
Le 6 août 2014, après une succession de manœuvres très précises, Rosetta et son petit atterrisseur Philae ont rejoint la comète 67P/Tchourioumov-Guerassimenko en un endroit du Système solaire situé à 405 millions de kilomètres de la Terre et à 540 millions de kilomètres du Soleil, entre les orbites de Mars et de Jupiter. C’est désormais ensemble qu’elles foncent en direction du Soleil, à la vitesse de 55 000 kilomètres par heure !
La sonde n’est pas à proprement parler en orbite autour de 67/P mais elle suit la comète sur son orbite autour du Soleil, en décrivant des segments d’orbites hyperboliques, le temps de cartographier le noyau et de mieux connaître son champ de gravité.
C’est la première fois dans l’histoire de l’exploration spatiale qu’une sonde interplanétaire va suivre pendant plusieurs mois une comète, étudier son activité à mesure qu’elle se rapproche du Soleil, et se poser à sa surface.
Les premières images fournies par l’instrument OSIRIS ont révélé une forme bien plus complexe que prévue, et ce, dès le mois de juin, lorsque la sonde se trouvait encore à environ 30 000 km. Le noyau semblait en effet « binaire », c’est-à-dire composé de deux blocs reliés par un pont de matière.
Depuis les images haute résolution révélées par OSIRIS, sont saisissantes de détails ; elles offrent aux scientifiques de nouveaux paysages à décrypter mais aussi une nouvelle interprétation pour expliquer sa forme : le pont de matière semble en effet bien plus brillant que les deux sous-éléments du noyau, suggérant ainsi une quantité importante de glace qui peut se sublimer à chaque fois que la comète passe au plus près du Soleil. Ainsi, le rétrécissement central du noyau serait dans ce cas dû à un processus d’érosion progressif.


La mission Rosetta mobilise plus de 300 scientifiques à travers toute l’Europe dont de nombreuses équipes françaises. Au total, ce sont plus d’une centaine de chercheurs et ingénieurs français qui se sont impliqués dans le développement d’instruments pour la sonde et son atterrisseur et qui, aujourd’hui, se penchent sur l’exploitation des données collectées.
La contribution instrumentale de l’Observatoire de Paris
À l’Observatoire de Paris, les équipes scientifiques et techniques ont été associées à la conception et à la réalisation de trois des onze instruments équipant l’orbiteur.
- MIRO (Microwave Instrument for the Rosetta Orbiter)
Ce spectromètre a été conçu pour déterminer la température sous-surface du noyau de la comète, mais aussi sa composition via l’étude des composés volatiles qui sont éjectés, et comprendre la nature et les mécanismes qui gouvernent son activité (les phénomènes de sublimation et de formation du gaz et de la poussière dans sa coma).
Il fournit des données à très haute résolution spectrale dans les bandes de longueurs d’onde millimétrique et submillimétrique, et étudie les raies spectrales de certains composants gazeux importants : vapeur d’eau, monoxyde de carbone, ammoniac, méthanol. MIRO a pour but de déterminer les abondances de chacun de ces éléments pour comprendre la nature du noyau cométaire, le processus de dégazage et sa localisation à la surface de la comète.
À l’Observatoire de Paris, les ingénieurs (A. Deschamps, M. Gheudin, J.-M. Krieg) du Laboratoire d’Etudes du Rayonnement et de la Matière en Astrophysique et Atmosphères - LERMA (Observatoire de Paris / CNRS / Univ. Cergy-Pontoise / UPMC / ENS) et du Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique - LESIA (Observatoire de Paris / CNRS / UPMC / Univ. Paris-Diderot) ont contribué à la fourniture de cet instrument aux côtés du Jet Propulsion Laboratory en Californie et du Max-Planck Institute de Lindau en Allemagne.
- VIRTIS (Visible and Infrared Thermal Imaging Spectrometer)
Ce spectro-imageur proche-infrarouge est composé d’un canal spectro-imageur basse résolution VIRTIS-M et d’un canal haute résolution spectrale VIRTIS-H. L’instrument VIRTIS a été développé sous la responsabilité scientifique de l’Istituto di Astrofisica e Planetologia Spaziali (IAPS/INAF) de Rome, en collaboration avec l’agence spatiale allemande – DLR, et le Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique - LESIA de l’Observatoire de Paris. Le canal à haute résolution VIRTIS-H a été entièrement conçu, construit et testé au LESIA (X. Bonnin, M. Bouyé, O. Dupuis, A. Fave, Y. Ghomchi, Y. Hello, F. Henry, G. Huntzinger, S. Jacquinod, D. Kouach, J. Parisot, A. Piacentino, J.-M. Reess, A. Sémery, D. Stephanovitch).


Ses objectifs scientifiques principaux sont de mesurer la température de surface du noyau de la comète, mesurer la composition chimique de cette surface et estimer la distribution spatiale des différents composés, quantifier différentes molécules volatiles dans la coma (CO2, etc), et mieux comprendre les processus d’éjection des gaz et des poussières.
- OSIRIS
Les caméras OSIRIS NAC (Narrow-angle camera) et WAC (Wide Angle Camera) prennent des images dans le domaine du visible au travers de différents filtres de la surface de la comète Tchourioumov-Guerassimenko mais aussi de la coma.
Le Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA) de l’Observatoire de Paris a collaboré, à la conception de l’instrument OSIRIS-NAC (OSIRIS narrow-angle camera), sous la responsabilité scientifique du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, en collaboration avec le LATMOS (CNRS/UPMC/UVSQ). Les images à très haute résolution (2m/pixel) sont désormais quotidiennement transmises à Terre et nous montrent une incroyable richesse et diversité géologique que les scientifiques s’attachent à expliquer.
L’exploitation scientifique des données
Les instruments sont à présent opérationnels ; les scientifiques de l’Observatoire de Paris prennent part à l’exploitation des données.
Rosetta entre désormais dans une phase de cartographie complète du noyau en utilisant les nombreux instruments qu’elle embarque, en particulier les deux caméras OSIRIS, le spectro-imageur infrarouge VIRTIS et le radiomètre MIRO.
Depuis une orbite de 100 à 30 km, OSIRIS va obtenir des images détaillées de la surface mais aussi de la coma et des jets qui s’échappent de la surface. VIRTIS va permettre de cartographier le noyau dans différentes longueurs d’ondes (de 0,25 à 5 microns) afin de révéler la composition minéralogique mais aussi la température du noyau. MIRO permettra quant à lui de mesurer la température sous la surface à différentes profondeurs ainsi que la vitesse d’expansion des molécules d’eau dans la coma.
Les chercheurs du LESIA (D. Bockelée-Morvan, N. Biver, C. Leyrat, E. Lellouch, T. Encrenaz, J. Crovisier, W. Yvart) et ceux du LERMA (G. Beaudin) participent au dépouillement et à l’interprétation des données de MIRO. Leurs travaux ont par exemple contribué à estimer la quantité d’eau libérée par la comète : à ce jour, l’équivalent de trois verres d’eau par seconde.
Par leurs travaux, ils contribueront également à décrypter la composition chimique des matériaux de la surface, la structure interne et la composition du noyau, le dynamique des émissions de poussières et leurs types, le dégazage de surface, magnétisme, etc.
Ils ont en outre l’entière responsabilité scientifique de l’instrument VIRTIS-H, à savoir la voie haute résolution de VIRTIS. Ils sont fortement investis dans la préparation des observations du spectro-imageur VIRTIS ainsi que leur interprétation scientifique (S. Erard, D. Bockelée-Morvan, C. Leyrat, P. Drossart, A. Barucci, M. Combes, J. Crovisier, D. Tiphène, N. Biver, V. Debout, D. Despan, S. Fornasier, F. Merlin).
Par ailleurs, les ingénieurs du LESIA (F. Henry, S. Jacquinod, J.-M. Reess), gèrent les télécommandes et opérations de la voie haute résolution, calibrent les données en unités physiques, et calculent les données orbitographiques nécessaires à leur interprétation.
Un certain nombre de participations croisées aux trois équipes instrumentales permet d’optimiser l’échange d’information et d’accélérer la compréhension des données.
Les données de la mission seront publiquement accessibles au Planetary Science Archive de l’ESA quelques mois après acquisition.
Un rôle déterminant dans les préparatifs de l’atterrissage de Philae

Au cours des prochains mois, la forme, la dynamique, le champ de gravité du noyau vont être précisément caractérisés, de même que la composition des gaz produits par le noyau en cours de réchauffement.
La sonde va progressivement se rapprocher du noyau dès septembre en se plaçant sur une orbite quasi circulaire près du terminateur pour limiter les effets de poussée des gaz sur ses panneaux solaires, d’une surface de plus de 64 m2.
En se basant sur des critères d’intérêt scientifique dérivés de l’analyse des données des instruments par les co-Is (co-investigateurs) des instruments, mais surtout sur des critères techniques fournis par son service « Flight Dynamics », l’Agence spatiale européenne, en coordination avec le SONC (Science Operations and Navigation Center) basé à Toulouse, va sélectionner 5 sites possibles d’atterrissage pour le lander « Philae ».
Ces sites devront respecter des contraintes bien précises : accessibilité depuis l’orbite de Rosetta, faible déclivité, surface peu accidentée, illumination minimale de 6 heures par jour pour que Philae puisse recharger ses batteries, etc.
Après une seconde phase de sélection, il ne restera plus que 2 sites sélectionnés. Quelques semaines avant l’atterrissage prévu le 11 novembre 2014, la sonde se placera sur une orbite elliptique de 5 x 10 km si l’activité de la comète est faible, ou sur une orbite légèrement plus grande si cette activité est jugée trop risquée pour la sonde. C’est dans cette phase que le site final où se posera Philae sera choisi.
Si la sécurité de la sonde et les critères d’ingénierie seront prépondérants dans ces étapes de sélection, les scientifiques auront cependant un rôle déterminant. À titre d’exemple, les données de VIRTIS vont permettre de cartographier la composition de la surface mais aussi de déterminer les zones où le sol est poreux ou pas. Chaque équipe fournit ainsi des résultats permettant d’identifier les sites d’intérêt.
L’atterrissage lui aura lieu le 11 novembre et Philae sera largué à une altitude qui dépendra de l’activité de la comète, et ce, sur une trajectoire balistique, impossible à modifier. Une fois posé, ses batteries principales lui permettront de travailler deux à trois jours.
Une fois cette période écoulée, l’alimentation passera sur un deuxième jeu de batteries alimentées cette fois par des panneaux solaires permettant de mener différentes expériences pendant quelques mois.
L’orbiteur quant à lui continuera d’étudier le noyau et son environnement à mesure que la comète se rapproche du Soleil (passage au plus près en août 2015), et ce, jusqu’en décembre 2015 au minimum. L’aventure ne fait que commencer !