Depuis plusieurs décennies, l’équipe dirigée par Jacques Laskar à l’Observatoire de Paris travaille à l’amélioration des éphémérides planétaires à long terme, visant à obtenir la meilleure solution possible pour l’orbite de la Terre. Ces recherches sont motivées par la possibilité de calibrer les échelles de temps géologique par corrélation entre les données géologiques stratigraphique et la variation calculée de l’insolation à la surface de la Terre résultant de la variation de son orbite et de son orientation. La tâche est difficile car le comportement chaotique du Système solaire induit une augmentation exponentielle de l’incertitude initiale de la solution qui est multipliée par 10 tous les 10 Ma. Un résultat majeur a été obtenu avec la calibration astronomique de la période du Néogène (0 à 23.03 Ma) grâce à la solution orbitale La2004 (Laskar et al., 2004). Cette échelle de temps (Lourens et al, 2004) est désormais intégrée à la dernière échelle de temps géologique adoptées par l’Union Internationale des Sciences Géologiques (IUGS). Depuis 2004, Un effort continu a été déployé afin d’étendre cette calibration astronomique sur la totalité du Cénozoïque, sur environ 65 Ma, j’usqu’à l’époque de la fin des dinosaures. Cette collaboration internationale est organisée en Europe à travers le réseau GTSnext et le projet Earthtime-UE, et au niveau mondial à travers le projet Earthtime. Un effort mondial important a été consacrée à l’obtention de nouveaux enregistrements sédimentaires, tandis que l’amélioration de la solution astronomique a surtout été le fait de l’Observatoire de Paris. La dernière amélioration de la solution astronomique a été obtenue grâce à une révision complète de l’algorithme numérique et à la construction des éphémérides planétaires de haute précision INPOP (Fienga et al., 2008, 2009, 2011) qui ont été prolongés sur plus de 1 Ma pour servir de référence à la solution à long terme. Malgré cet effort, cette nouvelle solution La2010 n’est valable que sur 50 Ma (Laskar et al., 2011). Dans une nouvelle étude, publiée le 15 juillet comme une lettre à A&A, l’équipe a identifié les raisons de ces difficultés imprévues rencontrées lors de la construction de ces solutions à long terme. Ils ont étudié en détail l’orbite de Cérès et des astéroïdes principaux, Pallas, Vesta, Iris, et Bamberga, et leurs interactions avec les orbites planétaires.

Les mouvements de Cérès et Vesta étaient jusqu’à présent considérés comme relativement réguliers, mais les calculs précédents ne tenaient pas compte de leurs interactions mutuelles. Avec la prise en compte des interactions gravitationnelles entre ces corps, Jacques Laskar et ses collaborateurs ont découvert que les mouvements de Cérès et Vesta sont en réalité fortement chaotiques. En conséquence, même si l’incertitude initiale sur la position actuelle de ces petits corps est de seulement 15 m (beaucoup moins que la précision actuelle sur ces mesures), leur position sera totalement en erreur en moins de 400 000 ans (Fig1). Ces corps sont beaucoup plus petits que les planètes : Cérès et Vesta sont respectivement 6000 et 22000 fois moins massifs que la Terre. Néanmoins, ils exercent des perturbations non négligeables sur les orbites des planètes qui sont elles-mêmes chaotiques, mais sur une échelle de temps plus long. En raison de ces interactions, l’excentricité de la Terre devient imprévisible après 60 Ma, un peu moins long que la durée de l’ère Cénozoïque.

Comme le vaisseau spatial Dawn de la NASA s’approche de Vesta, et sera en orbite autour de cet astéroïde pendant plusieurs mois avant de continuer sa route vers Cérès, on peut s’attendre à ce que la précision sur les positions de Cérès et Vesta soient largement améliorées. Mais ce ne sera d’aucune utilité pour les études paléoclimatiques. En effet, même si l’erreur initiale sur ces positions est réduite à seulement 1,5 mm, l’erreur en position sera toujours de 100% en moins de 500 000 ans, et il n’y aura donc pas de changement dans le temps de validité de la solution orbitale de la Terre. Cette limite de 60 Ma apparaît ainsi comme une limite absolue pour une prédiction précise de l’excentricité de la Terre, qui ne sera pas battue facilement dans l’avenir.

En dépit de leur faible masse, Cérès et Vesta apparaissent donc comme le facteur limitant principal pour l’élaboration d’une solution précise de l’évolution de l’orbite de la Terre sur la totalité du Cénozoïque.
- A&A press release
- ,Strong chaos induced by close encounters with Ceres and Vesta J. Laskar, M. Gastineau, J.-B. Delisle, A. Farrés, A. Fienga La2010 : A new orbital solution for the long-term motion of the Earth J. Laskar, A. Fienga, M. Gastineau, H. Manche A&A, in press, DOI : 10.1051/0004-6361/201116836