Les comètes sont des objets d’étude privilégiés pour la caractérisation de la matière primitive du Système Solaire. Une vingtaine de molécules provenant de la sublimation des glaces du noyau ont été identifiées dans la coma par spectroscopie millimétrique et infrarouge. L’analyse chimique d’un échantillon représentatif ( 40 comètes) montre une grande diversité d’abondances d’une comète à l’autre. Cela peut être attribué à divers facteurs : une formation dans des régions distinctes de la nébuleuse primitive ou à des périodes distinctes, une évolution chimique dans leur réservoir de résidence (nuage de Oort ou ceinture de Kuiper), ou une différenciation thermique des couches superficielles lors de leur passage à proximité du Soleil qui peut conduire à un appauvrissement des composés les plus volatils. Ce dernier mécanisme est invoqué pour expliquer la faible abondance du monoxyde de carbone (< quelques pourcents) dans les comètes périodiques.
Les noyaux cométaires sont des objets fragiles, et il n’est pas rare qu’ils se fragmentent (D/1993 F2 Shoemaker-Levy 9), voire qu’ils se désintègrent complètement (C/1999 S4 (LINEAR) en 2001). L’analyse chimique de plusieurs fragments permet de sonder la matière en profondeur et de mesurer le degré d’homogénéité du noyau à l’échelle de la taille des fragments .

La comète 73P/Schwassmann-Wachmann 3 est une comète périodique (5,34 ans) de la famille dynamique dite de Jupiter formée dans la ceinture de Kuiper. Elle s’est disloquée en plusieurs morceaux à son passage au périhélie de 1995. Cette fragmentation s’est poursuivie au passage de 2006 : 68 fragments ont reçu une désignation officielle (Fig. 1). La géométrie très favorable de cette apparition (distance à la Terre de 0,07 AU) offrait une excellente opportunité pour l’investigation chimique des fragments principaux B et C, dont la taille a été estimée à quelques centaines de mètres.
Les observations qui ont fait l’objet d’un article dans la revue Nature ont été conduites dans le domaine 2,8-4,7 microns avec les instruments CSHELL et NIRSPEC des télescopes NASA IRTF et Keck 2, respectivement. Les raies de rotation-vibration des molécules H2O, CH3OH, HCN, H2CO, C2H2, et C2H6 ont été détectées dans les deux fragments. Les abondances relatives mesurées sont remarquablement similaires (Fig. 2). Des mesures dans le domaine micro-onde avec le 30-m de l’IRAM, le Caltech Submillimeter Observatory (CSO), l’Atacama Pathfinder Experiment (APEX) et le télescope spatial Odin ciblant les molécules H2O, CH3OH, HCN, H2CO et également HNCO, CH3CN, H2S, CS conduisent à la même conclusion (Fig. 3). Ainsi, neuf composés des glaces des couches superficielles des fragments B et C, qui possèdent des volatilités très différentes, ont une composition identique dans les deux fragments. Ce résultat démontre que le noyau de la comète 73P/Schwassmann-Wachmann 3 est chimiquement homogène et que sa composition reflète essentiellement les processus physico-chimiques en jeu dans la nébuleuse primitive. Il remet en cause les modèles qui prédisent une différentiation chimique liée aux effets d’ensoleillement.

Ce résultat est d’autant plus intéressant que la comète 73P/Schwassmann-Wachmann 3 présente une composition chimique hors norme. Elle est appauvrie (par un facteur jusqu’à 10) en CH3OH, H2CO, C2H2, C2H6, NH3, et H2S comparé aux abondances moyennes mesurées dans les comètes, mais présente une composition normale en HCN, CH3CN, HNCO et CS (Fig. 3). La moitié des comètes de la famille de Jupiter issues de la ceinture de Kuiper sont sous-abondantes en éléments carbonés. La diversité de composition des comètes de la ceinture de Kuiper (et des comètes du nuage de Oort) serait donc primordiale. Les mécanismes qui ont conduit à cette diversité dans le Système Solaire primitif sont à élucider.