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L’Espace Dodécaédrique de Poincaré conforté pour expliquer la forme de l’univers

1 February 2008 L'Espace Dodécaédrique de Poincaré conforté pour expliquer la forme de l'univers

Une équipe internationale de cosmologistes, conduite par un chercheur de l’Observatoire de Paris, vient de conforter le modèle théorique de l’espace dodécaédrique de Poincaré (PDS) pour expliquer certaines observations du rayonnement de fond cosmologique (CMB). En parallèle, une autre équipe internationale a analysé à l’aide de nouvelles techniques les dernières données obtenues par le satellite WMAP et trouvé un signal topologique caractéristique de la géométrie PDS.

Les quinze dernières années ont vu un accroissement considérable des efforts pour déterminer la forme globale de l’univers, c’est-à-dire non seulement la courbure de l’espace mais aussi sa topologie. Le modèle cosmologique dit de « concordance » qui prévaut actuellement décrit l’univers par un espace « plat » (c’est-à-dire de courbure nulle), infini, en expansion perpétuelle accélérée. Cependant, les données délivrées entre 2003 et 2006 par le satellite WMAP de la NASA, qui ont fourni une carte à haute résolution du rayonnement de fond cosmologique (CMB), s’accordent très mal avec le modèle de concordance aux grandes échelles angulaires. Elles favorisent plutôt un espace fini, de courbure positive, et suggèrent une topologie multi-connexe.

Figure 1: Left : Poincaré Dodecahedral Space can be described as the interior of a spherical dodecahedron such that when one « goes out » from a pentagonal face, one « comes back » immediately inside the space from the opposite face, after a 36° rotation. Such a space is finite, although without edges or boundaries, so that one can indefinitely travel within it. Center : View from inside PDS perpendicularly to one pentagonal face. The observer has the illusion to live in a space 120 times vaster, made of tiled dodecahedra which duplicate like in a mirror hall. Right : View from inside PDS along an arbitrary direction, calculated by the CurvedSpaces program, with multiple images of the Earth (from Jeff Weeks). Click on the image to enlarge it

Le CMB est le vestige de la première lumière émise peu après le Big Bang. Il est observé sur la « surface de dernière diffusion » (LSS), une sphère d’environ 50 milliards d’années-lumière de rayon qui nous entoure. Les minuscules fluctuations de température observées sur la LSS peuvent être décomposées en une somme d’harmoniques sphériques, tout comme le son produit par un instrument de musique peut être décomposé en harmoniques ordinaires. Les amplitudes relatives de chaque harmonique sphérique détermine le spectre de puissance, qui est une signature de la géométrie de l’espace et des conditions physiques qui régnaient à l’époque d’émission du CMB.

Or, la topologie cosmique prédit que tout espace physique qui serait plus petit que la LSS ne pourrait vibrer sur des longueurs d’onde plus grandes que sa propre taille. Il devrait en résulter une coupure de son spectre de puissance au-dessus d’une certaine longueur d’onde. Cette coupure aux grandes échelles a précisément été observée par la campagne d’observations 2003-2006 du télescope WMAP.

Se fondant sur la possibilité que l’espace ait une courbure positive, et en calculant certains modes vibrationnels de l’espace pour simuler le spectre de puissance, certains auteurs de la présente étude [réf. 2] avaient déjà proposé en octobre 2003 que la topologie multi-connexe de l’espace dodécaédrique de Poincaré (PDS, figure 1) était favorisée par les données de WMAP, au détriment de l’espace simplement connexe, plat et infini stipulé par le modèle de concordance.

Le modèle PDS a depuis lors été étudié mathématiquement en grand détail par plusieurs groupes à travers le monde. Dans l’étude la plus récente, Luminet et ses collaborateurs [réf. 1] ont calculé 1,7 milliards de modes vibrationnels de PDS pour simuler avec plus de précision qu’en 2003 le spectre de puissance, sur une large gamme d’échelles angulaires. Ils ont trouvé que la diminution maximale de l’harmonique quadripolaire, telle qu’elle apparaît dans les données, requiert une densité de matière-énergie optimale de Ωtot = 1.018 (voir note 1). Le spectre de puissance ainsi prédit par le modèle PDS s’accorde remarquablement avec la totalité du spectre WMAP observé (figure 2).

Figure 2: Comparative power spectra for WMAP experiment (errorbars), the concordance model with Ωtot = 1.000, Ωmat = 0.27 and h = 0.70 (dot-dashed curve), and the PDS model such that Ωtot = 1.018 (solid curve). Click on the image to enlarge it

Une signature par les cercles

Si l’espace physique est plus petit que l’espace observé contenu dans la sphère LSS, il doit y avoir des corrélations particulières dans le CMB, à savoir des paires de cercles « homologues » le long desquels les fluctuations de température sont les mêmes, car ils correspondent aux mêmes points physiques observés dans des directions différentes, suite à un effet de mirage topologique. La signature précise et définitive de la topologie PDS serait l’existence de six paires de cercles diamétralement opposés, corrélés avec une phase relative de 36°. Pour tester cette prédiction, l’équipe de chercheurs [réf.1] a simulé des cartes de du CMB dans la topologie PDS et vérifié la présence des cercles corrélés (figure 3).

Figure 3: Simulation of the last scattering surface and its nearest duplicates in PDS topology. Since the volume of the PDS about 80% the volume of the LSS sphere, the latter intersects itself along six pairs of antipodal matched circles, which represent the same points of space after a rotation by 36°. Click on the image to enlarge it

Reste la question cruciale : ces paires de cercles corrélés sont-elles présentes dans les données réelles de WMAP ? Trois équipes différentes (américaine, allemande et polonaise) se sont penchées sur le problème au cours des cinq dernières années, en utilisant divers indicateurs statistiques et des simulations numériques massives. Aucune réponse claire n’émerge pour l’instant de ces travaux, car le signal topologique attendu est dégradé par divers effets cosmologiques, ainsi que par les contaminations de fond astrophysiques et les imperfections instrumentales, qui tous induisent du bruit.

C’est pourquoi une autre équipe internationale de cosmologistes [réf. 3] conduite par B. Roukema de l’Université Nicolas Copernic à Torun en Pologne (précédemment chercheur à l’Observatoire de Paris), a réanalysé les données WMAP à l’aide de nouvelles méthodes statistiques. Ils ont montré que les corrélations croisées entre les fluctuations de température évaluées sur les éventuelles copies multiples de la LSS entraînent une forte corrélation en faveur d’une symétrie dodécaédrique dans la carte WMAP, ainsi qu’une phase relative d’environ 36° pour les paires de cercles homologues. En déterminant la position de ces cercles, ils ont même pu fixer l’orientation spatiale du dodécaèdre fondamental par rapport à la carte WMAP. La probabilité pour que le modèle de concordance plat et infini reproduise par hasard une telle configuration n’est que 7%.

Conclusion

Vivons-nous réellement dans un espace dodécaédrique de Poincaré ? Des contraintes expérimentales futures pour ou contre le modèle seront certainement nécessaires, mais les indices en faveur d’un signal topologique PDS dans les données WMAP s’accumulent. Pour faire avancer le débat, les futures données du satellite européen Planck Surveyor (lancement prévu en juillet 2008) sont attendues avec impatience.

Note 1
Le paramètre de densité Ωtot caractérise le contenu de l’univers, toutes formes de matière et d’énergie confondues. La courbure de l’espace dépend de la valeur de ce paramètre. Si Ωtot est plus grand que 1, la courbure de l’espace est positive et la géométrie est de type sphérique ; si Ωtot est plus petit que 1, la courbure est négative et la géométrie est hyperbolique; ce n’est que si Ωtot est strictement égal à 1 que l’espace est Euclidien.

Références

Contact

  • Jean-Pierre Luminet (Observatoire de Paris, LUTH, et CNRS)