C’est ce qu’ont entrepris Véronique Bommier et Guillaume Molodij, de l’Observatoire de Paris, en observant avec une extrême sensibilité la polarisation avec le télescope solaire franco-italien THEMIS pendant sa troisième campagne d’observations, en août 2000. THEMIS est installé sur le site du volcan du Teide, de l’Institut d’Astrophysique des Canaries (IAC), sur l’île de Tenerife (Canaries, Espagne). C’est un télescope dédié à l’observation du soleil et qui a été conçu pour la mesure de polarisation même : la polarisation d’origine instrumentale a été réduite au minimum, en plaçant l’analyseur de polarisation avant toute réflexion oblique. On appelle ce montage un télescope "sans polarisation".
La polarisation de la lumière est sensible au champ magnétique : ainsi, l’objectif scientifique de THEMIS est la mesure du champ magnétique par interprétation des mesures de polarisation. La polarisation circulaire est plutôt sensible au champ "longitudinal", c’est-à-dire le long de la ligne de visée, tandis que la polarisation linéaire est plutôt sensible au champ "transverse", c’est-à-dire perpendiculaire à la ligne de visée. THEMIS mesure les deux états de polarisation, circulaire et linéaire (4 paramètres de Stokes) dans le but de reconstituer des cartes du vecteur champ magnétique à la surface du soleil, à haute résolution spatiale.Les observations présentées ici ont pour but d’atteindre la plus haute sensibilité polarimétrique possible avec THEMIS : pour cela, la résolution spatiale est dégradée en moyennant le long de la fente du spectrographe et un grand nombre d’images sont additionnées dans le temps. Ainsi a pu être atteinte une sensibilité polarimétrique de quelques 10-5. La haute résolution polarimétrique permet d’observer ce qu’on appelle le "second spectre solaire", qui est le spectre de la polarisation linéaire formée par diffusion tout près du bord solaire. Cette polarisation est faible, comme on peut le voir sur la figure 2. Ces observations ont été faites en plaçant la fente du spectrographe parallèlement au bord solaire, à 4 secondes d’arc vers l’intérieur du disque, dans une région solaire calme : le pôle Nord solaire. Lorsque l’on observe près du bord solaire, les raies sont polarisées linéairement, à cause de la diffusion du rayonnement anisotrope. Cette anisotropie est due au transfert de rayonnement à la surface du Soleil, là où se forment les raies. Les raies observées sont les raies D1 (à droite) et D2 (à gauche) du sodium, qui sont deux raies d’absorption très profondes dans le spectre en intensité (en violet sur la figure). Très semblables dans le spectre en intensité, elles sont très différentes dans le spectre en polarisation (en blanc), car la raie D2 (à gauche) est polarisable, tandis que la raie D1 (à droite) ne l’est pas. Les résultats des observations montrent un spectre de polarisation différent de celui prédit par les modèles, en particulier dans la composante D1 qui est réputée non polarisable, alors que l’on y observe des pics de polarisation. Quant à la composante D2, la polarisation peut avoir été modifiée par un champ magnétique faible, qui peut dépolariser les raies (par effet Hanle). Mais alors, la polarisation devrait tourner, changer de direction, ce qui n’est pas le cas. Le champ magnétique serait-il alors turbulent, sans direction précise ? Là encore, les conséquences de cette hypothèse ne sont pas compatibles avec tous les résultats de polarisation observés, pour toutes les raies, de tous les atomes (comme strontium ou baryum) qui sont autant de contraintes sur les modèles. Certains pensent que le spectre observé dans ces raies du sodium est essentiellement dû à la polarisation des niveaux atomiques inférieurs (avec structure hyperfine), ainsi qu’à la diffusion cohérente du rayonnement, d’autres pensent que la polarisation des niveaux inférieurs explique peut-être le spectre de D1, mais n’est pas nécessaire pour comprendre celui de D2 : en effet, on peut penser, comme tendent à le montrer certains calculs en cours à l’Observatoire de Paris (thèse de B. Kerkeni, dirigée par N. Feautrier et A. Spielfiedel), que les collisions des atomes de sodium avec les atomes d’hydrogène environnants détruisent cette polarisation des niveaux inférieurs. Pour progresser dans la compréhension de ce spectre et des effets du champ magnétique, il faudrait donc modéliser la formation de la raie polarisée, en résolvant les équations couplées du transfert de rayonnement et de l’équilibre statistique des niveaux atomiques multiples, en tenant compte de la diffusion cohérente, ce qui n’a encore jamais été complètement fait.