 7 mm) par des actionneurs piézoélectriques qui abaissent ou soulèvent sa surface sur 5 µm de course. 5 calculateurs coopèrent pour contrôler NAOS, sa mécanique, ses analyseurs de surface d’onde, son optique déformable. Le système s’auto-configure de manière optimale en fonction des conditions d’observations, des objets observés, ou de la configuration d’observation, définie par l’astronome, de la caméra CONICA.
L’Observatoire de Paris, pionnier de l’Optique Adaptative
Le DESPA de l’Observatoire de Paris, avec ses partenaires industriels et institutionnels, est depuis plus de douze ans l’un des instituts astronomiques leaders au niveau international, en matière d’Optique Adaptative appliquée à l’Astronomie. Il a largement contribué à la mise au point et à l’exploitation scientifique du premier instrument ayant prouvé la puissance de cette technique, le prototype COMEON, en collaboration avec l’ESO, l’ONERA et des industriels d’Ile de France (Cilas ). L’OdP a été également partie prenante de la réalisation d’un second instrument auquel la communauté a eu accès : PUEO, le système d’Optique Adaptative du télescope Canada-France-Hawaii. Le système prototype COMEON obtenait ses premiers résultats astronomiques en octobre 89 sur le télescope de 1m50 de l’Observatoire de Haute Provence, puis peu de temps après au foyer du télescope de 3m60 de l’ESO (La Silla, Chili). De nombreux résultats astrophysiques tout à fait originaux ont été obtenus depuis. De nouvelles versions de cette expérience, COMEON+ puis ADONIS, ont permis des progrès très sensibles, notamment en intégrant un miroir déformable de 52 actionneurs (contre 19 pour la première version), de nouveaux analyseurs de front d’onde et les concepts originaux de commande modale et d’intelligence artificielle mis au point à L’Observatoire de Paris. Dans le système PUEO du CFHT, l’OdP a eu la charge de plusieurs sous-systèmes et surtout de la phase d’intégration et de caractérisation de l’instrument. Celui-ci, en opération depuis six ans, a offert pendant plusieurs années les performances les meilleures au niveau mondial, tant en capacité à imager des sources faibles (sources extragalactiques) qu’en qualité de la correction grâce à l’excellence du site d’Hawaii.
Optique Adaptative et recherches en ophtalmologie médicale
L’humeur vitrée de l’oeil constitue un milieu suffisamment inhomogène pour que la focalisation d’un faisceau lumineux (laser, par exemple) ne puisse se faire de façon parfaite. Il serait pourtant important de pouvoir réaliser une telle concentration de la lumière, que ce soit à des fins thérapeutiques en chirurgie ou bien à des fins de recherche (concentration d’un stimuli sur une cellule sensible, cône ou bâtonnet, unique). L’Optique Adaptative est un moyen pour pallier cette difficulté ; tout juste naissante, cette voie de recherche s’avère extrêmement prometteuse. A l’initiative de P. Léna et de l’Académie des Sciences, il s’est mis en place en France un groupe de travail sur ce thème, dont plusieurs chercheurs de l’Observatoire de Paris sont partie prenante. Un banc d’optique adaptative fonctionne actuellement dans les laboratoires du campus de Meudon et a commencé à fournir des premières images rétiniennes in-vivo.
Recherche et développements
Plusieurs développements originaux ont été menés à l’Observatoire de Paris :
- a) Le développement du concept entièrement nouveau d’analyse de front d’onde en infrarouge. Cette idée novatrice permet d’atteindre dans certains cas des performances supérieures à celles des analyseurs de surface d’onde visible : beaucoup d’étoiles les plus courantes de notre Galaxie sont froides ou sont dissimulées par la poussière interstellaire et émettent surtout dans le domaine infrarouge, d’autre part les capteurs matriciels infrarouges ont des possibilités d’adressage des pixels très supérieures à celles des CCD visibles. Un prototype, RASOIR, a été développé au DESPA puis testé à deux reprises avec succès sur le télescope de 3m60 de l’ESO (Chili). NAOS a profité très directement de cette réalisation.
- b) La mise au point de miroirs de correction deux-axes très performants : ces miroirs qui utilisent un asservissement très efficace grâce à des moteurs de forte puissance, conçus spécialement, et des capteurs de grande précision sont devenus des composants recherchés dans le monde entier : ils équipent les systèmes d’optique adaptative de deux télescopes de 4m, et pas moins de 5 télescopes de 8 m en seront prochainement dotés (VLT et Gemini).
- c) Le DASGAL de l’Observatoire de Paris s’est fait une spécialité dans la conception et la réalisation par des méthodes de photo-lithogravure de systèmes optiques micro-structurés : masques de phase pour simuler de façon réaliste la turbulence atmosphérique (utilisé dans NAOS en particulier), matrices de micro-lentilles utilisées dans des analyseurs de surface d’onde.