En 1915, Albert Einstein dévoilait sa théorie de la relativité générale, qui prédit l’existence de déformations de l’espace-temps appelées ondes gravitationnelles. 100 ans plus tard, elles n’ont toujours pas été observées directement. La mission de démonstration LISA Pathfinder s’envole cette nuit pour tester les technologies nécessaires à leur détection et à leur mesure depuis l’espace. Le satellite arrivera dans trois mois sur une orbite stable entre la Terre et le Soleil, au point de Lagrange L1, à 1,5 million de kilomètres de nous : il deviendra alors, pendant six mois, le premier laboratoire gravitationnel dans l’espace.

Les ondes gravitationnelles sont produites par les phénomènes les plus violents de l’Univers, comme les explosions d’étoiles (supernovae), la fusion de deux trous noirs ou celle de deux étoiles à neutrons. Elles se manifestent comme de minuscules rides qui se propagent sur le tissu de l’espace-temps et traversent l’Univers presque sans perturbation, contrairement aux ondes lumineuses. Au cours de leur trajet, elles déforment les objets rencontrés, mais d’une manière si infime qu’elles n’ont encore jamais été détectées directement . En effet, une onde gravitationnelle modifierait la distance Terre-Soleil (près de 150 millions de kilomètres) d’un dixième de millionième de millimètre. Le projet de mission européenne eLISA, une flottille de trois satellites placés à plusieurs millions de kilomètres l’un de l’autre, devrait pouvoir détecter de telles variations. Des faisceaux laser entre les satellites mesureront cette distance en permanence, et détecteront la moindre perturbation, signe du passage d’une onde gravitationnelle.

Mais avant cela, il faudra s’assurer que les détecteurs peuvent être correctement isolés des perturbations extérieures, et que le système de mesure est suffisamment sensible : c’est le rôle de LISA Pathfinder. Le satellite abrite deux petits cubes faits d’or et de platine, qui « flottent » dans des cavités distantes de 38 cm. Un système ultra-précis de micro-propulsion contrera le vent solaire, afin de maintenir les deux cubes sur une orbite constante. Par ailleurs, le système mesurant par laser la distance entre ces deux cubes devrait être assez sensible pour détecter des variations de l’ordre de 10 à 100 picomètres , telles que celles qui pourront être mesurées par eLISA au passage d’une onde gravitationnelle.
eLISA ne sera pas lancée avant la décennie 2030. Mais sur Terre, d’autres outils sont déjà à l’œuvre dans la chasse aux ondes gravitationnelles. Installé près de Pise, l’instrument franco-italien Virgo (piloté par le CNRS et l’Istituto Nazionale di Fisica Nucleare) est constitué de deux tubes perpendiculaires de 3 km chacun. A l’intérieur de chaque tube circule, sous vide, un faisceau laser extrêmement précis, réfléchi plusieurs fois par un miroir situé à son extrémité. Au point de jonction des tubes, les faisceaux laser interfèrent et s’annulent mutuellement. Sauf si, au passage d’une onde gravitationnelle, le trajet de l’un des deux faisceaux a été étiré : la recombinaison n’est alors plus parfaite, et un signal lumineux est détecté… ce qui ne s’est jamais produit jusqu’à maintenant. Opérationnel depuis 2007, Virgo fait actuellement l’objet d’une mise à niveau (augmentation de la puissance des lasers, faisceaux plus gros, miroirs plus lourds, instrumentation mieux isolée des perturbations ambiantes) et devrait redémarrer à l’automne 2016 avec une sensibilité multipliée par dix, ce qui lui permettra d’observer un volume d’Univers 1000 fois plus grand .

LIGO comprend deux installations (dans l’Etat de Washington et en Louisiane) similaires à celle de Virgo, si ce n’est que leurs bras sont un peu plus longs (4 km). Ils ont repris du service en septembre dernier sous le nom d’Advanced LIGO, après des travaux d’amélioration. Les données de LIGO et celles de Virgo sont partagées par les deux communautés, et leur traitement est effectué en commun. En plus des efforts conjoints dans l’analyse des données, les équipes françaises ont fortement collaboré lors de la construction et pour la mise en service des antennes, et le Laboratoire des matériaux avancés du CNRS a été un acteur majeur de la fabrication des miroirs pour ces trois installations, en assurant le dépôt des couches réfléchissantes.
La première détection d’une onde gravitationnelle sera une découverte capitale en physique – c’est l’une des dernières grandes prédictions de la relativité générale qui restent à prouver. Elle permettra par ailleurs de tester d’autres prédictions de la relativité générale, en particulier concernant la physique des trous noirs où les effets gravitationnels sont intenses. Mais au-delà, les détecteurs spatiaux et au sol ouvriront, de manière complémentaire, le champ de l’astronomie gravitationnelle. Mesurer ces ondes permettra en effet de mieux comprendre les objets qui les émettent, et les ondes gravitationnelles deviendront un nouveau messager du cosmos, aux côtés des ondes électromagnétiques (ondes lumineuses, radio et micro-ondes, rayons gamma et X) et des astroparticules (rayons cosmiques, neutrinos). Or, alors que les instruments au sol ne sont sensibles qu’à des objets relativement petits (des paires d’étoiles à neutrons ou de trous noirs qui tournent vite l’un autour de l’autre), eLISA sera capable de détecter les objets les plus gros, comme les trous noirs supermassifs au cœur des galaxies. Les ondes gravitationnelles qu’ils émettent, de basse fréquence, se noient en effet dans le bruit de fond sur Terre, alors que les détecteurs d’eLISA, distants de plusieurs millions de kilomètres, seront bien adaptés pour les déceler. A plus long terme, c’est la dynamique de l’Univers aux très grandes échelles spatiales et temporelles qui devrait pouvoir être étudiée grâce aux ondes gravitationnelles.