La question de la stabilité du système solaire s’est posée dès l’énonciation de la loi de gravitation universelle par Newton. La loi de Newton permet de retrouver les ellipses fixes de Kepler pour une planète unique autour du soleil, Jupiter, par exemple. Mais dès que l’on considère une deuxième planète, Saturne, la loi annonce également que Saturne perturbe l’orbite de Jupiter. La grande question, que Newton pose dans la préface de son volume d’optique (1706), est alors de savoir si ces perturbations entre les planètes vont déstabiliser le système. Ce problème sera résolu dans une première approximation par Laplace et Lagrange à la fin du XVIIIème siècle. Laplace montre que la taille des orbites planétaires est invariante en moyenne. Lagrange introduit le formalisme qui lui permet de calculer leur évolution à long terme. Les ellipses planétaires tournent lentement dans le plan et dans l’espace, avec des variations de leur excentricité et de leur inclinaison notables, mais qui ne permettent pas les collisions planétaires. Le système est stable et prédictible sur un temps infini. Ce triomphe est de courte durée, car à la fin du XIXème siècle, Henri Poincaré démontre que le problème des trois corps n’est pas intégrable. Il met en évidence les zones que l’on appelle maintenant chaotiques, dans lesquelles les orbites peuvent présenter une très grande sensibilité aux conditions initiales. Après Poincaré, les mathématiciens et les astronomes ont poursuivi leur quête de stabilité pour le système solaire. Le célèbre théorème KAM (Kolmogorov, Arnold, Moser) montre qu’en dépit des zones d’instabilité mises en évidence par Poincaré, il subsiste un grand nombre de solutions régulières pourvu que les masses planétaires soient assez petites. L’application de ce résultat au mouvement des planètes par Vladimir Arnold en 1963 sera à nouveau considérée comme une preuve de la stabilité du système solaire, même si Michel Hénon fait alors remarquer que son application exige des masses planétaires bien inférieures à la masse de l’électron.

Il y a plus de trente ans, en utilisant des méthodes de calcul formel sur ordinateur couplés à des intégrations numériques, Jacques Laskar (Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Éphémérides (IMCCE), CNRS, Observatoire de Paris, Université Paris Sciences et Lettres) montrait que le mouvement des planètes dans le système solaire est chaotique et non pas régulier, comme cela était largement supposé jusqu’alors. Une des premières conséquences est l’impossibilité de prédire le mouvement des planètes du système solaire sur une durée de plus de 60 millions d’années (Ma). L’incertitude sur les trajectoires des orbites planétaires divergent de manière exponentielle avec un temps caractéristique de 5 Ma. En d’autres termes, cette incertitude est multipliée par 10 tous les 10 Ma. Ceci limite les possibilités de calculer les variations de l’insolation à la surface de la Terre résultant des variations de l’orbite terrestre, elles-mêmes dues aux perturbations des autres planètes. Ceci limite alors aussi la possibilité d’établir des échelles de temps géologiques basées sur la corrélation entre les séries sédimentaires qui témoignent des variations climatiques du passé et les calculs d’insolation de la mécanique céleste. Sur des durées plus longues de l’ordre de l’âge du système solaire, les planètes peuvent même entrer en collision, entre elles ou avec le soleil, avec, pour Mercure, une probabilité de collision de l’ordre de 1%.
Ces résultats sont maintenant bien acceptés, mais l’origine de ce mouvement chaotique restait source de controverses. J. Laskar avait mis en évidence un rôle majeur joué par deux résonances entre les mouvements de précession des orbites planétaires. L’une faisant intervenir les modes associés aux planètes Mercure, Vénus, Jupiter ((g1-g5)-(s1-s2)) et une autre liée à la Terre et Mars (2(g4-g3)-(s4-s3)). Cette dernière avait été contestée par des chercheurs américains lorsque ceux-ci avaient reproduit les résultats de J. Laskar grâce à des calculs numériques sur ordinateurs. Depuis, ces doutes ont été repris dans la littérature scientifique jusque très récemment. En revanche, personne n’a jusqu’à présent reproduit les calculs analytiques ayant conduit à la découverte du mouvement chaotique des planètes.
Pour mettre fin à cette controverse, Federico Mogavero et J. Laskar ont utilisé le logiciel de calcul formel TRIP (https://www.imcce.fr/trip) développé depuis trente ans au sein de l’équipe de l’IMCCE, pour conduire une étude systématique de toutes les résonances présentes dans le système solaire interne. Ces calculs qui viennent d’être publiés comme Lettre dans la revue Astronomy et Astrophysics font intervenir des développements de plusieurs millions de termes analytiques. Après analyse, ces termes sont classés par amplitude décroissante. Parmi les tout premiers, on retrouve bien les résonances découvertes il y a trente ans par J. Laskar. En même temps, un réseau multidimensionnel de nouvelles résonances, couplant fortement les planètes internes, est révélé. Les chercheurs montrent que la prise en compte des résonances les plus importantes de ce réseau permet de rendre compte du temps caractéristique de divergence exponentielle des orbites planétaires de 5 Ma. L’application du calcul formel à la base de cette étude a donc permis de s’affranchir de la grande complexité de la dynamique des planètes, en révélant l’enchevêtrement de résonances qui est la source du comportement chaotique de leurs orbites.
Dans une étude jointe portant sur plus de 100 000 solutions, l’équipe de l’IMCCE confirme aussi que la probabilité de collision de Mercure sur 5 milliards d’années (Ga) est bien de l’ordre de 1%. Cette probabilité atteint plus de 90% si ces calculs sont prolongés sur 100 Ga, en oubliant que l’espérance de vie du soleil n’est sans doute que de 5 Ga.

Références
F. Mogavero and J. Laskar : The origin of chaos in the Solar System through computer algebra ( Astron. Astrophys. Letters, in press ) https://doi.org/10.1051/0004-6361/202243327
N.H. Hoang, F. Mogavero, J. Laskar : Long-term instability of the inner Solar System : numerical experiments (MNRAS, in press) https://doi.org/10.1093/mnras/stac1299