Depuis près de cinquante ans, la présence de matière sombre à toutes les échelles de l’Univers est au fondement de la cosmologie moderne.
C’est aux plus petites échelles du cosmos, au sein des galaxies naines entourant la Voie lactée, les plus minuscules qu’il nous est donné d’observer, que la matière sombre est supposée être la plus abondante. Dans ces galaxies, une agitation exceptionnelle des étoiles est observée, un phénomène que les cosmologistes expliquent en invoquant la présence de masse sombre en énormes quantités, d’une masse jusqu’à plusieurs milliers de fois supérieure à celle des étoiles. Depuis les années 1980, cette matière sombre est considérée comme indispensable pour expliquer la cohésion des galaxies : elle ajoute de la gravité qui équilibre l’agitation des étoiles, qui de son côté tend à disperser l’ensemble.
On pensait par ailleurs que les galaxies naines étaient des satellites de notre Voie lactée depuis un grand nombre de milliards d’années, expliquant ainsi le besoin d’un équilibre sur de longues périodes. Est-ce bien la réalité ?
Une équipe scientifique franco-chinoise de l’Observatoire de Paris – PSL au département Galaxies, étoiles, physique et instrumentation - GEPI (Observatoire de Paris - PSL / CNRS) et du National Astronomical Observatory of China (NAOC) bouleverse ce scénario, en proposant une nouvelle interprétation sans recourir à la matière sombre. Pour leurs travaux, les scientifiques ont exploité les données astrométriques et photométriques les plus précises disponibles à ce jour.
A la parution du deuxième catalogue Gaia en 2018, les orbites des galaxies naines ont été révélées avec une bien meilleure précision. L’équipe s’est aperçue qu’en étant très excentriques, elles ne corroboraient pas le scénario selon lequel les galaxies naines se seraient satellisées autour de la Voie lactée depuis des milliards d’années. Les galaxies naines semblent en effet avoir été capturées par la Voie lactée et ce, plus récemment.
De récentes données du Télescope Franco-canadien de Hawaii (CFHT) et du télescope Magellan, issues des observations les plus profondes en imagerie et en spectroscopie des galaxies naines, leur ont par ailleurs fourni des mesures très précises sur leurs vitesses, rayons, distances et masse en étoiles.
En exploitant toutes ces nouvelles données, l’équipe scientifique a découvert comment ces galaxies naines étaient arrivées au voisinage de notre Galaxie et comment leur dynamique est uniquement gouvernée par les seuls effets gravitationnels de marée exercés par la Voie lactée, suivant les principes de la physique newtonienne.
Un nouveau scenario
Le scénario d’une grande robustesse mis au jour s’est déroulé en plusieurs étapes (voir vidéo ci-dessous)
- 1. Originellement, il s’agit de très petites galaxies naines dites irrégulières, et dominées par du gaz froid.
- 2. Attirées par notre Galaxie, elles tombent dans son halo. Par un effet de pression dynamique, leur propre gaz est arraché par celui du halo. Cette perte de gaz entraîne une perte de gravité : leurs étoiles se retrouvent « affolées » et vont en se dispersant dans toutes les directions.
- 3. Entrent en jeu les effets gravitationnels de la Voie lactée qui agissent via des chocs de marée, - de même nature que ceux qui ont forgé les amas globulaires. En un mot, au sein des galaxies naines, les chocs martèlent les étoiles, lesquelles se retrouvent capturées par effet de résonance le long d’une direction privilégiée, celle qui les relie au centre de la Voie lactée.
- 4. La ligne de visée des astronomes - situés dans notre Galaxie - se confondant pratiquement avec cette direction, les observations recueillies apparaissent conformes à l’augmentation prédite de l’agitation des étoiles par chocs de marée, tout simplement, sans recours à la matière sombre.
Vidéo
Découvrir en vidéo la réexplication de la dynamique des galaxies naines sur la chaine Youtube de l’Observatoire de Paris :
Ce scénario est-il suffisant pour exclure la présence de matière sombre dans les galaxies naines ?
Plusieurs observations menées par les scientifiques conduisent à le penser, à tout le moins que cette hypothétique matière sombre n’aurait aucune influence sur les propriétés physiques des galaxies naines.
Tout d’abord, les astronomes ont pu calculer les accélérations induites par les chocs de marées. Ils ont trouvé qu’aux erreurs de mesure près, elles coïncidaient avec celles supposées causées par la matière sombre (voir Figure 1). La coïncidence est plutôt surprenante. Aurait-on pris des chocs de marées pour de la matière sombre ?
Pour l’instant, les modèles basés sur la matière sombre semblent incapables de reproduire les nombreuses relations d’échelles entre les paramètres fondamentaux des galaxies naines : rayons, distances, vitesses, masse en étoiles. Or, ces relations d’échelle, le scénario des chocs de marée les explique parfaitement.
Ces résultats ont potentiellement d’énormes conséquences pour notre compréhension de l’Univers, bouleversant des décennies de connaissances en cosmologie. En particulier, les modèles cosmologiques les mieux admis impliquent un très grand nombre de halos de matière sombre qui devraient être autour des galaxies naines au voisinage d’une grande galaxie, telle que la Voie lactée.
S’il n’y a pas de masse sombre capable d’influencer la dynamique de ces galaxies naines, soit les galaxies naines satellites de la Voie lactée sont exceptionnelles, soit les modèles cosmologiques sont à revisiter.
Images
Référence
Ce travail de recherche a fait l’objet d’un article intitulé “On the absence of dark matter in Milky Way dwarf galaxies”, par F. Hammer et al., à paraître le 1er octobre 2019 dans la revue Astrophysical Journal (arXiv:1812.10714).
https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/ab36b6
Collaboration
L’équipe scientifique est composée de François Hammer (Observatoire de Paris – PSL - CNRS), Yanbin Yang (Observatoire de Paris – PSL - CNRS), Frédéric Arenou (Observatoire de Paris – PSL - CNRS), Carine Babusiaux (Université Grenoble Alpes), Jianling Wang (National Astronomical Observatory of China), Mathieu Puech (Observatoire de Paris – PSL - CNRS) et Hector Flores (Observatoire de Paris – PSL - CNRS).
Pour en savoir plus :
Dernière modification le 21 décembre 2021