L’environnement magnétique d’Uranus, septième et avant-dernière planète du Système solaire, qui évolue à 3 milliards de kilomètres du Soleil, est encore plus complexe et fantasque que prévu. En témoignent : les aurores polaires photographiées - pour la première fois - depuis la Terre et en ultraviolet, les 16 et 29 novembre dernier, par le télescope spatial Hubble. Elles dessinent des points brillants qui s’allument et s’éteignent en quelques minutes sur la face visible (côté jour, éclairé par le Soleil) de la planète. Un quart de siècle plus tôt, lors de son survol d’Uranus, la sonde Voyager 2 avait détecté des aurores permanentes du côté nuit, semblables à leurs cousines terrestres.
Les nouvelles observations renseignent sur la configuration actuelle de la magnétosphère d’Uranus, cavité sculptée dans le vent solaire par le champ magnétique de la planète. Fait unique : l’axe magnétique de l’astre se tient très incliné, d’environ 60°, par rapport à l’axe de rotation nord-sud autour duquel la planète tourne en près de 17 heures. Par ailleurs, ce dernier est presque contenu dans le plan de l’écliptique au sein duquel évoluent les planètes du Système solaire. Les résultats ont été obtenus par une équipe internationale qui inclut cinq chercheurs du Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique LESIA1 de l’Observatoire de Paris (Observatoire de Paris/CNRS/Université Pierre et Marie Curie/Université Paris Diderot), ainsi que des scientifiques de l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie de Toulouse et de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble.
Les aurores polaires sont des phénomènes lumineux qui caractérisent les planètes
dotées d’un champ magnétique comme la Terre et les géantes Jupiter,
Saturne, Uranus et Neptune. Ainsi que leur nom l’indique, elles s’observent au voisinage des pôles magnétiques. Elles y sont provoquées par l’arrivée dans la haute atmosphère de bouffées de particules de la magnétosphère accélérées via des processus complexes, puis guidées le long des lignes de champ magnétique.
Ce flot de particules chargées déverse des dizaines de gigawatts de flux d’énergie, dissipé sous forme de rayonnements. Étudier les aurores permet donc de sonder les magnétosphères à distance, sans s’en approcher. Sur Terre, les plus intenses signalent l’arrivée d’une perturbation due au vent solaire. Ceci peut affecter les réseaux de distribution de l’électricité, le fonctionnement des satellites, voire la santé des astronautes.
La magnétosphère d’Uranus est très atypique. Sa configuration évolue au fil des
rotations de la planète (environ 17h) mais aussi des saisons (une révolution autour du Soleil dure 84 ans). Au cours de l’étude, les scientifiques ont ainsi mis en évidence des différences notables à un quart de siècle d’intervalle entre les aurores observées par Voyager 2, au début de l’été local (solstice) dans l’hémisphère éclairé, et celles saisies en image par Hubble, au début de l’automne suivant (équinoxe). La morphologie des points brillants et variables, du coté jour, indique une origine différente imputée à l’interaction particulièrement dynamique à cette époque entre la magnétosphère et le vent solaire.
Dans les années 1980, les observations des spectromètres ultraviolets embarqués à bord des sondes Voyager 1 et 2 avaient montré que toutes les planètes géantes, gazeuses (Jupiter, Saturne) et glacées (Uranus, Neptune), possèdent des aurores, plus ou moins sensibles au vent solaire. Puis dans la décennie 1990, le télescope Hubble a pris le relais en menant d’intenses campagnes d’imagerie en ultraviolet des aurores de Jupiter et de Saturne. Pour Uranus, la tache était moins aisée. L’astre est deux fois plus éloigné que Saturne, de dimension deux fois plus petites, et les aurores y brillent deux fois moins. En 1998 et 2005, deux tentatives de détection effectuées avec le télescope Hubble, le plus puissant observatoire ultraviolet actif, se sont soldées par un échec.
En novembre 2011, le troisième essai aura été le bon. Pour cela, les chercheurs ont
attendu de bénéficier d’une conjonction céleste favorable : un alignement Soleil-Terre- Jupiter-Uranus presque parfait. En cette période de reprise d’activité solaire, après un calme de quatre ans, et un pic attendu vers 2013, ils ont guetté un créneau d’observation propice. En septembre 2011, trois éruptions ont été émises par notre étoile et les chercheurs ont pu calculer - et suivre en direct - leur propagation, de planète en planète. Les salves projetées par le Soleil vers la Terre ont été d’abord détectées par les satellites Stereo de la NASA. Elles se déplaçaient à 2 millions de kilomètres/heure (500 kilomètres/seconde). Deux jours plus tard, elles ont atteint notre globe et la sonde Wind de la NASA. Des aurores intenses ont été relevées par les satellites de surveillance de la NOAA2. Quinze jours après, comme attendu, les ondes de choc ont déclenché des aurores polaires sur Jupiter, enregistrées en radio par Stereo. En novembre, deux mois plus tard, ces perturbations devaient enfin atteindre Uranus.
Cette étude innovante - menée dans différents domaines de rayonnements et sur
plusieurs planètes - n’aurait pu réussir sans les circonstances exceptionnelles d’un
alignement entre le Soleil, la Terre, Jupiter et Uranus. Elle atteste de l’intérêt
grandissant de la météorologie de l’espace, jeune discipline qui a permis de prédire les
effets des soubresauts de l’astre du jour d’un bout à l’autre du Système solaire.
1 Le LESIA est un département de l’Observatoire de Paris et un laboratoire Observatoire de Paris/CNRS/Université Pierre et Marie
Curie/Université Paris Diderot
2 National Oceanic and Atmospheric Administration NOAA
Collaboration
Les chercheurs ayant contribué à cette étude à l’Observatoire de Paris sont : Laurent Lamy, Renée Prangé, Philippe Zarka, Baptiste Cecconi et Jean Aboudarham du
Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique LESIA. Les
travaux ont également impliqué Nicolas André de l’Institut de Recherche Astrophysique et de Planétologie IRAP de Toulouse et Mathieu Barthélémy de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble IPAG, ainsi que les partenaires de l’Université du Michigan, l’Université de Boston, l’Institut de recherche du Sud-Ouest, l’Université d’Arizona (États-Unis), l’University et l’Imperial College de Londres, l’Université de Leicester (Royaume-Uni). En France, l’étude a bénéficié du soutien du CNES.
Images, schémas
Référence
Earth-based detection of Uranus’ aurorae, article paru le 14 avril 2012 dans la revue Geophysical Research Letters de l’American Geophysical Union.
Dernière modification le 21 décembre 2021