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Sursauts radio : de Jupiter aux étoiles

3 octobre 2023

Les résultats combinés de deux articles récents illustrent comment les études des émissions radio de Jupiter peuvent se transposer aux systèmes stellaires. Mauduit et al. [1] ont développé une nouvelle méthode de détection de sursauts radio de Jupiter dérivant dans le plan temps-fréquence. Appliquée aux données à haute résolution du Réseau Décamétriques de Nançay, elle a permis de découvrir des sursauts liés aux aurores Joviennes et d’autres induits par l’interaction de Ganymède avec Jupiter. Ces sursauts permettent d’étudier l’accélération des électrons près de Jupiter. En parallèle, Zhang et al. [2] ont découvert à l’aide du radio télescope FAST des sursauts analogues émis par l’étoile active AD Leo, interprétables par analogie avec les résultats obtenus sur Jupiter.

La détection de sursauts radio dérivant dans le plan temps-fréquence est un moyen puissant d’étudier à distance les processus d’accélération des électrons dans les plasmas astrophysiques. On sait depuis 50 ans que de tels sursauts sont produits par l’interaction entre Jupiter et son satellite Io.

Un nouvel algorithme de détection a permis de découvrir en outre, via l’analyse de données temps-fréquence massives enregistrées par le Réseau Décamétrique de Nançay, des sursauts similaires provenant de l’interaction Ganymède-Jupiter et des aurores polaires Joviennes [1].

L’accélération des électrons fait intervenir des oscillations magnétiques appelées « ondes d’Alfvén ». Ce mécanisme, potentiellement universel, est alimenté par le mouvement de Io, de Ganymède ou du plasma magnétosphérique à travers le champ magnétique de Jupiter en rotation rapide.

En parallèle, des observations très sensibles avec le radiotélescope géant chinois FAST ont permis de découvrir des sursauts radio en provenance de l’étoile active AD Leonis [2]. Si les fréquences, intervalles entre sursauts, intensités, sens et vitesse de dérive dans le plan temps-fréquence sont différents, la morphologie, le caractère discret, dérivant, quasi-périodique (et même la polarisation, fortement circulaire) des sursauts stellaires sont remarquablement similaires à ceux de Jupiter.

L’expérience acquise sur Jupiter suggère dans le cas d’AD Leo le même mécanisme d’émission radio, alimenté par des électrons d’énergie modeste (≤ 20 keV), accélérés par des ondes d’Alfvén résultant de l’interaction de l’étoile avec son vent de plasma massif ou avec un compagnon planétaire.

La figure illustre et compare les sursauts radio de Jupiter (b) enregistrés entre 11 et 13.5 MHz par (a) le Réseau Décamétrique de Nançay (NDA) avec son récepteur haute résolution Juno-N, et les sursauts radio d’AD Leonis (e) observés entre 1290 et 1470 MHz par le radiotélescope géant chinois FAST (d). Les deux types de sursauts révèlent une forte polarisation circulaire, suggérant un même mécanisme d’émission lié au mouvement cyclotron (hélicoïdal) d’électrons dans le champ magnétique de l’objet. La différence de fréquences s’explique par l’amplitude du champ magnétique d’AD Leo 100 fois supérieure à celle de Jupiter, qui explique aussi les dérives temps-fréquence beaucoup plus rapides pour AD Leo ( 500 à 900 MHz/s) que pour Jupiter (-10 à -20 MHz/s), même si les électrons à l’origine des émissions ont des énergies similaires (quelques keV). Les dérives positives observées pour AD Leo impliquent que ces électrons se déplacent vers l’étoile. Les dérives négatives observées pour Jupiter indiquent des électrons réfléchis magnétiquement et « remontant » les lignes de champ magnétique de Jupiter (flèches jaunes sur les panneaux (c) & (f)). Les flux radio détectés pour Jupiter (millions de Jansky) sont très supérieurs à ceux détectés pour AD Leo (<0.1 Jansky), du fait de l’énorme différence de distance entre ces objets et la Terre ( 5 Unités Astronomiques pour Jupiter, 5 parsecs pour AD Leo, avec 1 parsec = 200000 UA), sachant que le flux décroît comme l’inverse du carré de la distance. Mais le flux intrinsèque des sursauts d’AD Leo est en fait 100 à 1000 fois plus élevé que celui des sursauts de Jupiter. Le caractère discret et quasi-périodique des sursauts suggère une accélération des électrons par des ondes d’Alfvén (oscillations magnétiques). Ces deux articles sont un premier exemple de la manière dont les mécanismes et scenarii physiques élaborés pour un objet du système solaire peuvent être extrapolés et transposés à des sources astrophysiques plus lointaines et inaccessibles. Sources et copyrights (a) Réseau Décamétrique de Nançay (NDA, © ORN). (b) Observation NDA/Juno-N fournie par L. Lamy. (c) Schéma adapté de la Fig. 3 de Szalay et al., Geophys. Res. Lett. 49, e2022GL098111, 2022, https://doi.org/10.1029/2022GL098111. (d) https://apod.nasa.gov/apod/image/1609/DaiFAST_1500.jpg. (e) Figure adaptée de la Fig. 1 de [2]. (f) Vue d’artiste d’une étoile naine (© ASTRON/Danielle Futselaar).
Références :

[1] Emilie Mauduit, Philippe Zarka, Laurent Lamy, & Sébastien Hess, Drifting discrete Jovian radio bursts reveal acceleration processes related to Ganymede and the main aurora, Nature Communications, 14, 5981 (2023)
[2] Jiale Zhang, Hui Tian, Philippe Zarka, Corentin Louis, Hongpeng Lu, Dongyang Gao, Xiaohui Sun, Sijie Yu, Bin Chen, Xin Cheng, & Ke Wang, Fine structures of radio bursts from flare star AD Leo with FAST observations, The Astrophysical Journal, 2023, 953, 65