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Les premières franges ’OHANA entre les deux télescopes KECK Vers un interféromètre infra-rouge à base kilométrique

1er janvier 2006 Les premières franges 'OHANA entre les deux télescopes KECK Vers un interféromètre infra-rouge à base kilométrique

Une équipe internationale d’astronomes, conduite par un astronome de l’Observatoire de Paris (LESIA), vient d’obtenir pour la première fois des franges d’interférences entre deux grands télescopes reliés par des fibres optiques monomodes infrarouges. Ce succès obtenu sur le site du Mauna Kea à Hawaii avec les deux télescopes Keck, les plus grands de la planète, est la démonstration que l’utilisation de ces fibres pour le couplage de télescopes est opérationnelle. Cette réussite incontestable vient souligner la qualité des travaux menés à l’Observatoire de Paris en matière d’interférométrie, l’un de ses domaines d’excellence. Il s’agit de la première étape d’un projet ambitieux qui devrait consister à coupler les 7 plus grands télescopes du Mauna Kea pour former un interféromètre géant, baptisé « ’OHANA » Une fois le couplage des sept télescopes effectué, ’OHANA offrira une résolution angulaire équivalente à celle d’un télescope de 800 m de diamètre. On devrait alors pouvoir résoudre l’environnement des trous noirs super-massifs se situant au centre des noyaux actifs de galaxies ou étudier les zones internes des systèmes exoplanétaires en formation, à moins d’une unité astronomique de l’étoile centrale, là où peuvent se former des planètes telluriques. Cet interféromètre ouvre la voie aux futurs observatoires optiques de dimension supérieure au kilomètre comme il en existe dans le domaine radio depuis plusieurs décennies. Les résultats sont publiés dans le numéro du 13 Janvier 2006 de la revue Science.

La limite ultime à la capacité d’un télescope à résoudre des structures de petite taille de sources astronomiques est sa taille. Plus le télescope est grand et plus la résolution angulaire est importante. Les plus grands télescopes actuels ont des diamètres de 8 à 10 m. La taille de la prochaine génération de télescopes atteindra jusqu’à quelques dizaines de mètres, 100 m apparaissant comme une limite technologique pour des systèmes à pupille unique. Cette limite peut-être dépassée si la lumière de plusieurs télescopes est recombinée de façon cohérente. La résolution angulaire est alors déterminée par la distance entre télescopes. Cette technique, l’interférométrie astronomique, a d’abord été suggérée par Hyppolite Fizeau au XIXème siècle et démontrée par Albert A. Michelson avec un télescope pour recombinateur de faisceaux. Antoine Labeyrie a ouvert une nouvelle ère en 1974 lorsqu’il est parvenu à obtenir des franges d’interférences entre deux télescopes distincts. Depuis, une vingtaine d’observatoires interférométriques ont été en opération et ont permis de résoudre des surfaces stellaires ou leurs environnements jusqu’alors restés ponctuels. Avec l’avènement de l’optique adaptative pour les très grands télescopes, l’interféromètre Keck et l’interféromètre du Very Large Telescope (VLTI) ont inauguré l’ère de la très haute résolution angulaire à haute sensibilité avec les toutes premières études d’environnements de coeurs de noyaux actifs de galaxies. Une résolution angulaire plus importante est nécessaire pour accéder au coeur qui abrite un trou noir super-massif.

Figure 1 : L’Observatoire du Mauna Kea et les 7 télescopes du projet ’OHANA : Optical Hawaiian Array for Nanoradian Astronomy. ’OHANA signifie également famille en langue hawaïenne. © Richard Wainscoat Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Les interféromètres actuels ont des bases d’au plus quelques centaines de mètres de longueur. La propagation de faisceaux sur de longues distances nécessite un grand nombre de miroirs ce qui, combiné aux effets de la diffraction, aboutit à une transmission faible. Les fibres monomodes ont le potentiel de transporter la lumière sur de longues distances avec peu de pertes. Elles peuvent par conséquent jouer un rôle clé pour la construction de très grands réseaux de télescopes de taille kilométrique voire supérieure. L’intérêt des fibres monomodes a été étudié par l’Observatoire de Paris et l’Institut de Recherche en Communications Optique et Microondes dans le cadre du projet ’OHANA. Il a ainsi pu être montré que des fibres de 300 m de long pouvaient transporter la cohérence de la lumière dans des bandes de 300 nm de large dans le proche infrarouge avec une transmission de 50% à 95%. L’objectif d’OHANA est de relier les sept plus grands télescopes du sommet du Mauna Kea à Hawaï (Figure 1). Le réseau ainsi réalisé aura un diamètre de 800 m et apportera une résolution inédite dans le proche infrarouge.

Figure 2 : Dispositif expérimental (1). Cheminement des fibres monomodes depuis les foyers Nasmyth jusqu’au laboratoire de recombinaison au sous-sol de l’observatoire. Les fibres sont attachées àla structure des télescopes comme des câbles standards puis passent par l’enrouleur de câbles pour éviter tout dommage dà» au pointage des télescopes. Les longueurs de fibre en excédent (environ 200 m pour chaque bras) sont enroulées sur des bobines stockées au sous-sol (voir Figure 3). (Figure © W.M. Keck Observatory et Observatoire de Paris) Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Le premier test interférométrique a été réalisé avec les deux télescopes Keck distants de 85 m dans la bande astronomique K’ (2-2.3 µm) en utilisant des fibres produites par la société française Le Verre Fluoré. Deux câbles de 300 m de long ont été utilisés simulant ainsi du point de vue de la propagation un interféromètre de 500 m de base. Les entrées des fibres ont été directement placées aux foyers Nasmyth corrigés par optique adaptative. Les câbles reliaient ces foyers au laboratoire de recombinaison situé au sous-sol de l’observatoire (Figure 2). À leur sortie des fibres, la différence de marche entres les faisceaux ont été égalisées au moyen de lignes à retard classiques afin de pouvoir détecter l’étroit paquet de franges (Figure 3). Aucune longue ligne à retard fibrée n’est encore disponible et cela reste un sujet de recherche en développement pour de futurs grands réseaux. Malgré la présence de nuages, les premières franges ont été détectées sur l’étoile 107 Herculis de magnitude 4,6 dans la bande K (figure 4).

Figure 3 : Dispositif expérimental (2). Schéma d’interfaçage des fibres ’OHANA avec les lignes àretard et le recombinateur de l’interféromètre Keck. Pour plus de clarté, un seul faisceau / une seule fibre sont représentés. Les deux faisceaux suivent des parcours équivalents. La fibre est placée au foyer d’une parabole hors-axe (OAP) afin de produire un faisceau afocal. Le faisceau est réfléchi par un miroir plan (M10) vers la grande ligne àretard (Long Delay Line). Il est ensuite injecté dans la ligne àretard rapide (Fast Delay Line). La taille du faisceau est réduite par un compresseur de faisceau (Beam Compressor) puis le faisceau est envoyé vers le recombinateur (Beam Combiner). (Dessin © W.M. Keck Observatory) Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Ce premier succès marque le début de l’effort consistant àrecombiner chaque base d’OHANA avant de réaliser le réseau complet. La prochaine étape verra la liaison des télescopes Canada-France-Hawaï et Gemini Nord. Ce succès ouvre aussi la voie vers la conception de grands interféromètres kilométriques àgrand nombre de télescopes pour le domaine optique qui apporteront une vision bien plus précise de notre univers par rapport aux systèmes actuels. Figure 4 : Franges d’interférences enregistrées sur l’étoile 107 Herculis. Les franges d’interférences sont la structure de 200 microns de large. Les fluctuations plus basses fréquences sont dues àdes vibrations sur la figure du haut. Ces fluctuations ont été éliminées sur la figure du bas pour mieux mettre en évidence les franges d’interférences. Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Figure 4 : Franges d’interférences enregistrées sur l’étoile 107 Herculis. Les franges d’interférences sont la structure de 200 microns de large. Les fluctuations plus basses fréquences sont dues àdes vibrations sur la figure du haut. Ces fluctuations ont été éliminées sur la figure du bas pour mieux mettre en évidence les franges d’interférences. Cliquer sur l’image pour l’agrandir Le projet ’OHANA est conduit par Guy Perrin du Laboratoire d’Études Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique de l’Observatoire de Paris en collaboration avec les observatoires du Mauna Kea (Canada-France-Hawaii Telescope Corporation, W.M. Keck Observatory, Subaru Telescope, Gemini Observatory, United Kingdom Infra-Red Telescope, Infra-Red Telescope Facility), l’Institut d’Astronomie de l’Université d’Hawaï, le National Optical Astronomical Observatory, l’Observatoire Astronomique National du Japon, ’Institut National de Recherche en Communication Optique et Microondes, le laboratoire Galaxies, Étoiles, Physique et Instrumentation - GEPI de l’Observatoire de Paris et la Division Technique de l’Institut National des Sciences de l’Univers (INSU du CNRS). Ce projet est financé par l’Institut National des Sciences de l’Univers - CNRS, le Ministère de la Recherche et l’Observatoire de Paris.