Des études ont montré que cette planète est sur une orbite stable, mais la question est de savoir comment elle a pu se former dans un tel système binaire : l’étoile compagnon est tellement proche que ses effets perturbateurs pourraient empêcher l’accrétion d’une planète. Le modèle « standard » de formation planétaire suppose en effet un environnement dynamiquement « calme ». Seul cet environnement calme permet des chocs suffisamment « mous », entraînant l’accrétion mutuelle des planétésimaux, ces objets rocheux kilométriques qui sont les « briques » à partir desquelles vont se former des embryons planétaires d’environ 500 à 1000 kmÂ
Pour étudier les possibilités d’accrétion planétaire dans un tel système, le paramètre fondamental est donc la vitesse de collision entre planétésimaux lors de la phase d’accrétion. La distribution de ces vitesses peut être étudiée à l’aide de simulations numériques. Celles-ci montrent que l’étoile compagnon induit de fortes perturbations des orbites des planétésimaux dans la région entre 1 et 4 UA (au delà de 4 UA les orbites sont instables), avec de fortes oscillations de l’excentricité. Ces perturbations entraînent des vitesses relatives de plus de 1 km/s qui empêchent toute accrétion Effet de la perturbation de l’étoile secondaire sur un groupe de planétésimaux. Les particules sont initialement sur des orbites circulaires (excentricité e = 0) entre 1 et 5 UA et sont progressivement excitées sur des orbites de plus en plus perturbées, avec de fortes excentricités dont les oscillations se resserrent de plus en plus . A un moment donné, ces oscillations d’excentricités deviennent tellement fortes que les orbites de planétésimaux voisins se coupent, avec pour conséquence des vitesses relatives très fortes, de l’ordre de 1km/s, empêchant toute accrétion.
La situation devient plus favorable à l’accrétion planétaire si on prend en compte l’effet du gaz sur les planétésimaux. Il est en effet probable que lors de la phase d’accrétion des planétésimaux, du gaz issu de la nébuleuse initiale était encore présent. Si ce gaz est suffisamment dense, la friction qu’il exerce sur les planétésimaux a tendance à aligner leurs orbites et à fortement réduire leurs vitesses de collision mutuelle. La taille des planétésimaux est ici un paramètre fondamental : plus ils sont petits, plus ils sont sensibles à l’action du gaz. Les simulations montrent que, pour une nébuleuse de gaz légèrement plus dense que la nébuleuse solaire dite « standard » et pour des planétésimaux de plus de 5 km, la friction réduit les vitesses relatives à des valeurs permettant l’accrétion (Figure 3). Tout le problème est de savoir si une telle phase de forte densité gazeuse a oui on non existé dans le passé...
L’effet du gaz est d’atténuer les perturbations de l’étoile compagnon et surtout d’aligner les orbites des planétésimaux perturbés. Ceci empêche les fortes oscillations en excentricité de la Fig.2 d’apparaître et réduit donc fortement les vitesses relatives entre corps. Une autre conséquence de ce frottement gazeux est la lente dérive des corps vers l’étoile centrale, et en particulier le vidage des régions externes du système. Mais même si des embryons planétaires d’environ 1000 km ont pu se former, le problème n’en est pas résolu pour autant. Il reste à étudier la dernière phase, celle qui, par rencontres mutuelles entre ces gros embryons va donner naissance à la planète proprement dite. Car là encore les perturbations de l’étoile secondaire peuvent poser problème. Mais de nouvelles simulations montrent que, pour des conditions raisonnables, cette phase de coalescence entre embryons conduit presque toujours à la formation d’une planète de masse suffisante. Il y a cependant un problème, c’est que cette planète n’est jamais au « bon endroit » : sa position finale est toujours à moins de 1,5 UA de l’étoile primaire, et ce pour toutes les configurations envisagées (Figure 4). Comment concilier ce résultat plutôt dérangeant avec les observations ? Quelques hypothèses peuvent être envisagées. Il est par exemple envisageable que dans le passé la séparation entre les binaires était plus forte et a diminué après la formation de la planète ; ce serait le cas si la binaire était dans un environnement initial dense en étoiles pouvant perturber le système. Il est également possible que d’autres planètes géantes, non détectées pour l’instant, existent autour de Gamma Cephei et que les perturbations mutuelles entre planètes géantes aient fortement modifié leurs positions initiales. Figure 4 Evolution et accrétion mutuelle d’embryons planétaires de taille initiale 1000km. A mesure que le temps passe, les embryons s’accrètent les uns aux autres pour former des corps moins nombreux et plus massifs. On voit qu’à la fin de la simulation, un embryons de 10 Masse Terrestre s’est formé aux alentours de 1,5 UA.
Références
Contact
- Philippe Thébault
(Observatoire de Paris, LESIA)
Dernière modification le 19 novembre 2013