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1er octobre 2003 Un univers fini dodécaédrique

Une équipe franco-américaine de cosmologistes [1] conduite par Jean-Pierre Luminet, du Laboratoire Univers et Théories[(LUTH) de l’Observatoire de Paris de la NASA. Selon ces scientifiques qui viennent de publier leur étude dans la revue Nature du 9 octobre 2003, une anomalie particulère dans la texture lumineuse du fond de l’Univers pourrait en effet s’expliquer par une forme globale très spécifique de l’espace.

L’Univers pourrait être refermé sur lui-même, un peu àla manière d’un ballon de football dont le volume ne représenterait que 80% de l’univers observé ! (figure 1) Selon le cosmologiste George Ellis, de l’Université de Cape Town (Afrique du Sud), qui commente cet article dans les "News & Views" de la revue Nature, il s’agirait là"d’une découverte majeure sur la nature de notre Univers".

Les fluctuations primordiales

Les cosmologistes étudient la topologie de l’espace en analysant en détail les fluctuations de température du rayonnement cosmologique fossile [note a]. Le modèle cosmologique standard décrit l’Univers par un espace euclidien infini, en expansion perpétuelle accélérée sous l’effet d’une "énergie noire" répulsive. Les données collectées par le satellite WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe), qui a fourni récemment une carte très précise du rayonnement de fond, a permis de vérifier la validité de ce modèle d’expansion. Les fluctuations à petite et moyenne échelle (c’est-à-dire qui concernent des régions du ciel de petites et moyennes dimensions) sont bien compatibles avec l’hypothèse d’un espace euclidien infini. En revanche, à des échelles plus grandes, supérieures à 60 degrés, les corrélations observées sont notoirement plus faibles que les prédictions du modèle standard, ce qui conduit à chercher une alternative à ce modèle. Les fluctuations de température du fond diffus cosmologique sont, pour l’essentiel, la conséquence des fluctuations de densité de l’univers primordial : un photon en provenance d’une région dense perdra une fraction de son énergie pour lutter contre la gravité et nous parviendra plus froid. A l’inverse, les photons émis par une région peu dense nous parviendront plus chauds. Les fluctuations de densité résultent, quant à elles, de la superposition d’ondes sonores se propageant dans le fluide primordial - voir les communiqués de presse Comment vibre le tambour cosmique ? (janvier 2003) et Un petit Univers sphérique ? (décembre 2001). L’équipe de chercheurs a récemment développé un modèle théorique pour reproduire l’amplitude de ces fluctuations qui peuvent être considérées comme des vibrations de l’Univers. Ils ont en particulier simulé différentes cartes à haute résolution du rayonnement fossile pour différents types de topologies de l’Univers [2] et ont pu comparer ces simulations aux résultats de WMAP. Selon la topologie choisie, la répartition des fluctuations est différente. Ainsi, dans un espace euclidien infini, toutes les longueurs d’onde sont autorisées et les fluctuations doivent être présentes à toutes les échelles.

Harmoniques cosmiques

Comme les ondes sonores, les fluctuations de température du fond diffus cosmologique peuvent être décomposées en une somme d’harmoniques sphériques [note b]. La première harmonique observable est le quadrupole (dont le nombre d’onde est l=2). WMAP a observé un quadrupole 7 fois plus faible que ce qui était attendu dans un Univers euclidien infini (figure 2). La probabilité que cet écart se produise par hasard a été estimée à 0.2%. L’octopole (dont le nombre d’onde est l=3) est aussi un peu plus faible que la prédiction, à 72% de la valeur attendue. Pour les plus grandes valeurs du nombre d’onde et jusqu’à l=900 (qui correspondent à des fluctuations de température sur de petites échelles angulaires) les observations sont en revanche remarquablement bien expliquées par la modélisation standard.

La faible valeur du quadrupole signifie qu’il manque les ondes de grande longueur d’onde, peut-être parce que l’espace n’est pas suffisamment grand pour les supporter. Cette situation se compare à celle d’une corde vibrante fixée aux deux extrémités, sur laquelle la longueur d’onde maximale d’une onde sonore est égale au double de la longueur de la corde. Une explication naturelle de ce phénomène se fonde sur un modèle d’univers fini dans lequel la taille de l’espace impose une valeur maximum aux longueurs d’onde autorisées. L’espace proposé est l’espace dodécaédrique de Poincaré [note c].

Le spectre associé, c’est à dire la répartition des fluctuations en fonction de leur longueur d’onde, correspondant à l’espace de Poincaré dépend fortement de la valeur du paramètre de masse-énergie [note d]. Il existe un petit intervalle de valeurs pour lequel l’accord est bon du point de vue spectral et cohérent avec la valeur du paramètre de masse-énergie déterminé par WMAP (1.02 à 0.02 près). Ce résultat est d’autant plus étonnant que l’espace de Poincaré n’offre aucun degré de liberté dans sa construction. Par opposition, le tore à trois dimensions, construit en identifiant les faces opposées d’un cube et qui constitue une topologie possible d’espace euclidien fini, peut être déformé en un parallélépipède quelconque : il a donc 6 degrés de liberté dans sa construction géométrique.

L’espace de Poincaré est capable de rendre compte de la faible valeur du terme quadrupolaire observé par WMAP dans le spectre des fluctuations sans engendrer un terme octupolaire excessif. Pour être confirmé, ce modèle doit maintenant satisfaire deux tests expérimentaux : L’analyse plus fine des données de WMAP, ou celles du futur satellite européen Planck Surveyor (attendues pour 2007), devraient permettre de déterminer le paramètre de masse-énergie à1% près. Une valeur inférieure à1.01 réfuterait l’espace de Poincaré comme modèle cosmologique alors qu’une valeur supérieure à1.01 serait un argument en sa faveur. Si l’espace est multi-connexe, il doit y avoir des corrélations particulières dans le fond diffus cosmologique prenant la forme de paires de cercles le long desquels les fluctuations de température sont identiques [3]. Ce modèle prédit qu’il doit y avoir 6 paires de cercles dont le rayon angulaire est de l’ordre de 35 degrés. L’espace de Poincaré est donc un candidat idéal pour la méthode dite des "paires de cercles corrélés" initialement proposée par les astrophysiciens américains N. Cornish, D. Spergel et G. Starkman [4]

Notes

[a] Le rayonnement cosmologique, aussi appelé "fond diffus cosmologique", est un rayonnement produit très tôt dans l’histoire de l’Univers (environ 400 000 ans après le début de l’expansion) lorsque matière et lumière se sont séparées. Les infimes irrégularités dans la température de ce rayonnement permettent de mesurer les fluctuations de densité de matière présentes àcette époque, fluctuations àpartir desquelles se sont formés plus tard les galaxies et leurs amas.[b] Les fluctuations de température du fond diffus cosmologique peuvent être décomposées en une somme d’harmoniques sphériques, comme le son produit par un instrument peut être décomposé en harmoniques ordinaires. L’harmonique fondamentale fixe la hauteur du son (par exemple le la du diapason a une fréquence de 440 hertz) tandis que l’amplitude relative de chaque harmonique détermine le timbre (le la du piano est différent de celui joué sur un clavecin). Dans le cas du fond diffus, l’amplitude relative de chaque harmonique sphérique fixe le spectre de puissance, une signature de la géométrie de l’univers et des conditions qui prévalaient au moment de l’émission du rayonnement du fond diffus.[c] L’espace de Poincaré peut se représenter mentalement par un dodécaèdre (polyèdre régulier à12 faces pentagonales) dont les faces opposées sont identifiées après une rotation de 36 degrés ; c’est un espace de courbure positive, variante multi-connexe de l’hypersphère, mais dont le volume est 120 fois plus petit. Un mobile sortant du dodécaèdre àtravers l’une de ses faces y retourne en entrant par la face opposée. La lumière s’y propage de telle façon qu’un observateur dont la ligne de visée traverse une paroi a l’illusion de voir l’intérieur d’une copie du dodécaèdre d’origine (en réalité sa ligne de visée rentre dans le dodécaèdre par le côté opposé).[d] Le paramètre de masse-énergie de l’Univers caractérise le contenu en matière et énergie de l’Univers. La géométrie précise de l’Univers dépend de la valeur de ce paramètre, appelé aussi "Omega". Si Omega est supérieur à1, la géométrie est dite "sphérique", s’il est inférieur à1 la géométrie est "hyperbolique", enfin s’il est exactement égal à1, la géométrie est "euclidienne".

Références

  • [1] J.-P. Luminet, LUTH, CNRS-UMR 8102, Observatoire de Paris, France J. Weeks, Canton, USAA. Riazuelo, Service de Physique Théorique, CEA Saclay, FranceR. Lehoucq, Service d’Astrophysique, CEA Saclay, FranceJ.-P. Uzan, Laboratoire de Physique Théorique, Orsay et Institut d’Astrophysique de Paris, France Dodecahedral space topology as an explanation for weak wide-angle temperature correlations in the cosmic microwave backgroundArticle publié dans la revue Nature du 9 octobre 2003, vol. 425, p. 593-595.
  • [2] Simulating cosmic microwave background maps in multi-connected universes, A. Riazuelo, J.-P. Uzan, R. Lehoucq and J. Weeks (e-print astro-ph/0212223).Detecting topology of nearly flat spherical universes, R. Lehoucq, J.-P. Uzan and J. Weeks, Class. Quant. Grav. 20, 1529-1542, 2003, (e-print astro-ph/0209389)Eigenmodes of compact spherical spaces and their applications to cosmology, R. Lehoucq, J.-P. Uzan, J. Weeks, J.-P. Luminet and E. Gausmann, Class. Quantum Grav. 19, 4683-4708, 2002, (e-print gr-qc/0205009)
  • [3] L’Univers chiffonné, J.- P. Luminet, Fayard, Paris, 2001, 369 p. ; L’univers... vu d’ailleurs, J.-P. Uzan, Pour la Science vol. 308, p. 56, juin 2003. [4] N. Cornish, D. Spergel et G. Starkman, Classical and Quantum Gravity 15, 2657-2670, 1998 (e-print astro-ph/9801212)