La mesure de la période de rotation des planètes géantes dans le domaine visible est imprécise car elle ne donne que la combinaison entre rotation interne et vitesse des nuages, toutes deux inconnues a priori. Comme les émissions radio aurorales des planètes sont produites par des électrons en mouvement dans le champ magnétique planétaire, elles sont en principe liées à l’intérieur planétaire, et c’est pourquoi on les utilise pour mesurer la rotation interne des planètes géantes. Pour Jupiter, on mesure ainsi une période stable à mieux qu’un millionième près. Dans le cas de Saturne, les mesures radio de Voyager avaient fourni une période de 10h 39m 24s ±7s, adoptée comme la période de rotation de Saturne. Mais des mesures ultérieures par Ulysse et Cassini ont montré que cette valeur pouvait varier de ±6 min (donc ±1%) à l’échelle de quelques mois ou quelques années. Les mêmes variations semblent affecter le champ magnétique mesuré dans la magnétosphère de Saturne par Cassini.
L’origine de cette variation énorme (qui équivaudrait à ±15 min. par rapport à la durée du jour terrestre) ne peut évidemment pas refléter celle de la rotation interne de la planète : Saturne n’a pas de bras à replier (à l’instar du patineur sur glace) pour modifier sa vitesse de rotation en conservant son moment angulaire, ni de source ou de possibilité de dissipation rapide de ce moment angulaire. C’est une des énigmes majeures étudiées par la communauté travaillant autour de la mission Cassini. Sa résolution conditionne entre autres la mesure des vents et de la structure interne de Saturne, l’aplatissement de la planète et la définition d’un système de longitude fiable permettant d’organiser les observations de Saturne sur un long intervalle de temps.

Les astronomes se sont intéressés aux variations de période à plus court terme (quelques jours), dans le but de rechercher des corrélations avec d’autres phénomènes plus aisément que pour des variations à l’échelle de plusieurs mois. Ils ont développé une méthode permettant de mesurer ces variations brèves avec une précision meilleure que 1% à l’échelle d’environ 8 jours, et ont obtenu les 2 résultats suivants [réf. 1] : (i) la période radio de Saturne varie à l’échelle de 20-30 jours, avec une amplitude supérieure à celle des variations à long terme (qui pourraient n’être qu’un résidu de la moyenne des variations à court terme) ; (ii) ces variations à 20-30 jours sont corrélées à celles de la vitesse du vent solaire près de Saturne (et seulement sa vitesse, à l’exclusion de sa pression ou sa densité), ce qui prouve que l’origine des variations de l’ « horloge radio » Kronienne est —au moins en partie — externe au système de Saturne, et que la vitesse du vent solaire est le paramètre clé de ce contrôle externe.
Une des théories précédemment proposées pour expliquer la variation de période radio à long terme suggérait précisément un tel contrôle externe et un rôle spécifique de la vitesse du vent solaire [réf. 2]. Cette théorie, qui s’applique également aux variations à court terme, est renforcée par les résultats ci-dessus, et offre un cadre dans lequel on devrait être capable de retrancher les variations dues au vent solaire pour obtenir la véritable période de rotation interne de Saturne (si tant est qu’une période de rotation interne existe), et ce grâce aux capacités goniométriques (i.e. d’ « astrométrie radio ») de l’expérience de radioastronomie (RPWS) de la sonde Cassini.

[1] P. Zarka, L. Lamy, B. Cecconi, R. Prangé & H. O. Rucker, Modulation of Saturn’s radio clock by solar wind speed, Nature, 8 Nov. 2007. [2] B. Cecconi & P. Zarka, Model of a variable radio period for Saturn,, J. Geophys. Res. 110, A12203, 2005.
Référence
- Modulation of Saturn’s radio clock by solar wind speed Philippe Zarka(1), Laurent Lamy(1), Baptiste Cecconi(1), Renée Prangé(1) & Helmut O. Rucker(2) (1) LESIA, Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique, Observatoire de Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, Université Pierre et Marie Curie, Université Paris Diderot, 92190 Meudon, France (2)Space Research Institute, Austrian Academy of Sciences, A-8042 Graz, Austria Nature, 8 Novembre 2007